Intervention de Jean Bizet

Réunion du 11 juin 2009 à 9h00
Débat européen sur le suivi des positions européennes du sénat — I. - profils nutritionnels

Photo de Jean BizetJean Bizet, au nom de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté une proposition de résolution concernant les profils nutritionnels pour les denrées alimentaires.

Un règlement communautaire de décembre 2006 a établi un cadre, harmonisé pour le marché intérieur, destiné à garantir la loyauté des « allégations nutritionnelles », c’est-à-dire la communication commerciale sur les caractéristiques nutritionnelles des produits alimentaires. Il s’agissait d’assurer la bonne information du consommateur en interdisant, par exemple pour des produits très sucrés ou très gras, des mentions publicitaires ou valorisées sur les emballages du type « riche en fer », « apport en vitamines », « allégé en sel », etc.

L’idée était d’éviter que les industriels de l’agroalimentaire n’induisent en erreur les consommateurs sur les caractéristiques nutritionnelles réelles des aliments en insistant sur un point positif et en restant très discrets sur les aspects plus négatifs des produits, au sens sanitaire.

Pour rendre applicable cette réglementation de 2006, encore faut-il définir le « profil nutritionnel » de ces aliments, c’est-à-dire leurs proportions en nutriments que l’on juge acceptables. Il ne suffit pas d’affirmer qu’un produit est trop gras ou trop salé pour qu’on puisse faire de la publicité sur ses apports en calcium ; il faut également définir exactement en quoi il est trop gras ou trop salé. C’est pourquoi il est nécessaire, par catégorie de produits, d’établir des profils fixant les proportions maximales de sucre, de sel – sodium –, d’acides gras saturés ou d’acides gras trans à respecter pour pouvoir avancer des allégations nutritionnelles.

Cette définition des profils nutritionnels doit faire l’objet d’un règlement communautaire d’exécution qui, en raison de son caractère essentiellement technique, est adopté par la Commission européenne, sous le contrôle du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen, dans le cadre d’une procédure dite de « comitologie ». Sous l’égide de la direction générale de la santé et des consommateurs, la DGSANCO, un comité d’experts représentant les vingt-sept États membres, qu’on appelle le CPCASA – Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale –, s’est ainsi réuni au cours de l’année 2008 pour fixer, par catégories de produits alimentaires, les seuils de nutriments définissant leurs profils spécifiques.

Or, au sein de ce CPCASA, se sont affrontées deux philosophies, correspondant à deux modèles alimentaires. Pour schématiser, on trouve, d’un côté, les Britanniques et les pays nordiques, pour lesquels la bonne santé de la population, et en particulier la lutte contre le surpoids et l’obésité, est essentiellement assurée par le contenu nutritionnel des aliments et, de l’autre, un groupe de pays continentaux – la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas – qui estiment que c’est l’équilibre alimentaire global qui est déterminant, et que celui-ci est assuré par le respect de bonnes habitudes – par exemple manger à heures fixes, varier la nourriture, avoir des apports quotidiens en fruits et légumes frais.

Comme la DGSANCO est plus perméable au premier modèle, ses travaux ont abouti à un projet de règlement fixant des normes assez strictes pour les profils, tellement strictes pour certains qu’elles privaient la quasi-totalité de quelques catégories de produits de tout droit à allégation nutritionnelle : c’était en particulier le cas de la biscuiterie, des fromages et du pain.

Cette situation était absurde pour deux types de raisons.

Premièrement, s’agissant des fromages, il convient de distinguer ceux qui sont produits de manière traditionnelle et ceux qui résultent de processus industrialisés. Les premiers étant issus de la première transformation du lait, leur contenu nutritionnel ne peut pas être modifié. Dès lors, leur imposer des seuils très stricts en matière grasse et en sel leur interdirait de communiquer sur leurs apports en calcium, alors que n’importe quel soda ou jus de fruit enrichi en calcium pourrait, de son côté, vanter cet apport nutritionnel.

Deuxièmement, en ce qui concerne la biscuiterie, le problème est différent : l’industrie agro-alimentaire peut naturellement réduire les teneurs en sel, en sucre ou en matière grasse, mais si l’on fixe des seuils trop stricts, elle n’aura aucun intérêt économique à investir dans la recherche-développement, le retour sur investissement étant beaucoup trop lointain et aléatoire si elle ne peut pas rapidement communiquer sur ses efforts en la matière.

Il y avait donc dans ce dossier un problème de proportionnalité par rapport aux objectifs poursuivis par le règlement de 2006.

Cette situation a ému les professionnels, notamment ceux du secteur laitier, qui m’ont alerté au début de l’année. C’est ce qui a conduit à l’adoption, par la commission des affaires européennes d’abord, par celle des affaires économiques ensuite, de la résolution n° 83 qui vous a été distribuée.

Cette résolution, telle qu’adoptée par la commission des affaires économiques, demande essentiellement deux choses au Gouvernement.

D’abord, une méthode : vous savez que, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, les assemblées françaises peuvent adopter des résolutions européennes sur tout document émanant d’une institution européenne, et non plus uniquement sur les seuls projets formalisés de directives ou de règlements transmis au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen. Cette extension constitue une anticipation du traité de Lisbonne, et c’est sur elle que je me suis appuyé pour faire intervenir le Sénat, le texte en cause n’étant qu’un document de travail de la Commission européenne, et non un véritable projet de règlement.

Le problème, c’est que la Commission produit quotidiennement des dizaines de ces documents, et qu’il est matériellement impossible au Parlement français d’avoir connaissance de l’intégralité de cette production. Si la plupart d’entre eux sont essentiellement techniques et ne justifient pas d’intervention, certains, cependant – l’exemple qui nous préoccupe en témoigne –, ont également un caractère politique affirmé.

Il est donc nécessaire que le Gouvernement transmette aux assemblées les projets de mesures portant sur des sujets présentant un intérêt politique. C’est notre premier souhait.

Ensuite, la résolution demande au Gouvernement de s’opposer à l’adoption de seuils de nutriments qui seraient inadaptés pour certains produits. Dans cette perspective, la résolution formule trois recommandations.

En premier lieu, pour ce qui concerne les profils nutritionnels, elle s’oppose à la fixation de seuils de nutriments inadaptés pour certaines denrées ou qui favoriseraient la communication des produits standardisés issus de l’industrie agroalimentaire : il vaut mieux manger un peu de fromage, un peu de légumes et des fruits que d’assurer ses apports quotidiens en calcium, en fer et en vitamines par la consommation de sodas enrichis par ces nutriments…

En second lieu, de façon plus générale, il convient que les représentants français à Bruxelles fassent systématiquement valoir la nécessité d’examiner les problématiques alimentaires dans une perspective globale et de respecter la diversité des traditions alimentaires propres à chaque État membre.

Ce point est très important, car il ne doit pas être question que la Commission, sous couvert de préoccupations sanitaires, en vienne à imposer un modèle alimentaire unique, qui plus est si ce modèle est anglo-saxon. Du reste, j’ai consacré une partie de mon rapport à faire état d’études scientifiques qui tendent à démontrer que ce modèle est en réalité probablement beaucoup moins efficace pour lutter contre le surpoids et l’obésité que le modèle latin, représenté en particulier par les habitudes françaises.

Aussi, notre opposition n’est pas seulement culturelle ; elle est aussi sanitaire, ainsi que le relèvent plusieurs des considérants de la proposition.

Enfin, la dernière demande est de principe : les pouvoirs d’exécution conférés à la Commission européenne, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause puisqu’ils sont indispensables, doivent cependant toujours respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, principes auxquels la commission des affaires européennes du Sénat est tout particulièrement attentive, ainsi que, évidemment, les objectifs des textes communautaires, qu’il s’agit de rendre applicables.

Dans le cas qui nous préoccupe, les profils sont non pas un instrument de santé publique, mais simplement un outil technique destiné à garantir que l’information commerciale destinée aux consommateurs en matière nutritionnelle est loyale. C’est uniquement cet objectif que le règlement d’application doit s’attacher à satisfaire, et pas un autre.

Cependant, depuis l’adoption de cette proposition de résolution par la commission des affaires économiques, il semble que les choses ont considérablement évolué, apparemment dans le bon sens, ce qui est heureux.

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais que vous puissiez, en quelques mots, faire le point sur l’état de ce dossier, d’abord en nous informant précisément sur les démarches du Gouvernement français avant et après l’adoption de la résolution du Sénat, ensuite, et surtout, en nous indiquant quel est aujourd’hui l’état d’esprit de la Commission et ce que l’on doit attendre de ses décisions à venir.

Un certain nombre d’industriels ont engagé des actions de recherche et de développement et ils doivent savoir quelles orientations donner à leur politique industrielle.

Monsieur le secrétaire d'État, le Sénat peut-il avoir le légitime espoir d’être aussi bien entendu sur ce dossier qu’il l’a été sur celui du vin rosé ?

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