Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie ceux qui, passionnés par ce débat ou par amitié, sont aujourd’hui parmi nous. Je suis sensible à leur présence.
Je veux tout d’abord saluer la décision de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne d’apporter 3 milliards d’euros à la société Airbus-EADS, qui, en raison de la crise, doit faire face à l’annulation ou au report de commandes d’appareils de la part de nombreuses compagnies aériennes. Cet engagement fort illustre bien la volonté du gouvernement français de soutenir les industriels et l’emploi, et doit nous rassurer quant à l’avenir du programme A400M, que je vais maintenant évoquer.
La question posée par notre collègue M. Mirassou, même si elle n’est pas innocente, aborde ce programme primordial pour notre pays, pour nos forces armées, pour l’Europe de la défense, les principaux industriels et avionneurs et les 33 000 emplois directement concernés par l’A400M.
Compte tenu du moratoire en cours et des négociations confidentielles entre les sept États, l’OCCAR, qui porte ce dossier, et l’industriel Airbus-EADS, il est évident que le Gouvernement ne pourra pas répondre dans le détail à la question telle qu’elle a été formulée. Il est en revanche possible à la représentation nationale, qui n’est pas partie prenante dans les discussions, de faire le point sur ce dossier et d’en évoquer les perspectives.
Le 4 décembre 2008, vous le savez, le président Jean Arthuis, pour la commission des finances, et le président Josselin de Rohan, pour la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, désignaient Jean-Pierre Masseret et moi-même pour conduire au nom des deux commissions une étude sur ce programme dont les retards et les incertitudes ne pouvaient que nous inquiéter.
Après deux mois d’un travail passionnant et acharné, rythmé par de très nombreuses auditions, nous avons pu présenter notre rapport le 10 février dernier devant les deux commissions réunies, qui ont décidé à l’unanimité de le rendre public et de nous missionner pour assurer le suivi du programme A400M.
Je tiens à rappeler qu’il s’agissait pour nous non pas de s’ériger en juge du contrat ou de rechercher des coupables, mais d’essayer de comprendre le déroulement des faits et de proposer des solutions. L’A400M – ne l’oublions pas – s’inscrit dans une approche commerciale et est donc un formidable vecteur de richesses tant économiques que technologiques.
Par ailleurs, nous avons recherché des propositions palliatives pour combler le trou capacitaire que vont rencontrer – nombre de nos collègues ont insisté sur ce point – nos forces armées dans ce domaine.
Nous avons bien entendu demandé une renégociation du contrat en cours pour que, au-delà des clauses contractuelles, chacun assume sa part de responsabilité, de façon que « vérité et culture du résultat » soient au cœur du débat entre les États et les industriels.
Enfin – c’était le moins que nous puissions faire –, nous avons formulé un certain nombre de recommandations pour que ce type de difficultés ne se reproduise plus dans les futurs programmes français ou européens.
Mes chers collègues, que savons-nous aujourd’hui avec certitude ?
Le 21 avril dernier, les sept pays qui ont commandé les 180 exemplaires de l’A400M pour un coût de 20 milliards d’euros ont signé, via l’OCCAR, un contrat dit stand still, ajournant pour trois mois l’application du contrat actuel avec Airbus-EADS.
Les parties liées, y compris l’industriel, se sont donc données jusqu’à fin juin pour jeter les bases du nouvel accord sans remettre en cause les clauses du contrat en cours.
Je tiens à témoigner devant vous de l’engagement personnel de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans le suivi de son dossier, y compris pour éviter que les Britanniques ne sortent du programme.
Dans un premier temps de négociation, la méthode utilisée, via l’OCCAR, qui était certes la plus rigoureuse, s’est avérée trop lente : un mois et demi pour obtenir une position commune.
Je me réjouis que le choix d’un représentant d’un État leader ait été retenu comme nous l’avions préconisé, même si je regrette – je le dis clairement – que la proposition de la ministre espagnole de la défense, Mme Carme Chacon, de voir la France prendre le leadership des travaux n’ait pas été acceptée par les Britanniques. C’est donc un Belge qui conduit avec efficacité les négociations.
Parallèlement et sans attendre, EADS a provisionné plus de 2, 2 milliards d’euros pour faire face aux risques éventuels liés à ce programme. De plus – j’y insiste –, dès le 16 décembre 2008, M. Louis Gallois a mis un terme à une organisation managériale complexe retenue en 2002, qui se voulait un compromis entre la volonté de permettre au programme A400M de disposer des moyens d’Airbus et celle de reconnaître à l’industrie espagnole une prééminence au sein d’EADS en matière d’aviation militaire, via Airbus Military Corporation.
La décision prise d’intégrer la partie militaire comme division d’Airbus sous le nom d’Airbus Military a donné plus d’efficacité, de réactivité et de cohérence à l’action managériale.
De même, le consortium des motoristes EPI Europrop, regroupant SNECMA du groupe Safran, Rolls-Royce pour le Royaume-Uni, MTU pour l’Allemagne et ITP pour l’Espagne, avait connu, nous le savons tous, des problèmes importants de coordination du fait de l’absence initiale de hiérarchie entre ces quatre sociétés constituantes.
Consciente de ce problème, la direction d’EPI a été recentrée depuis juin 2007 autour de SNECMA et de Rolls-Royce. On ne peut que s’en féliciter.
En ce qui concerne le trou capacitaire pour nos forces armées, sujet qui a été largement évoqué tout à l’heure, un consensus entre les divers intervenants – ministère, CEMA, DGA et armée de l’air – semble, d’après les informations dont nous disposons, se dégager pour apporter une solution dans les deux domaines que couvre l’A400M : d’une part, le transport stratégique longue distance et forte capacité et, d’autre part, le volet tactique avec « poser d’assaut » sur terrain difficile.
Pour la partie stratégique, le contrat SALIS évoqué tout à l’heure, liant quinze pays dont la France, nous permet d’affréter des Antonov 124-100 auxquels nous avons déjà recours et qui peuvent transporter des charges lourdes, y compris des blindés, sur des longues distances. Il faut poursuivre et si nécessaire développer ces affrètements.
L’autre opportunité complémentaire est l’achat ou la location de trois A330-200 MRTT – avion multi-rôle de ravitaillement en vol et de transport –, sachant que la France a prévu d’acquérir ce type d’appareil à partir de 2015 pour remplacer les avions « citerne », les KC-135. La version modifiée transport de l’A330-200 est donc une réponse intelligente et rapide à nos besoins, puisque trois appareils sont quasiment disponibles.
En revanche, l’achat de Boeing C-17 très chers – 240 millions d’euros – et à la maintenance complexe semble écarté, ce dont je me réjouis.
Pour le volet de transport tactique, les perspectives sont plus délicates, d’autant qu’il est essentiel de maintenir la compétence opérationnelle de nos équipages capables de poser leur Transall ou leur Hercule de nuit à peu près n’importe où.
Une solution semble s’imposer. Il s’agit de prolonger le cycle de vie d’une dizaine de Transall C-160 pour un coût qui ne devrait pas excéder 100 millions d’euros. Ce choix s’accompagnera nécessairement d’un allégement des vols des C-160 et des C-130 en faisant l’acquisition d’une dizaine de Casa 235, appareils déjà en service dans nos forces et particulièrement efficaces pour le brouettage ou le largage des parachutistes.
Ces acquisitions supplémentaires seront de toute façon nécessaires avec l’arrivée de l’A400M, qui n’est pas destiné à ce type de mission.
La piste de l’achat de la nouvelle version du Lockheed C-130J présente à mes yeux trois inconvénients. Ces appareils ne seront disponibles que dans trois ou quatre ans, c'est-à-dire au moment de l’arrivée de l’A400M. Ils nécessiteraient une nouvelle formation des pilotes, compte tenu de la configuration différente des C-130 que nous utilisons actuellement. Enfin, la multiplication des types d’appareils en service ne faciliterait pas une maintenance performante et économique. J’espère que nous n’irons pas dans ce sens.
Où en est l’avion lui-même ? C’est le nœud du problème.
Le banc d’essai volant, c'est-à-dire un C-130 avec trois moteurs de C-130 et un moteur d’A400M, a déjà effectué, depuis la fin du mois de décembre 2008, trente-cinq heures de vol sur les cinquante prévues. Le moteur turbopropulseur de 11 000 chevaux, le plus puissant jamais construit en occident, ne rencontre pas de problème majeur, pas plus d’ailleurs qu’au banc d’essai au sol où le moteur a déjà effectué plusieurs milliers d’heures de bon fonctionnement.
Par ailleurs, le FADEC, ce système numérique de régulation des moteurs et des hélices, fourni par EPI comme les moteurs, qui avait connu des difficultés et des retards de mise au point, fonctionne maintenant de façon satisfaisante et devrait recevoir sa certification civile avant septembre prochain.
Tous ces éléments font que la date du premier vol de l’A400M avec ses quatre moteurs devrait être confirmée pour décembre 2009 ou le tout début de 2010. C’est donc une date sur laquelle les constructeurs devront s’engager.
Le moratoire va-t-il aboutir ?
J’ai insisté tout à l’heure sur la volonté partagée des responsables politiques des divers États partenaires d’aboutir à un accord, et les députés de la Grande Assemblée nationale de Turquie, que notre commission a reçus voilà quelques jours, nous ont confirmé leur soutien total à ce programme.
Tout porte à croire – j’entre dans une partie conditionnelle, car ces discussions sont confidentielles – que les négociations sont conduites dans deux domaines complémentaires.
Le premier concerne le calendrier des livraisons, vraisemblablement à partir du début de l’année 2013, avec au moins – c’est une différence par rapport au contrat – deux standards d’appareils, l’un dit « basique », immédiatement disponible en 2013, et le suivant dit « complet », qui viendrait plus tard, et certainement une réduction ou la suppression de certaines spécifications difficiles à réaliser technologiquement aujourd’hui. Je pense notamment au TRN, système calculant la position géographique de l’avion en comparant sa hauteur réelle par rapport au sol à une fiche numérique de terrain sans recourir au GPS, et surtout au TMLLF, ou Terrain Masquing Low Level Flight, demandé par les seuls Allemands.
Le second volet, certainement plus délicat, concerne les décisions de report des pénalités qui peuvent s’imposer à l’industriel, la révision du prix à l’unité, l’abandon du PIB comme critère d’indexation – compte tenu de la crise économique, le PIB baisse et, à l’évidence, le coût annuel progresse pour l’appareil –, mais aussi la réduction du nombre d’appareils commandés par les États.
Il faut – je le dis clairement, monsieur le secrétaire d’État – que des solutions intelligentes soient trouvées, quitte si nécessaire à repousser le moratoire jusqu’à fin août et au-delà.
J’ai souligné la volonté forte de la France de faire aboutir ce programme, et, puisque notre collègue Jean-Jacques Mirassou nous en donne ici l’occasion, je voudrais, au nom du groupe UMP du Sénat, apporter un soutien sans faille à l’Airbus A400M et à l’action du Gouvernement.
L’abandon de ce programme, emblème de l’Europe de la défense mais aussi fer de lance du savoir-faire de ses industriels, aurait des conséquences catastrophiques pour l’Europe, nos forces armées mais aussi pour l’avionneur, l’ensemble des sociétés sous-traitantes et les 33 000 emplois qui y sont liés.