Intervention de Yvon Collin

Réunion du 11 juin 2009 à 15h00
Avenir du programme de l'airbus a400m — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, débattre de l’avenir de l’A400M, c’est évoquer des enjeux colossaux : sept nations, 180 appareils, 145 millions d’euros par avion livré, ce n’est pas rien !

Il est inutile de rappeler que l’A400M est un projet ambitieux qui, dès 1992, symbolisait l’accord des États européens pour s’équiper ensemble afin de répondre à un besoin militaire opérationnel.

Si on peut l’accuser de pêcher par excès, l’A400M, appareil de transport militaire, est avant tout l’avion des défis : défi technique, défi industriel, mais aussi défi européen.

Nous devons relever ces défis, et les relever tous ! Les sénateurs du RDSE, à commencer par mon collègue Jean-Pierre Plancade, qui connaît bien le dossier de l’A400M et qui a attiré l’attention du Gouvernement à de nombreuses reprises sur ce sujet, apporteront leur soutien à ce beau projet, complexe mais essentiel, afin qu’il aboutisse sans tarder.

Monsieur le secrétaire d’État, l’heure n’est plus aux tergiversations.

Bénéficiant des synergies de la gamme Airbus et de composites plus légers, l’A400M est un avion innovant. Il dispose des modes d’actions militaires lui permettant d’évoluer dans un milieu hostile et il est également équipé des turbopropulseurs les plus puissants du monde occidental, développés spécifiquement pour cet appareil. Il se distingue de ses concurrents américains par son autonomie en vol et sa capacité d’emport deux fois plus importante.

Le programme A400M est indéniablement un grand défi industriel. La clause d’allocation du travail, notamment, donne l’occasion aux industries de pointe européennes de participer, chacune dans sa spécificité, à la concrétisation d’un projet européen. Des compétences sont ainsi mises en exergue sans alourdir la distribution des tâches par le « juste retour ».

Quand à l’intérêt stratégique, il est évident : il permettrait à notre pays d’équiper nos armées avec un appareil issu de l’industrie européenne, et donc de ne pas être dépendant de l’industrie américaine.

Toutefois, le pari gagnant-gagnant fait à l’époque se révèle désormais comme un challenge audacieux, dont certaines dimensions ont pu être sous-estimées.

Enfin, la commande initiale a probablement été surévaluée. Le délai de livraison, soumis aux exigences de l’armée britannique, a été réduit à l’excès – six ans au lieu des dix ans au minimum –, ce qui concourt à évoquer de plus en plus la question de l’abandon.

Au-delà du sort même d’EADS, qui devrait rembourser presque 6 milliards d’euros au titre des avances gouvernementales, le renoncement au programme me semble tout simplement inconcevable !

Quel visage donner au reste du monde, monsieur le secrétaire d'État ? Celui d’une Europe qui aurait plus d’appétit que de compétences ? Quelle serait alors votre stratégie ? Nous attendons des réponses précises sur ce point.

Ne cédons pas au pessimisme ! L’A400M est un bon programme et son aboutissement doit être une priorité. Néanmoins, le temps nous est compté. Les Britanniques ont accepté de revenir à la table des négociations, ce qui est une bonne chose. Leur capacité stratégique n’étant pas inquiétée, on peut craindre que leur petite commande – vingt-cinq engins – ne les conduise probablement à abandonner le projet.

Les États peuvent contractuellement abandonner le programme depuis avril 2009, puisque le premier vol accuse un retard de quatorze mois.

Monsieur le secrétaire d'État, nous bénéficions d’un moratoire de trois mois, mais le couperet tombera au 1er juillet prochain, ce qui est, vous en conviendrez, proche. Qu’en est-il des tractations menées lors des mois écoulés ? N’y a-t-il pas urgence à réunir les exécutifs responsables du programme ?

L’aboutissement du programme est – il faut le rappeler – de la responsabilité du Gouvernement. Le ministre de la défense a déclaré : « Il faut trouver des solutions palliatives. » L’une d’entre elles est l’achat de C-130J. Que les choses soient claires : nous ne pouvons nous résoudre à accepter une telle éventualité, et ce sentiment me paraît partagé par tous ici !

Le programme est fixé et les exigences technologiques sont déterminées. On ne peut revenir au débat initial tranché en 1998, notamment à la suite du rapport Lelong.

Disons-le clairement, l’alternative américaine n’est pas plus qu’hier envisageable. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous apporter des garanties à ce propos ? Des avions trop chers, trop lourds, achetés sous prétexte qu’ils pourraient être livrables – je dis bien « livrables », car, finalement, rien n’est moins sûr ! – avant l’A400M. En cette période de crise, il n’est pas acceptable d’annoncer un investissement dans l’industrie aéronautique américaine, laissant de côté plus de 7 500 emplois européens, 33 000 emplois avec les sous-traitants. J’en mesure d’autant plus les conséquences que, comme notre collègue Jean-Jacques Mirassou, je suis un élu du territoire directement concerné par cette industrie.

La réaction aurait pu être anticipée : il aurait fallu réengager les négociations dès les premiers retards, reprendre un peu du hands off et imposer un leadership, dégager un chef de file, un responsable du programme. Avec un retard annoncé de quatre ans, le calendrier est maintenant connu. Il reste à agir, à engager la renégociation, à améliorer la coordination, et à formaliser. Il n’est pas trop tard.

Les atermoiements liés à l’obtention de la certification civile doivent être, eux aussi, rapidement tranchés. Cette question vous oppose à EADS, monsieur le secrétaire d'État. Les avions concurrents ne disposent que du complément de certification civile. Si la qualification militaire est suffisante, ne nous bornons pas, et soyons pragmatiques !

Le programme doit être maintenu dans les grandes lignes, et les difficultés techniques surmontées grâce à un investissement collectif.

L’entreprise qui contribue à être notre vitrine européenne ne doit pas être pénalisée, mais EADS doit être mise devant ses responsabilités. Les défauts d’organisation et de coordination internes lui incombant ne doivent pas être renouvelés.

Il est plus que nécessaire de formaliser l’engagement sur les délais. II nous faut mandater l’OCCAR pour renégocier le contrat sur des aspects techniques en échange d’un calendrier précis. Le moteur et son système informatique, le FADEC, jouent les prolongations, mais gardons-nous de signer un contrat indépendant avec le motoriste, ce qui reviendrait à déplacer le risque pour les États, sans augmenter le niveau de pression.

Le projet doit être enfin piloté. Il n’est pas trop tard pour désigner un État leader, ce qui permettrait de régler au fur et à mesure les détails techniques et de mener à bien ce programme dans le respect du cahier des charges.

Le défi demeure européen. Le Livre blanc sur la défense préconise la dynamisation de l’industrie de défense européenne. Lors de son discours sur la défense et la sécurité nationale, le 17 juin 2008, le Président de la République ne déclarait-il pas ceci : « Les défis actuels appellent des réponses collectives et coordonnées » ? C’est tout ce à quoi répond l’A400M !

La volonté politique doit permettre de relancer le projet et de le mener à bien. Il est temps que l’Europe et la France s’en donnent les moyens, et pas seulement budgétaires. Monsieur le secrétaire d'État, nous attendons beaucoup des réponses que vous nous apporterez. L’A400M a trop longtemps été synonyme d’un formidable espoir déçu. Voilà un dossier qui exige, si j’ose dire, la rupture.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe du RDSE souhaite et soutient l’aboutissement et la concrétisation la plus rapide possible de l’A400M ; j’ai cru comprendre que tous ici partagent ce souhait.

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