Je vous remercie, madame la présidente. C'est un plaisir pour moi de retrouver cette tribune !
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, le projet de loi de lutte contre la contrefaçon.
L'Assemblée nationale a modifié à la marge le projet tel qu'il avait été adopté par le Sénat ; la seule petite avancée que nous pouvons relever concerne les requêtes non contradictoires.
En effet, nous avions soulevé en première lecture, apparemment à juste titre, la question de l'extension des procédures de saisine d'urgence du juge prévues par le projet de loi initial. Parce qu'elles permettent de ne pas entendre le défendeur et portent ainsi une atteinte relative aux droits de la défense, leur extension posait inévitablement le problème du respect du droit à un procès équitable.
Vous l'avez confirmé, monsieur le secrétaire d'État, l'Assemblée nationale a manifestement entendu les craintes exprimées à ce sujet, notamment par les magistrats, puisque des amendements ont été adoptés tendant à préciser que les procédures de requête devaient être réservées aux cas d'urgence, « lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur ».
Ces nouvelles dispositions atténuent donc le caractère attentatoire au droit à un procès équitable des procédures d'urgence introduites par le projet de loi et que nous dénoncions en première lecture. Mais il y a fort à parier que les victimes de contrefaçon, qui sont, dans la majorité des cas, de gros industriels, bien armés juridiquement, n'auront aucun problème à démontrer qu'un retard pris en raison de l'ouverture d'une procédure judiciaire sera de nature à causer un préjudice irréparable.
Quoi que l'on en dise, tous les défendeurs ne seront pas à armes égales avec les demandeurs. Si les contrefacteurs - et l'on pense d'abord à eux - sont souvent eux-mêmes de véritables professionnels de la contrefaçon, voire des industriels, certains seront désormais contrefacteurs malgré eux. Je pense ici aux producteurs de semences à la ferme qui, réutilisant leurs semences entre-temps brevetées, pourront être condamnés pour contrefaçon.
Plusieurs organisations syndicales s'inquiètent à ce sujet. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs été surprises de constater que des dispositions relatives aux variétés végétales avaient été incluses dans ce projet de loi sans concertation avec les principaux intéressés.
Or, depuis l'entrée en vigueur de la loi relative aux obtentions végétales du 1er mars 2006, les producteurs de semences se retrouvent enfermés dans un système de plus en plus verrouillé, étant contraints de se soumettre à la seule volonté des grandes firmes productrices de semences et détentrices des brevets.
Pourtant, la semence de ferme est une pratique ancestrale d'autoproduction de semence à la ferme à partir de la récolte : elle est particulièrement répandue puisqu'elle représente 50 % des surfaces céréalières en France, concerne 300 000 agriculteurs et permet à la France d'économiser environ 60 millions d'euros par an.
Or le projet de loi renforce l'idée selon laquelle autoproduire sa semence constitue une contrefaçon, au même titre que la copie mafieuse d'une invention ou le vol d'un brevet protégé.
Nous pensons qu'il est particulièrement dangereux d'assimiler la propriété du vivant à une quelconque propriété intellectuelle.
L'article 19, qui limitait la contrefaçon à l'échelle commerciale, a été supprimé : cela étend la notion de contrefaçon à l'autoproduction de semence et place chaque agriculteur sous le coup de sanctions financières et pénales pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement.
Ce choix est particulièrement surprenant au moment où le Grenelle de l'environnement s'apprête à encourager davantage ce mode de production économique et écologique pour une agriculture durable.
Le projet de loi, s'il vise un objectif a priori honorable, peut entraîner, à terme, des effets pervers.
Par ailleurs, la lutte contre la contrefaçon ne saurait se réduire à un durcissement des sanctions et à un renforcement de l'arsenal juridique. Cette lutte doit s'inscrire dans une réflexion plus globale sur les réseaux de production et d'échanges commerciaux. S'attaquer aux seuls effets de la contrefaçon est une chose ; essayer de réfléchir aux causes de cette contrefaçon en est une autre !
Nous comprenons bien que, pour d'évidentes raisons d'empressement et de communication, le Gouvernement préfère intervenir a posteriori, et donc n'agir qu'au niveau des sanctions. Il serait évidemment plus judicieux, selon, de faire en sorte que l'action de l'État se situe en amont. Or le projet de loi adopte un point de vue strictement hexagonal et juridique, occultant totalement le fait que la contrefaçon est aujourd'hui un phénomène mondialisé.
D'une part, la contrefaçon est bien souvent le fait de réseaux mafieux, parfaitement organisés. Qu'auront-ils, dès lors, à craindre de cette nouvelle loi ?
D'autre part, ne sont-ce pas les grandes industries elles-mêmes qui, en délocalisant, en cherchant à tout prix une baisse des coûts de main-d'oeuvre et de fabrication, ont favorisé l'expansion de la contrefaçon ? Dans ce domaine, les grandes marques récoltent finalement les fruits d'une politique de sous-traitance et de délocalisation qui nuit à la fois à l'industrie française et aux consommateurs.
II n'est pas rare que les produits authentiques et les produits contrefaisants sortent des mêmes usines !
Les entreprises portent donc une part de responsabilité dans l'expansion de ce phénomène, mais le Gouvernement ne semble pas s'en émouvoir.
Les pouvoirs publics ont eux aussi une part de responsabilité : il conviendrait de sensibiliser davantage les consommateurs aux méfaits de la contrefaçon, non seulement en termes de propriété intellectuelle, mais également de sécurité et de santé publiques. Des actions de sensibilisation ont déjà lieu à l'échelon local ; Michelle Demessine en a cité des exemples dans en première lecture. De telles actions mériteraient d'être menées à l'échelon national.
Là encore, prévoir des sanctions plus lourdes en cas de contrefaçon mettant en danger la santé ou la sécurité des consommateurs est loin d'être suffisant. Les consommateurs ont, eux aussi, un pouvoir de sanction en n'achetant plus de produits contrefaisants, mais, pour cela, ils doivent être mieux informés.
Enfin, la lutte contre la contrefaçon repose également sur les services des douanes qui, chaque année, procèdent à des saisies de millions de produits contrefaisants. Toutefois, ces services ne peuvent fonctionner que si on leur en donne les moyens.
Lutter contre la contrefaçon n'est donc pas qu'une question de sanctions ; c'est aussi une question de volonté et de moyens. Manifestement, le Gouvernement ne s'engage pas dans cette voie ! Sinon, comment expliquer les suppressions de postes dans les douanes ?
Ces raisons nous conduisent, mon groupe et moi-même, à maintenir notre position critique à l'égard de ce projet de loi. Par conséquent, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront.