La disposition est très importante.
Monsieur le rapporteur général, à la suite de votre exposé très clair et des réserves que vous avez exprimées, je souhaite apporter des observations à la fois sur le fond et sur la forme, à vous-même, ainsi qu'à l'ensemble de la Haute Assemblée. J'espère que mes arguments bénéficieront de la même attention que les vôtres et qu'ils emporteront la conviction de l'assemblée.
Sur la forme, je vous fais observer que cette disposition a été intégrée dès l'origine dans le projet de loi de finances rectificative. Par conséquent, l'on ne saurait arguer du caractère tardif de son dépôt, dès lors qu'elle est soumise à votre examen en même temps que toutes les autres dispositions, sauf à considérer qu'aucune d'entre elles n'est recevable de ce point de vue, auquel cas il faudrait revoir l'ensemble de notre procédure. Mais je n'imagine pas que ce soit là votre pensée.
Vous vous demandez peut-être si le Gouvernement a procédé à des concertations avant de soumettre ce texte au Parlement. Je m'empresse de vous rassurer, nous avons effectivement consulté un certain nombre d'organismes représentatifs des entreprises, ainsi que le Conseil d'Etat.
Sur le fond, maintenant, je tiens à vous apporter tous les apaisements qui, je l'espère, vous conduiront à revoir en profondeur votre position.
Le code de commerce dispose que le bilan d'ouverture d'un exercice correspond au bilan de clôture de l'exercice précédent. Comme vous l'avez rappelé, cette règle implique que, lorsque des erreurs comptables sont constatées, elles ne peuvent être rectifiées qu'au cours de l'exercice de leur découverte, alors même qu'elles concerneraient les exercices antérieurs. Cette règle doit être combinée avec notre droit fiscal et, notamment, la prescription de trois ans.
Concrètement, quand un vérificateur constate une erreur comptable récurrente dans le bilan d'une entreprise, il doit en tirer les conséquences fiscales sur l'ensemble des exercices vérifiés.
En 1973, le Conseil d'Etat a jugé que l'administration fiscale devait appliquer les corrections comptables qu'elle jugeait nécessaires au seul bilan de clôture du premier exercice non prescrit. C'est ce que l'on a appelé le principe de l'intangibilité du bilan.
En juillet dernier, le Conseil d'Etat est revenu sur cette jurisprudence. Considérant qu'il appartenait au législateur de fixer le droit en la matière, il a invité le Gouvernement à proposer un texte au Parlement. Cette procédure était donc indispensable, sauf à demeurer dans une situation de vide juridique majeur.
En proposant un texte aussi rapidement, c'est-à-dire quelques mois seulement après le revirement de jurisprudence, le Gouvernement a voulu rétablir une certaine sécurité juridique pour les entreprises, lesquelles pouvaient légitimement se croire à l'abri en vertu d'une jurisprudence vieille de plus de trente ans.
Le texte que je vous propose est le fruit d'une réflexion extrêmement nourrie et, je l'ai dit, de diverses concertations, plusieurs voies ayant été expertisées.
La présente version résulte d'une proposition du Conseil d'Etat. Le texte qui vous est soumis ne retranscrit pas en l'état la jurisprudence trentenaire : il tient compte des critiques qu'elle a suscitées, ainsi que de certaines propositions d'aménagement qui étaient souhaitées par les entreprises.
Ensuite, contrairement à la jurisprudence, il instaure un véritable droit à l'oubli au terme du délai de conservation par les entreprises de leurs documents comptables.
En outre, son champ est réduit à certains types d'erreur, au lieu de couvrir toutes les erreurs entachant le bilan.
Enfin, il vous est proposé d'appliquer ces correctifs pour le passé et, donc, de renoncer à certaines rectifications déjà opérées par le service du contrôle fiscal.
Vous pourriez m'objecter que le Gouvernement aurait pu laisser les choses en l'état et se contenter de suivre la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat. Mais il n'aurait alors manifesté ni souci de bonne gestion des deniers publics - sujet sur lequel votre commission est particulièrement sensible - ni sens des responsabilités, dimension sur laquelle l'ensemble de votre assemblée se montre très vigilante.
Surtout, assumer le revirement de cette jurisprudence, reviendrait à assumer un contentieux de masse. C'est là mon dernier argument, et il est fort, car les enjeux budgétaires dépasseraient 1, 5 milliard d'euros par an, soit un coût total pour le passé qui pourrait être supérieur à 4 milliards d'euros.
Suivre cette jurisprudence, ce serait également admettre une double déduction de certaines charges pour le futur et les pertes de recettes budgétaires correspondantes pour les contribuables n'ayant pas respecté les règles en vigueur. Ce serait, vous en conviendrez, une source d'iniquité, avec une prime à l'incivisme fiscal pour le même prix !
Telles sont les raisons pour lesquelles j'ai le sentiment de proposer des mesures permettant à la fois de répondre aux attentes exprimées à travers le revirement de jurisprudence du Conseil d'Etat et de sécuriser un dispositif qui, sinon, risque, aujourd'hui, de donner lieu à de nombreux malentendus et à de graves contentieux.