Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 11 juin 2009 à 15h00
Avenir du programme de l'airbus a400m — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner l’importance de la question de notre collègue Jean-Jacques Mirassou, qui interroge le Gouvernement sur ce qu’il compte entreprendre pour tenter de sauver le programme européen de nouvel avion de transport militaire A400M.

« Sauver », le terme n’est pas trop fort, car il s’agit bien d’un programme que de grands industriels européens de l’aviation n’ont pas su mener à bien, même s’ils ne sont pas les seuls responsables de ce que l’on peut aussi appeler un « fiasco ».

L’échec actuel de ce programme européen est révélateur de beaucoup de choses et comporte des enjeux d’une importance majeure.

Les enjeux, ce sont, par exemple, les capacités opérationnelles de nos forces armées, les menaces qui pèseraient sur de nombreux emplois dans notre pays, le savoir-faire de milliers d’ingénieurs, cadres techniciens et ouvriers de nos industries aéronautiques, mais aussi la capacité des industries aéronautiques européennes à construire un avion de transport militaire.

J’espère donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous apporterez des réponses précises sur l’état actuel des discussions engagées avec nos partenaires européens et avec EADS.

Il me semble toutefois que les dernières informations de presse faisant état d’une nouvelle demande de moratoire d’EADS aux gouvernements participant au programme ne sont pas de bon augure. Comment doit-on interpréter ce nouveau délai ? Quelles en sont les raisons ? À quoi cela servira-t-il ?

Lorsque, au début de cette année, EADS a annoncé qu’il serait incapable de tenir les délais de livraison de l’avion, ses spécifications et, bien sûr, son coût, les gouvernements européens ont rapidement considéré qu’il fallait renégocier les contrats, comme le souhaite d’ailleurs l’avionneur. EADS a donc déjà bénéficié d’un moratoire pour présenter de nouvelles propositions, ce qui permettait temporairement d’éviter que certains pays n’annulent leurs commandes et ne demandent l’application de pénalités qui auraient signé l’arrêt de mort du nouvel appareil.

Je crois ainsi comprendre que le ministre de la défense cherche à trouver un compromis sur un nouveau calendrier, sur le partage des coûts et sur les solutions de remplacement temporaires pour les différentes armées.

Nous attendons donc que vous nous exposiez tous les tenants et aboutissants de ce dossier.

Mais, pour ne pas commettre de nouvelles erreurs, il faut tout de même tirer quelques enseignements de cette malheureuse opération qui nous avait été présentée par la ministre de l’époque comme le nec plus ultra de l’économie de marché au service des industries de défense.

Le résultat, aujourd’hui, est que les forces armées d’Europe et de Turquie n’auront cet avion ni dans les délais ni aux coûts sur lesquels EADS s’était engagé.

Les raisons avancées par EADS pour expliquer les retards ont été essentiellement techniques : l’entreprise a insisté sur la difficulté à faire réaliser un moteur entièrement nouveau par quatre constructeurs européens différents ainsi que sur la peine à satisfaire les exigences particulières de chaque pays à partir d’un modèle de base.

À ces raisons s’en ajoutent d’autres, plus profondes.

Les responsabilités sont partagées entre les industriels et les gouvernements, dont celui auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État. Cela s’explique, car ils ont souvent des conceptions proches dans le domaine économique et social.

Je vois quatre explications principales à l’échec actuel du programme de l’Airbus A400M.

Tout d’abord, ce contrat de type purement commercial était totalement inadapté aux exigences et aux spécificités d’un programme d’équipement militaire.

Ensuite, les quatre constructeurs du moteur, concurrents dans le civil, n’ont pas su trouver les formes de coopération adaptées nécessaires à ce programme spécifique.

De plus, il est incontestable qu’EADS a connu des problèmes de « gouvernance » motivés par des rivalités nationales entre notre pays, le Royaume-Uni et l’Allemagne, chacun défendant les intérêts purement capitalistiques et financiers de ses industriels.

Enfin, il faut noter que l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, qui est l’organisme européen censé veiller au contrat signé et est chargé de gérer le programme, n’a joué aucun rôle, n’a pris aucune décision et s’est contenté d’accumuler les demandes des armées de l’air des pays.

Le fiasco de ce programme pose la question d’une nécessaire coopération industrielle en Europe en matière de défense, dans le respect de l’identité de chacun.

Ce n’est pas votre conception, monsieur le secrétaire d’État, ni celle de vos homologues, car vous préférez à cela des alliances capitalistiques qui privilégient la rentabilité financière sur les critères industriels, militaires et stratégiques. Les exemples de GIAT-Industries, de DCN, la Direction des constructions navales, et bientôt de la SNPE, la Société nationale des poudres et explosifs, illustrent malheureusement mon propos.

Au-delà, cet échec fait aussi peser de lourdes menaces sur la possibilité d’avoir un jour une politique européenne de défense qui soit réellement autonome. Il est en tout cas révélateur de l’absence de volonté politique d’un certain nombre de nos partenaires européens d’aller dans ce sens.

La renégociation des contrats ne doit pas se faire à n’importe quelles conditions. Mais il n’y aurait rien de pire que l’abandon de ce programme, car il entraînerait des conséquences désastreuses en termes d’emplois, de savoir-faire technologique, de crédibilité des avionneurs européens, mais s’accompagnerait aussi, d’un point de vue économique, de pertes financières majeures.

Il faut également avoir présent à l’esprit que, dans cette hypothèse, ce serait abandonner pour longtemps encore aux industriels américains le transport militaire aérien.

Enfin, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, les dysfonctionnements de ce programme ont d’ores et déjà des répercussions négatives sur les capacités opérationnelles des forces armées en Europe. Les gouvernements devront trouver des solutions qui seront onéreuses sans être toujours satisfaisantes pour pallier le déficit de capacités créé par ce retard.

Pour cet ensemble de raisons, nous souhaitons vivement, monsieur le secrétaire d’État, que, dans les discussions qui sont en cours, et dans l’intérêt bien compris de notre pays, vous fassiez preuve de fermeté pour qu’EADS respecte ses engagements et que ce programme aboutisse, et cela sans céderau chantage à l’emploi auquel se livrent des industriels qui n’ont que trop tendance à mettre en avant, pour partager les risques, les seules conséquences financières des dérives du programme de l’A400M.

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