Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : le déficit de la sécurité sociale atteindra 0, 8 % du PIB, le déficit du régime général se creuse de 11, 5 milliards d'euros, soit la plus forte dégradation de l'histoire de la sécurité sociale. L'appréciation est non pas de moi, mais de la Cour des comptes.
En parlant de sommet, il est difficile de ne pas noter le niveau sans précédent atteint par la dette : 64, 8 % du PIB.
Dès lors, on peut légitimement revenir, monsieur le ministre, sur la question que j'ai posée tout à l'heure : qu'avez-vous fait de la croissance ? Comment peut-on arriver à des soldes publics aussi inquiétants avec un retour de croissance, même timide ? Comment peut-on, en loi de finances initiale, autant se tromper sur les prévisions de croissance à la baisse - 1 % au lieu de 2, 4 % - et, en exécution, obtenir des soldes publics conformes aux prévisions initiales ? C'est impossible a priori, sauf à utiliser les dépenses autorisées par le Parlement comme variable d'ajustement.
J'en viens à mon deuxième point.
L'exécution du budget de 2004 est, comme l'année précédente, placée sous le signe d'une forte régulation budgétaire. Encore une fois, vous avez utilisé, bien au-delà du raisonnable, monsieur le ministre, le principe de l'autorisation parlementaire pour geler, puis annuler plus de 5 milliards d'euros. Ce sont en effet exactement 5, 4 milliards d'euros qui ont été « régulés » l'an passé : 2, 4 milliards d'euros ont été proprement annulés et 3 milliards d'euros ont été gelés. Sur ces 5, 4 milliards d'euros, près de 50 % sont des crédits d'investissement.
Comment voulez-vous préparer l'avenir avec de telles méthodes ? Sur ces 5, 4 milliards d'euros, plus de 25 % touchent les seuls budgets de l'emploi, de l'intérieur et des transports. Comment voulez-vous répondre aux attentes quotidiennes des Français avec de tels choix ? Sur ces 5, 4 milliards d'euros, le Parlement n'a pas été informé de la répartition des chapitres budgétaires concernés. Comment voulez-vous assurer la confiance démocratique avec de telles pratiques ?
De plus, vous avez gelé 5, 4 milliards d'euros alors même que votre prévision de croissance était largement sous-évaluée. Que serait-il advenu, mes chers collègues, si la prévision avait été surévaluée ? Je n'ose l'imaginer. Admettez que la situation est étonnante. Que vous considériez idéologiquement la dépense publique comme foncièrement mauvaise est une chose, que vous choisissiez de baisser toujours plus les impôts des plus aisés en est une autre. Mais que vous fassiez aussi peu de cas de la situation réelle des Français, de leurs besoins ou de leurs difficultés, en remettant en cause les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et la précarité, c'est tout autre chose !
Que vous souhaitiez réduire les dépenses pour alléger le déficit budgétaire, c'est un choix souvent nécessaire. Mais, le pire, c'est que même en gelant « à tour de bras », vous n'y parvenez pas : de 52, 6 % du PIB en 2001, le déficit passait déjà à 54, 6 % à la fin de l'année 2003.
Le projet de loi de finances rectificative que vous nous présentez cette année est marqué par deux éléments majeurs : des recettes très supérieures aux prévisions de la loi de finances initiale, et, malgré votre tour de passe-passe comptable, un niveau de dépenses supérieur de 1, 8 milliard d'euros à ces mêmes prévisions.
L'évolution des dépenses est, non par nature, mais dans son schéma actuel, doublement problématique. En effet, elle affecte des politiques publiques essentielles en réduisant des lignes budgétaires importantes, mais elle enfreint aussi une règle de bonne gestion simple : ne pas financer des dépenses pérennes par des ressources exceptionnelles. Or force est de constater que l'ouverture de dépenses nouvelles pour 1, 8 milliard d'euros dans ce collectif nous conduit justement à nous interroger sur ce champ précis.
Vous avez pris l'engagement d'annuler des crédits en 2005 à hauteur de ces ouvertures. Mais est-ce réellement une méthode viable ? N'allons-nous pas au contraire, en repoussant à demain les solutions aux problèmes qui se posent aujourd'hui, au-devant de nombreuses incertitudes ?
Cette pratique rompt avec les engagements pris depuis 2002 dans le cadre de la mise en place de la LOLF.
Elle augure mal de la capacité du Gouvernement à limiter à 3 %, comme le réclame la LOLF, les reports de crédits d'un budget sur l'autre, seuil qui devra de facto être respecté pour l'exécution du budget de 2006.
La question se pose légitimement en ce qui concerne le projet de loi de finances pour 2005, car en plus des sous-dotations manifestes de ce budget - je citerai, par exemple, la revalorisation de l'indice des traitements de la fonction publique ou le régime de protection sociale des agriculteurs -, vous devez d'ores et déjà intégrer la somme de 1, 8 milliard d'euros de dépenses nouvelles de 2004. Le ministre délégué au budget a, quant à lui, avancé hier le chiffre de 4 milliards d'euros de coupes budgétaires dès le début de l'année.
Ce double jeu de reports de dépenses entre projets de loi de finances, entre annulations de crédits et dépenses nouvelles en collectif budgétaire, est donc tout à la fois dangereux pour les finances publiques, bien éloigné de la transparence que vous vantiez tout à l'heure, monsieur le ministre, et contraire à l'esprit même de la LOLF.
J'en viens à ma conclusion, monsieur le ministre : erreurs dans le diagnostic, erreurs dans l'application, absence de sincérité budgétaire à peine déguisée et mise en cause réelle de l'avenir de nos finances, autant de raisons qui nous amèneront à marquer notre opposition à votre projet de loi de finances rectificative tout au long de cette discussion.