Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 11 juin 2009 à 15h00
Avenir du programme de l'airbus a400m — Discussion d'une question orale avec débat

Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle excellente idée d’avoir organisé ce débat ! Celui-ci arrive à point nommé, au moment même où les négociations sont en cours et qu’un certain nombre de discussions sont en train de se nouer. Il est important que la représentation nationale, tout particulièrement le Sénat, qui a réalisé un travail important sur la question, puisse conforter et soutenir en quelque sorte la démarche forcément difficile – mais nous sommes optimistes ! – dans laquelle nous sommes engagés.

Je tiens ici à souligner la qualité du rapport d’information de Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier, qui a contribué à clarifier les enjeux. Il donne une bonne base de discussion, qui nous permettra d’avancer dans les meilleures conditions possible.

Ce rapport d’information dresse un tableau particulièrement complet et bien documenté du programme A400M. Il montre que ce programme, dès la signature du contrat, a été assez complexe, comportant un certain nombre de risques et de défis, du fait notamment de la réduction des commandes des États entre la phase de définition de besoins et le lancement effectif.

La cible, rappelons-le, est passée de 291 unités à 180 unités, ce qui a contribué dès le départ à faire s’envoler les prix unitaires.

Depuis la fin de 2007, ainsi que vous l’avez indiqué, le programme traverse une phase de turbulences, parfois fortes, mais d’aucuns parmi vous, spécialistes de cette question, se souviennent sans doute qu’il en a été de même, en son temps, pour l’hélicoptère NH90, qui a failli passer à la trappe.

Le programme a dû sa survie aux clauses contractuelles particulièrement pénalisantes pour les États parties prenantes en cas de retrait. En dépit des difficultés techniques afférentes à la multiplicité des versions commandées par les huit nouveaux États clients à l’époque, qui ont rejoint les quatre États d’origine, sa poursuite se révèle aujourd'hui un succès commercial et politique.

Le besoin en hélicoptères de transport se confirme au fil des opérations extérieures, tout comme le besoin d’avions de transport.

Il ne faudrait donc pas, dans le cas de l’A400M, prendre prétexte des clauses contractuelles défavorables à l’industriel pour commettre l’irréparable et dénoncer le contrat à ses torts, enterrant ainsi le programme le plus emblématique de l’Europe de la défense.

Je vous rejoins tous, le besoin de trouver un successeur au Lockheed C-130 est avéré. En dépit des nombreux liftings subis par cet excellent avion depuis son premier vol au début des années cinquante, la conception de ce dernier est aujourd’hui dépassée.

Il nous faut donc trouver une solution « gagnant-gagnant », et nous sommes tous convaincus ici, me semble-t-il, de la nécessité de soutenir les efforts déployés par la France pour rechercher les meilleurs compromis possible avec nos partenaires et avec l’industriel. Il y va de la crédibilité de l’Europe de la défense, qui monte en puissance, de mener à bien le plus important programme jamais passé en Europe en matière d’armement.

Dans le cadre de la négociation actuelle avec nos partenaires étatiques pour trouver les compromis permettant la poursuite du programme, il nous faut toutefois être conscients des défis sérieux à relever.

En effet, notre besoin de reconstituer notre capacité de transport est urgent, et les solutions sur étagère sont peu attractives. Toutefois, vous comprendrez aisément qu’il n’est pas question pour moi de préjuger ces discussions, alors que M. Hervé Morin est en ce moment même en pleine discussion à Bruxelles avec ses homologues concernés par l’avenir de l’A400M.

À ce propos, je ferai un point de situation sur certains aspects de la négociation en cours.

Hervé Morin a récemment répété à M. Louis Gallois son attachement, ainsi que celui du Gouvernement, à l’aboutissement de ce programme. Il en est, vous le savez, un ardent défenseur. Je m’en suis également entretenu hier encore avec M. le Premier ministre, qui connaît bien les questions de défense et est également sur la même ligne politique.

Mais il faut que les conditions du dialogue ne rendent pas impossible la mise en œuvre de cette volonté. Aujourd'hui, la discussion se passe à la fois avec l’industriel EADS et surtout, je le répète, avec nos partenaires européens.

Certes, il est difficile de discuter à sept avec des pays qui n’ont pas forcément la même volonté de poursuivre ce programme et n’ont pas non plus les mêmes problématiques budgétaires que les nôtres. Tel est d’ailleurs l’objet des discussions qui ont lieu actuellement à Bruxelles entre M. Hervé Morin et ses homologues.

Fin juin, à Séville, nous aborderons une nouvelle phase qui nous permettra, dans l’hypothèse où les choses vont dans le bon sens – nous y travaillons et nous y croyons ! –, de renégocier les termes précis du contrat autour de quatre problématiques : la prise en charge du risque industriel, la réactualisation du coût du programme, les clauses de révision de prix et les pénalités.

Si tout le monde y met de la bonne volonté, nous devrions y arriver. En tout cas, nous faisons tout pour qu’il en soit ainsi, car la question de la pertinence de ce programme ne se pose pas.

Vous l’avez tous souligné, l’A400M est moins cher que le C130J américain, avec des capacités d’emport nettement supérieures et de réelles chances à l’exportation. Concernant les essais, nous avons de bons échos de la Délégation générale pour l’armement. La question est maintenant de savoir si les Européens ont assez de volonté, et EADS assez de souplesse, pour que nous puissions trouver un terme permettant à l’industrie de poursuivre le programme et aux budgets nationaux de ne pas être affectés de manière excessive.

Par ailleurs, avec l’industriel, « l’accord de trêve » signé en avril dernier suspend l’application, et donc la possible dénonciation du contrat aux torts d’AMSL. Les dernières nouvelles données par Louis Gallois sont plutôt satisfaisantes, puisque celui-ci escompte un premier vol de l’A400M avec ses turbo-pulseurs de 11 000 chevaux en décembre 2009 ou au tout début de l’année 2010, ce qui permettrait d’assurer les premières livraisons en 2013. L’horizon est donc proche.

Il nous reste maintenant à régler, comme vous l’avez tous indiqué, la période intermédiaire entre maintenant et l’arrivée des A400M dans nos forces. Il suffit de considérer les projections de nos forces pour constater que cette question se pose très concrètement, en dépit des trésors d’ingéniosité déployés par nos techniciens pour pérenniser les matériels existants.

Pour le transport stratégique, le contrat d’affrètement SALIS nous permet, comme aux autres États parties de continuer, voire d’intensifier, le recours à des Antonov 124.

L’étude d’une commande anticipée de trois Airbus A330-200 MRTT se poursuit, et cette piste nous semble très pertinente, voire la plus intéressante.

Pour le transport tactique, a été prise la décision de principe de rénover dix C-160 Transall et de les prolonger en service au-delà de 2015, ce qui répond à la question soulevée tout à l'heure par M. Claude Biwer.

Nous avons mis également à l’étude l’acquisition ou le leasing de quelques avions Casa en complément de ceux dont nous disposons déjà et qui nous donnent satisfaction.

Le facteur commun guidant la réflexion actuelle est d’éviter la multiplication des types d’avions de transport en service dans l’armée de l’air, et ce pour une double raison, à savoir la formation des équipages et la bonne gestion de la maintenance d’un parc le plus homogène possible.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens maintenant à quelques remarques très rapides en complément des réponses à vos interventions.

Monsieur Jacques Gautier, je vous remercie d’avoir reconnu fort justement la volonté de M. Hervé Morin de maintenir les Britanniques dans le programme, ainsi que le rôle de M. Louis Gallois pour intégrer le programme de l’Airbus A400M dans la maison mère Airbus Industrie.

S’agissant des autres points que vous avez abordés, j’y ai répondu par avance dans la première partie de mon intervention.

Monsieur Jean-Jacques Mirassou, au début de votre propos, vous avez regretté la fermeture de la base aérienne de Francazal. Elle fait partie du plan de resserrement du dispositif des armées sur le territoire national. Toutefois, les unités de l’armée de terre seront maintenues et, en 2011, sera créé à Toulouse un régiment du Commissariat.

Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue sur l’importance du programme de l’Airbus A400M, sur les plans tant stratégique, tactique qu’industriel. Il n’est nullement dans l’intention du Gouvernement, du ministère de la défense en particulier, d’abandonner ce programme emblématique pour l’Europe ; je crois l’avoir laissé entendre dans mon propos.

Monsieur le sénateur, vous avez également, comme d’autres, évoqué l’achat de Boeing C17 pour palier le manque de moyens de transport stratégique. Je peux vous assurer qu’un tel achat est exclu.

Certes, j’y ai fait allusion tout à l’heure, il faudra assurer la jointure entre la fin du Transall et l’arrivée de l’A400M. L’une des pistes explorées pourrait être, dans le cadre de l’OTAN, la Capacité de transport aérien stratégique, ou SAC, c’est-à-dire la location d’heures de vol sur l’avion de transport stratégique C17.

Monsieur Biwer, selon vous, le retard de l’A400M pourrait remettre en cause la capacité de projection de nos forces armées. Il est vrai que nous rencontrons des difficultés tous les jours. Nous sommes néanmoins déterminés à poursuivre le programme de l’Airbus A400M et à trouver, au fil des années et cela jusqu’à la livraison, les moyens de répondre de la meilleure manière à ces difficultés.

Vous avez vous-même insisté, comme plusieurs de vos collègues, sur l’intérêt de poursuivre un tel programme pour les nombreuses entreprises qui y participeront et donc pour tous les emplois en jeu. Au-delà de la dimension stratégique, qui est la plus importante, et de notre capacité de projection, cet aspect économique relatif aux entreprises et aux emplois est également déterminant pour nous.

Après chaque programme aéronautique réussi, qu’il soit militaire ou civil, et lancé pour une période très longue, les retombées que nous connaissons font assez vite oublier les efforts accomplis, les difficultés rencontrées, le volontarisme nécessaire pour soutenir à bout de bras la démarche, les phases laborieuses traversées, comme celles qui ont précédé la création de l’hélicoptère NH-90.

Abandonner le programme serait la pire des choses et aurait un coût certainement supérieur au surcoût dû au retard causé par les obstacles que nous avons à surmonter. En toile de fond de ce programme, nous devons garder à l’esprit cet élément à la fois philosophique et politique !

Madame Michelle Demessine, selon vous, le programme de l’Airbus A400M est un fiasco. Vous auriez pu mettre en avant la grande ambition qu’ont les Européens de développer un avion n’ayant rien à voir avec les avions de transport militaire actuels ! Cela dit, au fil de votre intervention, j’ai compris que vous étiez quand même attachée à ce que nous surmontions les difficultés actuelles, afin que ce programme ne soit pas un fiasco.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion