Il est possible de considérer le projet de loi proposé comme la résultante de la confrontation des forces en présence, c'est-à-dire l'équilibre trouvé par vous-même, monsieur le ministre, à un moment donné du débat.
Cependant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un juste équilibre entre les trois piliers du développement durable : le pilier environnemental, le pilier économique et le pilier le social.
De surcroît, il est possible de lire dans ce projet de loi les ravages du temps qui, au fil des nombreux avant-projets, tue les bonnes volontés, les jeux individuels prenant le pas sur l'intérêt collectif.
Si la force de conviction des acteurs peut être une bonne chose, elle a neutralisé toute véritable avancée, et cela de façon particulièrement flagrante ces derniers temps, à l'approche des échéances électorales et devant la montée du « non » à la Constitution européenne.
Cet équilibre instable sacrifie les usagers domestiques, qui continueront à payer un prix bien fort au regard des pollutions qu'ils engendrent et de la quantité d'eau qu'ils utilisent.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que je défende un certain nombre de propositions allant dans le sens d'un véritable rééquilibrage dans le partage des responsabilités, notamment en ce qui concerne les pollutions.
Nous savons tous que ce qui coûte cher, en dehors des investissements liés à la distribution, c'est le traitement de l'eau polluée. Les craintes que j'exprimais l'an dernier, lors de la discussion sur la ratification de la directive-cadre, de voir le principe « utilisateur-payeur » se substituer au principe « pollueur-payeur » ou, devrais-je plutôt dire, « responsable-payeur », se voient confirmées par votre texte.
Quoi qu'il en soit, ce rééquilibrage doit se faire sur une base de solidarité, mais aussi de justice : agriculteurs, industriels, producteurs, collectivités territoriales, multinationales, sans oublier les concessionnaires d'exploitation des sources d'eau à des fins commerciales, qui ont l'autorisation d'utiliser les ressources naturelles sans réelle transparence des coûts - ce que j'appelle un « usage privé abusif » -, doivent participer à l'effort collectif
En effet, les taux des redevances dues par les uns et les autres restent bien trop inégaux. S'il faut en croire les chiffres avancés par l'UFC-Que choisir, la différence entre les redevances incombant respectivement aux consommateurs - 82% pour un usage de la ressource de 28 % -, aux agriculteurs - 4 % pour un usage de 68 % - et aux industriels - 11 % pour un usage de 5 % - n'est pas admissible !
Encore une fois, les Françaises et les Français ont le sentiment d'être les perdants dans cette affaire. C'est pourquoi une modulation est nécessaire.
Le système tel qu'il est conçu dans le projet de loi est un peu plus clair ; il supprime notamment les coefficients de collecte. Cependant, le projet fiscalise les redevances, qui deviennent en réalité des impôts modulés dans le cadre législatif Il faudrait d'ailleurs que nous opérions une clarification dans le vocabulaire : un impôt n'est pas une redevance et une redevance n'est pas une taxe ; nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.
A ce stade de mon intervention, je souhaite évoquer le rôle de l'Etat et mettre en perspective plusieurs opérations effectuées successivement par le Gouvernement au cours des dernières années.
Tout d'abord, rappelons-nous la ponction scandaleuse effectuée par l'Etat dans les caisses des agences en 2003. Ce n'était pas la première fois qu'il agissait ainsi, j'en conviens, mais cela ne justifie pas un tel acte.
Ensuite, le FNDAE, qui était alimenté par le budget de l'Etat pour assurer la solidarité en direction des communes rurales, a été supprimé.
Ajoutons l'intégration du prélèvement du FNE, le Fonds national de l'eau, dans le budget de l'Etat, au nom de la bonne gestion.
Continuons en évoquant votre proposition, monsieur le ministre, de fiscaliser les redevances et de plafonner à 12 milliards d'euros, ce qui est insuffisant, le financement du 9ème programme, cette dernière mesure visant surtout à contenir l'augmentation visible du prix de l'eau.
Enfin, pensons à la création probable d'un fonds départemental, sur laquelle nous reviendrons.
Ainsi, en mettant en perspective les différentes opérations que je viens de citer, il est plus facile de mesurer trois choses : non seulement le désengagement de l'Etat, qui est non pas de la décentralisation, mais plutôt du délestage, mais aussi sa volonté de s'immiscer encore davantage dans la gestion des agences, au risque de décourager certains acteurs du comité de bassin, ou encore le risque de voir l'Etat, à travers l'ONEMA, et grâce à la fiscalisation, se servir des fonds des agences pour financer les actions de votre ministère, en abandonnant son rôle de péréquateur garant de la solidarité.
Le coût des investissements va peser davantage sur les contribuables, particulièrement dans les secteurs ruraux, à travers les impôts locaux des collectivités de proximité, à savoir les communes, les EPCI et les départements.
Revenons maintenant de manière plus précise à la pollution.
La pollution des milieux aquatiques doit être combattue, nous sommes tous d'accord sur ce point. On ne saurait parler de pollution sans parler du sujet qui apparaît comme le plus sensible, à savoir la responsabilité des agriculteurs.
J'aimerais toutefois que ce débat n'en élude pas un autre, tout aussi important : celui de la responsabilité des industriels, producteurs de produits nocifs et polluants, car, si les consommateurs sont les plus pénalisés, les agriculteurs ne doivent pas pour autant être les boucs émissaires d'un système pris dans son intégralité. L'utilisation des produits phytosanitaires est actuellement nécessaire, mais il est absolument essentiel d'engager résolument la recherche scientifique, notamment privée, dans une perspective de développement durable : autrement dit, cherchons des molécules moins nocives plutôt que des produits plus concentrés !
En ce qui concerne les agriculteurs, je veux que les choses soient bien claires : les sénateurs communistes républicains et citoyens connaissent et comprennent les impératifs de la profession agricole et ne les sous-estiment pas, tout particulièrement ceux auxquels sont confrontés les petits exploitants, dont les difficultés sont grandes ; ils considèrent les agriculteurs comme des acteurs du système autant que des victimes. Les agriculteurs sont, en effet, de plus en plus fragilisés par un système de production dont ils ne sont plus les maîtres. En outre, ils sont parfois les premières victimes de ces pollutions.
Je salue ici la décision de la Mutualité sociale agricole de lancer une enquête sur la santé des agriculteurs et de leur famille. Elle nous sera d'une grande utilité.
Pour en revenir aux pratiques agricoles, prenons l'exemple du maïs. Cette céréale exotique se cultive avec des pratiques agressives pour notre environnement : elle est gourmande en eau dans les périodes où la ressource est faible et, l'hiver, les sols dédiés à cette culture restent nus, avec toutes les conséquences dues au lessivage des terres par les pluies d'hiver et la propagation des pollutions dans les nappes.
Dans ces conditions, je me dois de faire passer un double message.
D'une part, les agriculteurs ne doivent pas minimiser le problème de la pollution des eaux par les pratiques agricoles, et doivent continuer leur effort de responsabilisation dans ce domaine. Je connais la forte mobilisation dont ils sont capables pour défendre leurs droits. Il faut qu'ils consacrent également cette énergie à la défense de l'avenir de leur activité et à une meilleure mise en valeur de productions garantes de l'environnement plus en adéquation avec le climat de la France et en relation avec les saisons. Il en va de leur survie, il en va de leur honneur. Toutefois, ils ne pourront faire cela seuls.
D'autre part, mon message s'adresse à vous, monsieur le ministre, et au Gouvernement. Lorsque l'on veut intégrer la notion de développement durable dans le développement global d'un pays, il faut opérer des changements radicaux et donner des signes beaucoup plus forts. Il est temps de favoriser une agriculture raisonnée et raisonnable, une agriculture moins gourmande en eau et en produits phytosanitaires. C'est l'avenir de notre planète qui est en jeu.
Je rappelle au passage que nous importons des produits bio ; mieux vaudrait que nous en favorisions la production sur notre territoire.
Au vu de ces considérations, nous vous proposerons, sur l'ensemble des redevances, un rééquilibrage des participations des différents acteurs de l'eau.
Je souhaite aborder maintenant la question de la solidarité. Nous aurions aimé trouver dans ce texte des dispositions concernant l'interdiction des coupures d'eau, l'affirmation du principe du droit de l'eau pour tous, l'instauration d'une véritable péréquation nationale, la réduction a minima de la part fixe dans le prix de l'eau, et donc, au fond, l'affirmation de principes fondamentaux concernant les plus démunis d'entre nous.
Force est de constater que ce texte n'est pas porteur de ces préoccupations-là. Le soin de régler ces questions est renvoyé aux collectivités, si elles souhaitent l'assumer. Telle n'est pas notre conception de la solidarité.
La question de l'assainissement non collectif nous préoccupe également. Trop souvent réduite à des questions techniques ou juridiques, elle n'en pose pas moins un problème concernant l'égalité des citoyens.
Après avoir sollicité de nombreux avis dans mon département, notamment auprès d'un syndicat des eaux et du syndicat départemental mis en place par l'Assemblée des départements de France, il m'a semblé utile de faire des propositions sous forme d'amendements. Je sais que vous y travaillez également, monsieur le ministre.
Un dernier aspect que j'aimerais aborder concerne les grandes multinationales privées. A l'heure actuelle, la situation de monopole qu'elles occupent est préoccupante à plus d'un titre, comme l'a d'ailleurs souligné notre collègue Philippe Richert.
Lorsque l'on s'interroge pour savoir qui sont les grands gagnants de la gestion de l'eau et de l'assainissement, il suffit de se tourner vers ces grandes multinationales pour avoir la réponse. Grandes usines à engranger des bénéfices, elles sont de bien piètres participantes à l'effort de solidarité nationale. Dans le projet de loi, ce point est tout au plus abordé à l'article 26, à propos des contrats de délégation de service public, mais, même à cet égard, les dispositions concernant ces multinationales restent bien faibles.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'aller plus loin, en matière tant de délégation de service public, pour assouplir le système existant au profit des collectivités qui se trouvent enserrées dans des contrats contraignants, que de participation à l'effort national.
A ce titre, chers collègues de la majorité, monsieur le ministre, vous qui voulez toujours permettre la concurrence, vous devriez être réceptifs à nos amendements, qui s'inscrivent dans une logique plus concurrentielle du dispositif !
En effet, nous avons la possibilité d'aider nombre de communes bien décidées à reprendre le service de l'eau en main, malgré les attaques dont elles sont victimes devant les tribunaux de la part des grands groupes, qui veulent préserver les bénéfices au profit des actionnaires.
Ces considérations m'amènent à parler de la transparence et de la participation de tous les acteurs concernés par l'eau à tous les échelons du processus décisionnel.
A l'heure actuelle, la gestion de l'eau et de l'assainissement en France est trop opaque. Le projet de loi vise à y remédier, grâce à une plus large participation des différents acteurs, mais, à mon sens, cela ne va pas assez loin. La présence et la participation de tous doivent encore être renforcées pour éviter tout déficit démocratique. Je pense, en particulier, aux représentants des usagers, aux syndicats et aux fédérations de pêcheurs.
Il convient également d'oeuvrer dans le sens d'une meilleure information des usagers. En effet, chacun doit être en mesure de connaître les enjeux de l'eau, de comprendre le fonctionnement de la gestion de la ressource, et le calcul du prix facturé.
Sans mesures claires, nous courons le risque d'augmenter plus encore l'incompréhension des usagers domestiques devant un système qu'ils jugent déjà trop complexe.
Je terminerai mon propos par ces questions essentielles : quel rôle doit jouer l'Etat ? Quelle place accorder à la maîtrise publique du service de l'eau et de l'assainissement ? De moins en moins présent et actif, l'Etat n'a que trop rarement mis l'accent sur une politique de prévention de toutes les pollutions, même diffuses, et d'une préservation des écosystèmes. Il ne s'est que peu engagé en faveur de politiques d'information, de formations et d'expertises pour aider les collectivités. Si le privé peut assurer des missions de service public, il ne peut prétendre en aucun cas représenter l'intérêt public. Les collectivités ont été obligées de se lancer dans des investissements coûteux sans véritables aides techniques et financières à la hauteur des besoins. Le service public s'en est trouvé affaibli.
Nous ne pouvons plus continuer dans cette voie ! L'Etat doit retrouver un rôle de conseil auprès des communes, s'investir dans le sens d'une meilleure connaissance du milieu, aider les différents intervenants et, enfin, mener une vraie politique de contrôle et de sanction de tous les contrevenants, quels qu'ils soient.
Je dis cela avec d'autant plus de conviction que le groupe CRC se soucie depuis de nombreuses années de la qualité de l'eau et de sa gestion : j'en veux pour preuve la proposition de loi déposée par mon collègue M. Robert Bret en 1999. Nous jugeons en effet nécessaire et urgent d'engager une politique de reconquête de la maîtrise publique de l'eau. Nous devons nous assurer que l'eau soit considérée avant tout comme une ressource et un bien public vital, le tout au sein d'un grand service public national garant de la solidarité, de l'égalité, de l'équité, de la démocratie et de la transparence.
En l'état actuel du texte, rien ne vient garantir cette maîtrise publique, bien au contraire. Je ne vois que la mise en oeuvre d'une politique continue de désengagement au profit d'un processus de délestage à outrance de la part de l'Etat. Tout pèse sur les départements et les communes, qui se trouvent asphyxiés par les lourdes charges qui leur incombent.
Je reviendrai sur ce point dans la suite du débat, mais je tiens d'ores et déjà à dire que la méthode qui consiste à retirer du projet de loi un article concernant les départements en attendant que les parlementaires le réclament permet de dédouaner le Gouvernement des effets pervers d'une telle mesure. Nous ne pouvons pas être dupes de ce procédé !
Quant à l'ONEMA, ses missions restent floues et ne garantissent en rien la maîtrise publique de l'eau. Bien entendu, des décrets d'application viendront les définir, mais soyons lucides ! Une fois le texte adopté, tous types de mesures pourront être pris par décret sans qu'aucun contrôle parlementaire n'intervienne.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la création d'une organisation nationale bicéphale avec, d'une part, un Haut conseil du service public de l'eau et de l'assainissement, autorité administrative indépendante dont le rôle essentiel sera le contrôle, la veille et le conseil, et, d'autre part, un office national, sous autorité du ministère de l'écologie et du développement durable, chargé plus spécifiquement de la gestion.
Je ne saurais achever mon intervention sans une dernière considération : la police de l'eau, éclatée entre plusieurs directions, doit être d'urgence - je le reconnais - intégrée au sein d'une seule direction pour plus d'efficacité. Je m'interroge cependant sur les conséquences de cette décision quant aux effectifs des personnels et aux moyens mis en oeuvre. En effet, recentrage ne doit pas être synonyme de réductions drastiques.
En définitive, monsieur le ministre, vous n'avez pas su, dans ce projet de loi, passer des paroles aux actes. Si le texte n'évolue pas au fil des travaux parlementaires, nous devrons, en 2015, nous précipiter pour le revoir, parce que l'Europe nous rappellera à nouveau à l'ordre.
Plaçons-nous dans une vision à long terme, gardons à l'esprit, tout au long de ces débats, les grands principes que j'ai énoncés dans cette intervention, à savoir le juste équilibre, la solidarité, la transparence et le renforcement de la maîtrise publique, le tout dans une perspective de développement durable, solidaire et humain !
Nous n'avons pas la prétention de tout dire au cours de ce premier débat. Nous nous laissons la possibilité d'infléchir nos propositions à l'Assemblée nationale, puis, ici, en deuxième lecture, en fonction de vos réponses, monsieur le ministre, et du déroulement de nos échanges. Pour l'instant, en tout cas, le texte, en l'état, n'est pas acceptable. §