Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui nous est aujourd'hui soumis traite d'un problème très sérieux auquel est confrontée notre société et auquel nous n'avons pas su, jusqu'à présent, apporter de réponse satisfaisante. La triste actualité de ces derniers mois nous l'a malheureusement rappelé.
Il existe en effet des personnes que notre droit pénal actuel ne dissuade pas de commettre de nouveau un délit ou un crime, alors qu'elles ont déjà été condamnées et qu'elles ont effectué une peine pour ce même type d'acte.
La récidive est sans doute le problème essentiel en matière de délinquance. C'est à son niveau que l'on mesure la gravité des problèmes de sécurité.
Il peut arriver à n'importe qui de commettre une infraction, laquelle s'apparente quelquefois plus à une erreur de parcours qu'à une volonté délibérée de nuire, mais la récidive, qui intervient une fois que la justice s'est exprimée, que la sanction est tombée, que le délinquant a été mis face à sa responsabilité, pose des problèmes infiniment plus graves.
Elle pose d'abord un problème au niveau de l'individu. Elle peut s'expliquer de deux manières essentielles : par la pulsion, par des troubles du comportement, d'une part, par la volonté délibérée de s'affranchir des règles de la société, d'autre part.
La récidive pose ensuite un problème pour la collectivité, incapable de faire respecter la légitime aspiration des citoyens à vivre en sécurité.
Ce phénomène touchant un délinquant ou un criminel sur trois et suscitant chez nos concitoyens une inquiétude légitime, il était de notre devoir de législateur de répondre aux attentes des Français en la matière et de ne pas pratiquer la politique de l'autruche.
C'est pourquoi il faut approuver nos collègues députés d'avoir saisi le Parlement en déposant cette proposition de loi, après qu'une mission d'information a travaillé plusieurs mois sur ce sujet.
N'oublions pas cependant, vous l'avez d'ailleurs vous-même rappelé, monsieur le garde des sceaux, qu'un grand nombre de mesures permettant de traiter la récidive relèvent non pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire ou de décisions du Gouvernement. Je pense notamment à l'augmentation du nombre de juges de l'application des peines ou de médecins psychiatres, ces derniers devant d'ailleurs être mieux formés afin d'assurer un suivi socio-judiciaire aujourd'hui insuffisant.
Pour autant, si cette question de la récidive mérite de votre part, monsieur le garde des sceaux, et de la nôtre une attention toute particulière, il nous incombe, en tant que parlementaires responsables, de ne point rédiger ou voter ce qu'il serait pertinent d'appeler une « loi d'émotion ».
Sénèque considérait que « le bon juge condamne le crime sans haïr le criminel ». Une bonne justice ne peut pas être rendue dans la passion et l'émotion. Cette règle s'applique de même à ceux qui élaborent et votent les textes sur lesquels sera appelée à se fonder la justice.
Pour autant, il ne saurait être question d'interdire au législateur de répondre aux problèmes de son temps, et l'on en saurait prétendre, sous prétexte qu'une loi est d'actualité, qu'elle est automatiquement d'émotion. Des difficultés existent et il convient que le législateur les résolve.
L'intention des députés était justifiée et nous y souscrivons.
Pour autant, nous avons cherché une juste voie, l'objectif ultime étant plus de lutter contre le phénomène de récidive, aussi bien en amont qu'en aval, que d'augmenter uniquement la répression. C'est forts de ces principes que nous avons mené notre réflexion pour améliorer ce texte.
Si notre arsenal juridique doit être renforcé afin de nous prémunir face à des cas de récidive parfois très graves, il convient de rester réalistes et de ne remettre en cause ni les principes essentiels de notre droit ni les principes constitutionnels comme celui de la non-rétroactivité de la loi.
Si la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale est un texte nécessaire et attendu depuis longtemps, elle doit, par ailleurs, correspondre à une démarche pragmatique et être en adéquation avec la réalité.
A ce propos, nous ne pouvons pas ignorer, par exemple, le problème de la surpopulation carcérale, qui perdure malgré les efforts importants et louables réalisés par la Chancellerie en matière de constructions immobilières.
L'idée que j'ai du rôle d'un parlementaire, soucieux à la fois de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens et de veiller au respect des principes de notre loi fondamentale, ainsi que l'exercice pendant une trentaine d'années de la profession d'avocat me conduisent tout naturellement à adopter une position prudente et réfléchie vis-à-vis du contenu de ce texte, qui, s'il contient des avancées, peut être amélioré par les travaux de notre Haute Assemblée.
Je me félicite des propositions de la commission des lois, qui, me semble-t-il, vont dans le sens souhaité. Elles sont l'illustration de la raison qui caractérise notre assemblée, dont les propositions, en matière pénale, sont souvent justes et équilibrées.
La fermeté à l'égard des récidivistes est, je le crois, une nécessité. Gardons nous de tout angélisme, qui serait, à raison, incompris par nos concitoyens !
Ainsi, il me paraît opportun de garantir le caractère certain de la sanction pour les cas de récidive les plus graves.
Grâce aux dispositions de la présente proposition de loi, le cumul des peines assorties de sursis avec mise à l'épreuve ne pourra plus s'appliquer pour un récidiviste, comme cela avait lieu parfois, ce qui empêchait tout suivi réel du condamné. Il faut bien reconnaître qu'il était assez irrationnel que soit limité le cumul de peines avec sursis simple et non celui de peines assorties de sursis avec mise à l'épreuve.
Ainsi, un récidiviste déjà condamné à une peine faisant l'objet de sursis avec mise à l'épreuve pour un crime ou pour un délit sexuel ou commis avec des violences ne pourra plus bénéficier d'un second sursis, comme c'était le cas auparavant. Il s'agit d'une mesure de bon sens au regard de la gravité des infractions commises en état de récidive.
Pour les infractions moins graves, le nombre de sursis avec mise à l'épreuve sera limité à deux.
Il est important de noter que cela ne signifie pas que ces condamnés seront automatiquement mis en détention. En effet, s'ils ne pourront pas cumuler les sursis avec mise à l'épreuve, ils pourront toujours n'être condamnés qu'à de simples peines d'amende ou d'intérêt général.
Il faut aussi se féliciter, me semble-t-il, de l'extension des catégories de délits assimilés qui définissent le cadre de la récidive légale. Il me semble tout à fait pertinent de prendre en compte tous les délits commis avec violence, qu'ils portent atteinte aux biens ou aux personnes.
Il était par ailleurs impensable de dissocier la traite des êtres humains du proxénétisme. Nous savons très bien que ces délits, qui avilissent de manière similaire et tout aussi inhumaine l'être humain, sont de plus en plus indissociables. Les victimes de proxénétisme et de traite d'êtres humains sont souvent les mêmes personnes, proies des mêmes réseaux et des mêmes filières mafieuses. De surcroît, le respect de la personne humaine ne se divise pas.
Néanmoins, en dehors de ces quelques exemples d'avancées notables, d'autres points semblent plus discutables, moins peut-être sur le fond que sur la forme, soit parce qu'ils soulèvent des problèmes d'inconstitutionnalité, soit parce qu'ils pourraient être redondants avec d'autres dispositifs récemment mis en place et qu'il convient d'expérimenter.
Ainsi, proposer que le placement sous surveillance électronique mobile puisse concerner des infractions commises avant l'entrée en vigueur de la loi ou s'appliquer à des personnes déjà condamnées va à l'encontre du principe intouchable de non-rétroactivité de la loi, défini par l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui fait partie du bloc de constitutionnalité.
Au-delà de l'aspect moral du problème, en conservant cette disposition, nous nous exposerions indéniablement à une censure du Conseil constitutionnel. Aussi, je soutiendrai la position de la commission des lois en la matière.
Sur le fond, l'obligation coercitive de placement sous surveillance électronique mobile des délinquants et criminels sexuels libérés qui auront purgé une peine d'au moins cinq ans de détention, dans la forme prévue par nos collègues de l'Assemblée nationale, ne me paraît pas opportune dans l'immédiat.
Cette proposition de loi traite des problèmes de la récidive et des moyens qui permettent d'y faire face. Elle n'a pas pour vocation de fournir à la police judiciaire un outil pour démasquer un criminel. Il s'agit de mettre en place un dispositif susceptible de dissuader le renouvellement d'une infraction.
Le port d'un bracelet électronique est-il de nature à éviter à l'individu de céder à une pulsion par peur de la sanction inéluctable ? Je n'en suis pas certain.
En revanche, dans le cadre d'une obligation de soins, une telle mesure pourrait peut-être éviter que la personne ne se soustraie à ladite obligation. Elle pourrait permettre de reprendre contact avec elle avant qu'il soit trop tard. Elle pourrait alors être intéressante en matière de prévention de la récidive.
Mais chacun comprendra qu'une telle mesure ne s'improvise pas. Le détail de ses modalités et leur impact sur le respect de la vie privée de l'individu sont déterminants pour la mise en oeuvre d'une expérimentation en la matière.
Selon moi, une surveillance électronique de trente ans n'est pas envisageable alors que le dispositif n'est même pas expérimenté, même si ma principale préoccupation concerne les éventuelles nouvelles victimes.
Je reviens un instant sur les moyens offerts à la police judiciaire en matière de recherche des criminels.
Il convient d'attendre que le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles soit mis en place et que l'on ait jugé de son efficacité.
Au demeurant, permettre à la police judiciaire d'intervenir immédiatement en cas de récidive est justement l'objectif conjoint des deux fichiers qui ont été instaurés. Le législateur, en créant le fichier national automatisé des empreintes génétiques et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles a voulu doter notre pays d'un arsenal permettant de confondre immédiatement un récidiviste. C'est une très bonne chose. J'ajoute que les fichiers seront plus efficaces et plus fiables que le bracelet électronique.
Par ailleurs, limiter le placement sous surveillance électronique mobile à la seule libération conditionnelle, comme le propose la commission des lois, me paraît être une première étape très raisonnable.
En revanche, je ne peux décemment pas approuver la limitation des réductions de peine pour les condamnés récidivistes, car ce serait sous-entendre l'impossibilité de la réinsertion, alors que la réinsertion est précisément le but à atteindre, ne l'oublions pas, si l'on veut éviter la récidive.
Pour conclure, je rappellerai que la préoccupation des auteurs de la proposition de loi est justifiée. Avec nos collègues de l'Assemblée nationale, nous devons rechercher des moyens efficaces et réalistes pour lutter sans faiblesse contre ce fléau qu'est la récidive, sans négliger le respect dû aux personnes.
Des missions de réflexion sont à l'oeuvre. Elles ont été confiées à des personnalités qualifiées comme Georges Fenech ou l'ancien procureur général Jean-François Burgelin. Leurs travaux permettront d'enrichir ce texte au cours de sa discussion parlementaire et, ainsi, de parvenir à un dispositif solide et efficace.
Au vu de ces quelques observations, les membres de mon groupe et moi-même soutiendrons la position de la commission des lois et voterons en faveur de ce texte tel qu'amélioré par ses travaux.