Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant dispositions statutaires applicables aux membres de la Cour des comptes, qui nous est soumis, ne présente pas de bouleversement spectaculaire et revêt un caractère avant tout technique.
Il s'inspire pour une grande part, et sans grande surprise, du statut des magistrats du Conseil d'État concernant les dispositions relatives au recrutement et au déroulement de la carrière de ses membres. Il dote la Cour des comptes d'un conseil supérieur, véritable instance consultative compétente pour toutes les questions relatives à l'organisation de la juridiction et à la situation individuelle des magistrats. Cette dernière mesure est nécessaire dans un État de droit. Elle était attendue depuis 2001, comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur.
Depuis 1834, sous la Monarchie de Juillet, les travaux de la Cour des comptes ne sont plus réservés au secret des rois ou des empereurs. Ils sont publics car, comme le disait Montesquieu, « il n'est pas indifférent que le peuple soit éclairé ».
Aujourd'hui, il nous est proposé d'examiner le projet de loi portant dispositions statutaires des magistrats, qui se devrait, à l'image de ses travaux, de favoriser cette transparence. Permettez-moi, mes chers collègues, d'exprimer quelques doutes à ce sujet.
Ce texte est prématuré selon certains, au nombre desquels je figure, et constitue une occasion manquée d'unifier les juridictions financières, alors que d'aucuns, malicieux, le qualifieront d'« opportun », pointant l'année 2007 !
Ce projet de loi est donc prématuré dans la mesure où il aurait été souhaitable de l'intégrer dans la réforme prévue par le Président de la République tendant à refondre les grands corps. Au nom de quelle opportunité est-il préférable de légiférer maintenant, alors que le sujet sera remis à l'ordre du jour du Parlement d'ici - soyons optimistes ! - à quelques mois ?
Les dispositions contenues dans la plupart des articles de ce projet de loi s'alignent sur celles qui régissent les membres du Conseil d'État ou bien tirent les conséquences de l'autonomie de la Cour par rapport au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais de telles questions doivent-elles être débattues aujourd'hui ? Une réflexion d'ensemble sur la politique à mener dans ce domaine et sur l'accès aux grands corps de l'État est engagée, à la demande du Président de la République, je le répète, et du Premier ministre. Il paraît donc délicat de réformer le dispositif existant sur ces points, en privilégiant telle ou telle spécificité de l'un des trois grands corps, au risque de modifier les équilibres actuels.
Ce texte est également une occasion manquée. La possibilité de proposer un rapprochement du corps des magistrats de la Cour avec celui des chambres régionales des comptes n'est à aucun moment énoncée. Seules des dispositions marginales sont proposées au fil du texte. Elles consistent, principalement, aux termes de l'article 15, au doublement de la part des emplois de conseiller de chambre régionale des comptes pourvus au tour extérieur. Dont acte !
L'occasion de procéder au rapprochement des statuts des membres des juridictions financières a été manquée. Pourtant, des propositions ont été faites en ce sens par le syndicat des magistrats des juridictions financières. M. Dufaut, membre du groupe socialiste et rapporteur de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, en a d'ailleurs fait part au cours des débats.
Il convient aussi de noter que cette rénovation du statut des membres de la Cour des comptes était attendue, notamment pour ce qui concerne l'amélioration du déroulement des carrières et la partie disciplinaire. Une réforme avait été désirée, sur ces points, par la gauche, notamment par l'ancien Premier président de la Cour, Pierre Joxe. Mais toute initiative en ce sens avait alors été bloquée.
Maintenant, la nécessité de moderniser le statut des membres de la Cour apparaît comme une priorité.
Le contexte a changé très récemment. L'indépendance qui a été conférée en matière budgétaire aux juridictions financières par rapport au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie est réelle. Il faut d'ailleurs s'en féliciter. En raison de la création de la mission « Conseil et contrôle de l'État », constituée notamment du programme Cour des comptes et autres juridictions financières, la Cour est désormais rattachée au Premier ministre.
Cette indépendance nouvelle devrait lui permettre de recruter avec une plus grande latitude d'action ses experts.
Comme vous l'avez indiqué dans votre excellent rapport, monsieur Saugey, près de 40 % du corps des magistrats de la Cour travaillent à l'extérieur de l'institution, où ils acquièrent des compétences nouvelles. Il s'agit principalement des forces vives de la Cour, à savoir les conseillers référendaires. Il existe donc un large vivier de matière grise. Voilà cinq ans, 30 % d'entre eux seulement - allais-je dire - étaient en position de détachement ou mis en disponibilité.
Le domaine de compétence de la Haute Juridiction s'est accru régulièrement depuis quelques années. Une solution simple et de bon sens pour faire face à un déficit d'expertise affiché pour les contrôles de la Cour, ne serait-elle pas de prévoir, au regard de chacune de ses missions, le nombre de magistrats nécessaire à leur accomplissement et de limiter, à la marge, une trop grande volatilité des effectifs, au nom de la permanence du service public ?
Je souhaite encore dire quelques mots sur les effectifs réels de la Cour. Les magistrats en poste n'exercent pas toujours leur activité à temps plein et font ce que l'on appelle communément des « ménages », comme les autres membres des grands corps de l'État. On peut considérer qu'effectivement le recrutement de deux conseillers maîtres en service extraordinaire supplémentaires est nécessaire à la bonne marche des enquêtes. On peut surtout convenir qu'un effectif de travail à temps « moins partiel » permettrait à la Cour de faire l'économie des deux emplois de conseillers maîtres demandés à l'article 1er. J'ai d'ailleurs déposé un amendement sur ce sujet.
De plus, les règles de la mobilité externe ont déjà été adaptées au fonctionnement des juridictions. Les départs peuvent être temporairement compensés, depuis un décret de 1993, par l'emploi de fonctionnaires en détachement, comme des ingénieurs d'État ou des universitaires. La Cour peut, en outre, recruter par contrat des personnes venant du secteur privé. Si cette faculté était, de fait, limitée par le faible attrait que présentaient pour ces dernières les rémunérations offertes, la situation est un peu différente depuis que la Cour dispose d'un budget propre.
Par ailleurs, l'exigence de compétences acquises dans les services publics disparaît purement et simplement dans le recrutement au tour extérieur de conseiller maître.
Le présent projet de loi vise à rénover la carrière des membres de la Cour des comptes et, dans le même temps, à renforcer la présence, à côté de magistrats recrutés à la sortie de l'ENA, de magistrats intégrés après une première carrière passée à l'extérieur de la Cour. Le recrutement de personnes issues du secteur public ou du secteur privé ayant dirigé des organismes soumis au contrôle de la Cour devrait en être facilité.
L'ambition est louable mais, pour ce faire, les modalités de nomination des magistrats de la Cour au tour extérieur sont modifiées ; ainsi, la condition relative à la durée minimale de quinze ans passée dans le service public, jusque-là requise pour accéder à la maîtrise au tour extérieur, est supprimée.
Sous le prétexte d'aligner les règles applicables à la Cour sur celles qui sont en vigueur au Conseil d'État, alors que les conditions d'âge de recrutement sont différentes - 40 ans révolus pour la Cour des comptes, 45 ans pour le Conseil d'État -, on ouvre la porte à des nominations contestables. Aucune condition d'activité dans le service public, au sens large, ne serait plus requise pour en assurer les différents contrôles.
Le Gouvernement semble proposer une « micro loi » pour faciliter l'adaptation des textes à des situations qui permettent de répondre à des cas individuels tant elle entre dans le détail, laissant une impression de rédaction pro domo sua. Tel n'est pas l'esprit d'une loi. Comme le rappelait utilement le président du Conseil constitutionnel, M. Mazeaud, en début d'année, lors de la cérémonie des voeux au Président de la République, « le principe majoritaire ne garantit pas toujours la prise en compte, dans la conduite des politiques publiques, des intérêts supérieurs de la collectivité. Les mécanismes démocratiques de prise de décision font parfois plus grand cas d'un intérêt catégoriel actuel, organisé et bruyant...