Intervention de Alain Vasselle

Réunion du 29 juin 2006 à 9h30
Finances publiques et finances sociales — Débat d'orientation sur une déclaration du gouvernement

Photo de Alain VasselleAlain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales chargé des équilibres généraux de la sécurité sociale :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'est pas facile d'intervenir après le rapporteur général et les présidents de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, mais je vais tenter d'apporter, en qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales chargé des équilibres financiers, une modeste contribution à ce débat, dont je me réjouis, à l'instar du président Nicolas About.

Il s'agit d'une première, même si nous avions contribué à un débat sous une autre forme l'année dernière. J'espère que ce nouvel environnement favorisera le dialogue entre le ministère des finances et celui des affaires sociales.

Cette discussion en amont des grandes lignes du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, à la lumière des comptes de l'année écoulée, 2005, et de ceux de l'année en cours, 2006, est une innovation que nous avions souhaitée lors de l'élaboration du nouveau cadre organique institué par la LOLFSS, et qui va, me semble-t-il, prouver son utilité cette année.

J'ai souhaité concentrer mon intervention sur l'évolution actuelle des finances sociales et sur leurs perspectives, et la décliner autour de quatre constats.

Premier constat : l'objectif rappelé tout à l'heure par Xavier Bertrand, à savoir le retour à l'équilibre en 2009, s'annonce particulièrement difficile.

Deuxième constat : les relations entre l'État et la sécurité sociale manquent de transparence. La sécurité sociale est trop souvent utilisée comme une variable d'ajustement pour le budget de l'État ; je l'ai maintes fois dénoncé, mais je constate que j'ai quelques difficultés à me faire entendre. Il ne faut jamais désespérer ; j'espère qu'aujourd'hui je serai entendu.

Troisième constat, particulièrement préoccupant : aucune solution ne semble se dessiner pour faire face à la situation qui est devenue intenable du fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, le FFIPSA. J'ai cru comprendre que Jean-François Copé en avait conscience, et j'espère qu'il en est de même pour Thierry Breton.

Un effort a été accompli l'année dernière sur le FFIPSA. Je fais partie du Conseil d'orientation des finances publiques. Jean-François Copé nous a rappelé que 2, 5 milliards d'euros avaient été « mis au pot ». Sur les 3, 2 milliards d'euros que représente le basculement du BAPSA vers le FFIPSA, il manque 700 millions d'euros, sans compter le flux, que nous avons laissé courir. Le tout cumulé représente une somme non négligeable, que je rappellerai dans quelques instants.

Quatrième constat : la réforme du financement de la protection sociale est une entreprise complexe, comme le montrent de récents rapports, notamment celui qui concerne l'expérience allemande ; cette dernière a fait l'objet d'une étude de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, mise en place au début de l'année par notre commission et que j'ai l'honneur de présider.

S'agissant du retour à l'équilibre en 2009, qui apparaît particulièrement délicat, certes, grâce aux réformes menées par le Gouvernement, les tendances antérieures se sont très nettement infléchies.

Le déficit du régime général pour 2005 s'établit à 11, 6 milliards d'euros. Il devrait s'élever à un peu plus de 10 milliards d'euros en 2006, ce qui représente un léger infléchissement. Si rien n'avait été fait, je le dis à l'intention de nos collègues de l'opposition qui, trop souvent, regrettent la situation du déficit, il aurait atteint 16 milliards d'euros. Des efforts sensibles ont donc été accomplis.

Mais chacune des branches est en déficit, pour la deuxième année consécutive, et les perspectives d'amélioration restent soumises à de fortes incertitudes.

En ce qui concerne d'abord les recettes, on doit observer que les exercices 2005 et 2006 ont bénéficié, j'espère que vous en conviendrez, de recettes exceptionnelles. En 2005, la soulte des industries électriques et gazières a représenté 0, 4 point dans la croissance des recettes et, comme le souligne à juste titre la Cour des comptes, cette ressource exceptionnelle n'est « pas reproductible ».

De même, en 2006, la modification des modalités de taxation des plans d'épargne logement de plus de dix ans devrait permettre d'engranger 2 milliards d'euros, soit le double des prévisions de la loi de financement pour 2006. Ces recettes ont permis d'améliorer sensiblement les résultats. Là encore, il s'agit d'un fusil à un coup, car ce sont des recettes en grande partie non reconductibles.

Enfin, mais cette fois-ci nous devons nous en féliciter, le recul du chômage a entraîné une évolution positive de la masse salariale et donc permis un meilleur rendement de la CSG. Il faut simplement espérer que cette tendance positive se maintienne au cours des prochains mois et que la croissance reste à un niveau suffisamment élevé.

Du côté des charges, on observe un indéniable ralentissement des dépenses d'assurance maladie. La progression de l'ONDAM a été contenue à 3, 9 % en 2005, après avoir atteint 4, 9 % en 2004 et 6, 4 % en 2003. Xavier Bertrand a eu raison de rappeler tout à l'heure que l'ONDAM de 2005 est le seul à avoir été respecté depuis 1997. Le premier ONDAM résultait de la « réforme Juppé », donc de la première loi de financement de la sécurité sociale. La situation n'a cessé de déraper les années suivantes par rapport à l'objectif que nous avions voté.

Pour 2006, la prévision est de + 1, 7 %, ce qui est très nettement inférieur aux exercices antérieurs. Ce chiffre démontre à lui seul le chemin parcouru et la volonté du Gouvernement non seulement d'agir, mais d'obtenir des résultats concrets.

Néanmoins, dans son avis du 31 mai dernier, le comité d'alerte a constaté un dérapage de 600 millions d'euros sur les soins de ville. Il n'est pas encore en mesure de se prononcer sur les dépenses des établissements de santé, mais rien ne dit que, dans ce secteur, on ne doive pas enregistrer des dépenses supplémentaires en fin d'année, comme cela a été constaté en 2005, à hauteur de 670 millions d'euros.

Je vous rappelle au passage que le rapport de la MECSS sur la dette sociale a fait état d'importants reports de charges des hôpitaux publics, atteignant plus de 400 millions d'euros. Les nouveaux EPRD, les états prévisionnels de recettes et de dépenses des hôpitaux, permettront d'y voir plus clair, mais la situation reste globalement déficitaire.

Je souhaite insister sur le problème du médicament. Si l'on constate en effet une certaine inflexion dans la progression des dépenses, rien ne semble être encore acquis. Le comité d'alerte affirme d'ailleurs : « c'est dans le domaine du médicament que le risque de dépassement de l'objectif, ambitieux, fixé pour 2006 est le plus grand ».

Pour suivre au plus près les évolutions de ce poste de dépenses, l'une des clés de la réussite de la réforme de l'assurance maladie, je renouvelle notre souhait, messieurs les ministres, de pouvoir disposer d'un sous-objectif de l'ONDAM exclusivement consacré aux dépenses de médicaments. L'idéal serait même de le décomposer en deux parties : l'une pour les médicaments prescrits en ville, l'autre pour les médicaments prescrits à l'hôpital.

Le ministre de la santé souhaiterait peut-être bénéficier de moyens humains supplémentaires pour l'aider dans sa tâche. Mais comme M. Copé et M. Breton sont en train de réfléchir à la diminution des effectifs de la fonction publique, sans doute pourraient-ils, à cette occasion, procéder à un redéploiement des moyens humains du ministère des finances vers le ministère de la santé pour aider M. Bertrand dans le travail qu'il doit effectuer. Car après toutes les demandes qui ont été présentées tout à l'heure par le président Nicolas About, les collaborateurs du ministre vont devoir se mettre à l'oeuvre.

Il faut tirer tous les enseignements de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui a accru de façon considérable la tâche du ministère de la santé. D'ailleurs, monsieur le ministre des finances, le document que vous nous avez remis est particulièrement discret et manque d'éléments d'information pour le Parlement sur l'évolution des finances sociales.

Vous avez été très exhaustif en ce qui concerne la loi de finances, car c'est un exercice auquel vos collaborateurs sont habitués. Mais les finances sociales sont plutôt du ressort du ministère de la santé. Alors, donnez à ce dernier les moyens nécessaires ! Ainsi, l'année prochaine, nous aurons un document qui correspondra tout à fait à notre attente. Je ne doute pas que vous effectuerez ce redéploiement.

Pour ce qui est de la branche vieillesse, nous avons encore quelques doutes sur son avenir. Ainsi, la commission des comptes de la sécurité sociale, dans son rapport publié le 8 juin dernier, a révisé à la hausse les dépenses de la CNAV pour 2006 à hauteur d'un peu plus de 800 millions d'euros.

Ladite commission évoque un point important, qui n'a pas été abordé tout à l'heure par notre collègue rapporteur général, mais qu'il y a lieu d'intégrer dans l'évolution des dépenses futures de la branche vieillesse : il est extrêmement difficile pour la CNAV de chiffrer des prévisions qui sont liées à l'évolution du comportement des futurs retraités. Il y a là une véritable incertitude, ce qui est inhabituel dans le domaine des retraites.

Deux phénomènes se cumulent : le nombre des départs intervenus dans le cadre des carrières longues - lorsqu'on a voté la réforme, on a sous-estimé l'effet qui résulterait de ce droit, tout à fait légitime, que nous avons ouvert à nos concitoyens -, et le comportement de la première génération du baby -boom, qui arrive aujourd'hui, à 60 ans, à l'âge de la retraite.

J'ai le sentiment qu'un nombre non négligeable de salariés, inquiets des effets de l'application de la réforme, font valoir plus rapidement leurs droits qu'ils ne l'auraient fait si les règles n'avaient pas changé. Ce n'est pas pour autant qu'il aurait fallu ne rien faire. Mais cette anticipation de départs à la retraite représente des dépenses supplémentaires importantes à la charge de la CNAV. La présidente de la CNAV avait évalué à 350 millions d'euros le coût d'un mois d'anticipation. Imaginez ce qu'il en est pour une année complète ! Ainsi, l'amplification du déficit peut résulter du seul changement de comportement des futurs retraités.

S'agissant de la branche famille, enfin, la croissance des dépenses reste très dynamique, principalement du fait de la montée en charge de la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE, dont le coût avait été largement sous-estimé. Sa progression devrait rester significative et entraîner un déficit qui pourrait se maintenir plus longtemps que cela n'avait été envisagé par le Gouvernement ; de conjoncturel, celui-ci pourrait devenir, peu à peu, structurel. Je vous rappelle que le déficit prévisionnel est de 1, 5 milliard d'euros pour 2006.

Je retiens de l'audition de Mme Prud'homme, présidente de la CNAF, qu'il est peu probable que la situation des comptes de la CNAF s'améliore avant 2009. Et ce ne serait peut-être pas avant l'année 2010 que la CNAF pourrait retrouver l'équilibre et espérer renouer avec des excédents d'exploitation d'une année sur l'autre.

Je me permets d'attirer l'attention du ministre de la santé et du ministre des finances sur un point : ce n'est certainement pas en ayant adopté la mesure qui figurait dans le projet de loi réformant la protection de l'enfance afin de compenser les nouvelles charges devant être supportées par les collectivités locales, en particulier les départements, que l'on va améliorer les comptes de la branche famille.

Mme Prud'homme a été très claire : à niveau de charges constant, on renouera avec l'équilibre et les excédents à partir de 2010. Mais si, chaque année, on ajoute 100 millions ou 200 millions d'euros à la charge de la CNAF, on retardera d'autant l'atteinte de l'équilibre en 2010. Cet objectif peut être compromis par les dispositions que nous adoptons au travers de différentes lois ordinaires.

Cette observation me donne l'occasion de rappeler à MM. les ministres ainsi qu'aux membres de la commission des finances - mais ils en sont sans doute aussi soucieux que nous-mêmes - que les lois ordinaires ne devraient plus être présentées au Parlement sans être accompagnées d'une étude de leur impact financier non seulement sur la loi de finances, mais également sur la loi de financement de la sécurité sociale.

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