Intervention de Charles Gautier

Réunion du 9 février 2005 à 15h00
Traitement de la récidive des infractions pénales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Charles GautierCharles Gautier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par rappeler quelques faits.

Au cours de l'été 2003, plusieurs crimes sexuels sont commis. Au mois de novembre de la même année, Nicolas Sarkozy provoque un véritable tollé au sein de son propre parti en exprimant, au cours d'une émission de télévision, son souhait d'instaurer des peines minimales pour les récidivistes.

Cette déclaration suscite une série de réactions émanant des syndicats de magistrats, et de bien d'autres. Le principe de la peine minimale automatique fait l'objet d'une condamnation unanime du monde judiciaire.

Malgré tout, le 4 février 2004 est déposé à l'Assemblée nationale un texte signé par une centaine de députés tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive.

Toutefois, l'opposition à l'instauration de cette mesure est telle que le texte est abandonné ; la commission des lois de l'Assemblée nationale crée alors une mission d'information relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Cette mission se donne deux objectifs : « établir un tableau précis de la récidive en France » et « examiner, le cas échéant, les réponses qu'appelle la prise en compte par la justice d'un phénomène que les Français ne peuvent accepter ».

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est donc issue des travaux de cette commission. Elle présente deux défauts majeurs.

Premier défaut : il s'agit typiquement d'un texte de circonstance qui répond à l'émotion suscitée par d'horribles affaires. Or, chacun le sait, nous devons, en tant que législateurs, toujours refuser de céder aux sirènes de l'actualité. Elles ne peuvent qu'être mauvaises conseillères, laissant de côté les questions de fond.

Mes chers collègues, si nous en sommes arrivés là, c'est sans doute parce que, aujourd'hui, certains citoyens considèrent que la justice prête plus d'attention aux délinquants qu'aux victimes ! C'est sans doute aussi parce qu'un ministre de la République traite les défenseurs des droits de l'homme de « droits-de-l'hommistes » ou de « bons penseurs intellectuels mondains » ! C'est sans doute encore parce que certains de nos concitoyens considèrent que nous faisons trop référence aux droits de l'homme, qu'eux-mêmes ne considèrent plus comme une priorité.

Ce résultat est dû aussi en partie au fonctionnement même de la justice. Nous n'en serions pas là si les peines étaient vraiment exécutées, si chaque délinquant était poursuivi et jugé et si chaque victime voyait son cas traité par la justice.

Selon les chiffres du ministère de l'intérieur, alors que près de 4 millions de crimes et délits ont été constatés en 2004, ne sont poursuivies en moyenne par an que 600 000 personnes. Et parmi elles, combien sont condamnées ? Combien exécutent leur peine et dans quelle proportion ?

Un tiers des peines ne sont pas exécutées aujourd'hui. La remise de peine automatique a donc un effet pervers sur le système judiciaire, tant pour les victimes que pour les condamnés.

En fait, les auteurs de la proposition de loi veulent imputer aux juges l'échec de la politique contre l'insécurité, en laissant entendre qu'ils seraient trop laxistes. La droite instrumentalise ainsi la procédure législative pour « afficher » son volontarisme politique.

Second défaut : ce texte constitue une réponse démagogique à la détresse des victimes. Les auteurs de cette proposition de loi affichent l'ambition de lutter contre la récidive, laquelle, c'est vrai, constitue l'une des plaies de notre société, et ce depuis toujours. Malheureusement, les dispositions avancées ne règlent rien.

En effet, il est faux d'affirmer que la justice pénale ne prend pas en considération la récidive : cette notion existe déjà dans le code pénal ! Les magistrats tiennent compte des antécédents judiciaires du prévenu, lorsque les conditions de la récidive légale ne sont pas réunies. En général, ils condamnent à des peines de prison ferme, et non à des peines de prison avec sursis.

Ce texte ne touche pas à ces mesures, mais, à l'article 2, il définit la réitération. Cette disposition est inutile dans son ensemble, car les juges tiennent déjà compte du passé judiciaire du condamné. Même si la réitération ne figure pas en ces termes dans le code pénal, elle est donc déjà prise en considération par le juge.

De plus, il me paraît inutile de reprendre le principe d'individualisation des peines, déjà présent dans le code pénal.

Enfin, selon la rédaction actuelle du texte, la réitération empêche la limitation du quantum et la confusion des peines. Le prononcé de la peine pourra alors être plus sévère en cas de réitération qu'en cas de récidive.

Mes chers collègues, l'inefficacité de ces mesures est prouvée par les chiffres même de la récidive, chiffres que M. le rapporteur a rappelés : en effet, si 31 % des personnes condamnées pour des délits récidivent, il n'y en a plus que 5 % lorsqu'il s'agit de crimes. Or ce texte ne contient que des mesures répressives pour l'ensemble des récidivistes.

Les mesures censées prévenir la récidive, quant à elles, ne s'appliquent qu'aux délinquants sexuels. Or ceux-ci ne représentent qu'un taux de récidive de 1, 3 %, cela a été dit.

Les mesures préventives prévues dans ce texte ne s'appliqueront donc qu'à une partie extrêmement réduite de la population. On nous annonce un texte général sur la récidive, lequel, en définitive, ne touchera qu'une dizaine de personnes, à savoir les auteurs de viols !

Toutes ces mesures, qui ne toucheront que quelques individus, sont donc profondément injustes et inefficaces.

Les auteurs de la proposition de loi avancent que la surveillance électronique mobile impliquera une pression telle sur les délinquants sexuels potentiels qu'ils ne récidiveront pas. Toutefois, comment croire à une telle affirmation si, déjà, la pression de la prison n'a pas joué le rôle qu'elle devait jouer avant que le crime ne soit commis ? Il est en effet certain, aujourd'hui, que la prison ne joue pas son rôle dissuasif pour le récidiviste. Bien au contraire ! La fonction criminogène de la prison n'est plus à démontrer.

Dans ce cas, comment une surveillance par GPS pourrait-elle dissuader de quoi que ce soit ?

En réalité, le placement sous surveillance électronique mobile n'empêchera pas la récidive : ce n'est en fait qu'un instrument visant à faciliter l'enquête policière.

Cela ne suscite pas en soi notre opposition, mais l'utilisation de cet outil doit être limitée par deux conditions strictes : le respect de la dignité humaine et la connaissance suffisante des conséquences qu'entraîne l'utilisation de cette nouvelle technologie.

Or ces deux conditions ne sont pas remplies.

En effet, l'instrument qui est proposé aujourd'hui n'est pas le bracelet électronique que l'on connaît. Ce dernier, type bracelet-montre, oblige la personne qui le porte à rester dans un lieu défini par la justice, en général son domicile, avec des permissions de s'en éloigner pendant quelques heures, ce qui équivaut à une assignation à résidence et permet la reprise d'une activité professionnelle et de la vie de famille.

Le système prévu dans la proposition de loi que nous examinons est tout autre : le condamné devra porter un émetteur à la cheville, relié à une ceinture qu'il pourra dissimuler sous ses vêtements. Cet instrument permettra à la justice de savoir à tout moment l'endroit où il se trouve et, éventuellement, de lui interdire la fréquentation de certains lieux.

On ne peut que constater l'indignité de ce système, qui ne permettra à personne de dissimuler qu'il est sous surveillance permanente. En effet, comment cacher une telle entrave ?

Ce système, qui, je le rappelle, concernera des personnes ayant fini de purger leur peine, empêchera d'envisager toute vie privée. Le respect de la personne humaine semble être ignoré. Que faites-vous donc de vos objectifs de réinsertion, monsieur le garde des sceaux ?

Aujourd'hui, ce système de surveillance est, nous dit-on, au stade de l'expérimentation en Grande-Bretagne. Aucun pays n'a encore envisagé toutes les conséquences de son utilisation.

Au-delà des répercussions sur la vie personnelle du condamné, sa mise en place pose beaucoup de problèmes techniques et financiers. En effet, puisqu'il induira une surveillance des condamnés par GPS vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, il faudra prévoir, dans chaque ville, une cellule de veille, avec surveillants et matériels adéquats.

En outre, le placement sous surveillance électronique mobile est fondé sur une bien étrange contradiction.

En effet, le postulat sur lequel repose le texte est qu'un délinquant sexuel est un récidiviste potentiel - et nous n'entendons pas revenir sur cette affirmation - mais il suppose que le délinquant sexuel est un malade et qu'il ne peut donc pas réfréner ses pulsions. Or la justice le déclare responsable de ses actes lors de son procès pénal. N'est-ce pas contradictoire ?

Dès lors, mes chers collègues, il devient impossible de considérer que le placement sous surveillance électronique mobile soit une mesure de sûreté. En fait, il s'agit bien d'une peine après la peine, d'une double peine en quelque sorte.

Enfin, mes chers collègues, si les auteurs de la proposition de loi affichent un objectif d'équilibre entre répression et prévention, on constate en fait que les mesures qu'ils considèrent comme préventives ne sont que répressives ! En effet, comment peut-on sérieusement considérer que le placement sous surveillance électronique mobile soit une mesure favorisant la réinsertion ?

A l'instar du placement sous surveillance électronique mobile, l'élargissement du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles aux irresponsables pénaux est considéré comme une mesure de prévention. Or il ne s'agit également que d'une mesure facilitant les enquêtes policières, qui ne saurait être envisagée que comme cela.

Là non plus, il n'y a pas respect de la dignité humaine.

Les sursis avec mise à l'épreuve, quant à eux, permettent un retour progressif dans la société. Magistrats et travailleurs sociaux s'accordent à dire que ce système est largement perfectible, car la mise en oeuvre en est très délicate. Le manque de moyens matériels et humains auquel doit actuellement faire face la justice est largement en cause.

Or les auteurs de la proposition de loi ne cherchent pas de solution aux difficultés rencontrées par la justice ; ils se contentent de limiter les possibilités de sursis avec mise à l'épreuve pour les récidivistes.

Par cette mesure, ils remettent en cause le principe de l'individualisation des peines et réduisent le pouvoir d'appréciation par le juge de la capacité du prévenu à se réinsérer, alors que les sursis avec mises à l'épreuve ont justement cet objet.

Dès lors, nous espérons que M. le rapporteur soutiendra l'amendement de suppression que nous avons déposé sur ce point.

En conclusion, j'estime que ce texte ne contient que des mesures de désocialisation. La prévention en est totalement absente. Ses auteurs s'évertuent à trouver des moyens pour mettre de côté, stigmatiser, marquer au fer rouge l'individu qui, un jour, a été délinquant. Ce texte va à l'encontre de la philosophie générale de notre société, qui n'est pas d'exclure mais d'intégrer. C'est sur cette base que la justice doit aussi prévoir la réinsertion de ceux qu'elle isole.

Le monde judiciaire est saturé de réformes qu'il a du mal à mettre en oeuvre. Ce texte vient y ajouter des mesures aussi inutiles qu'inapplicables.

Nous tenons toutefois à saluer la patience et la diplomatie de M. le rapporteur et des membres de la commission des lois, qui, par leur travail, ont proposé de modifier ce texte en profondeur. Nous nous félicitons du dépôt des amendements de suppression des mesures de placement sous surveillance électronique mobile, ainsi que de ceux de suppression des mesures limitant les possibilités de réductions de peine pour les récidivistes.

Les propositions de la commission en matière de suivi socio-judiciaire vont dans le bon sens. Cependant, le placement sous surveillance électronique mobile, même dans le cas d'une libération conditionnelle, doit en être exclu pour que nous puissions voter l'amendement qu'elle a déposé, tout à fait acceptable sans cela.

Quant aux mesures concernant les injonctions de soin, qui sont intéressantes, il faudra voir dans la durée ce qu'elles permettront d'entreprendre, car les moyens mis à la disposition de la justice pour l'application de telles dispositions sont souvent largement insuffisants.

Nous compléterons les propositions de M. le rapporteur par une suggestion simple reprenant une idée du président de la commission des lois. Face à la situation alarmante des conditions de vie en prison, il est urgent de réagir : c'est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à la création d'un contrôle général des prisons. Cet amendement constituerait le volet « prévention » de cette proposition de loi.

Sur ce point comme sur l'ensemble du texte, nous serons très attentifs aux évolutions qui auront lieu au cours de la discussion.

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