Reconnaissez-le, monsieur le secrétaire d'État, l’article 10 constitue l’aveu même de l’insuffisance de votre projet de loi !
D’ailleurs, j’aurais même envie d’y voir la preuve que l’article 9 ne fait qu’illusion et qu’il n’est pas, contrairement à ce que vous avez pu dire, un outil de protection des salariés.
En effet, à l’article 10, vous commencez par envisager le cas où l’accord cadre ne pourrait être conclu. C’est dire que le délai de six mois vous paraît insuffisant, particulièrement au vu des enjeux ! Vous allez probablement l’allonger, mais le problème de fond demeure.
Nous sommes très dubitatifs s’agissant de la fameuse convention de transfert conclue entre le port et les opérateurs, convention dont le contenu nous est presque totalement inconnu.
Cela renforce notre conviction selon laquelle si l’on veut faire prédominer le maintien de l’emploi face à la logique libérale, il faut impérativement procéder à l’ouverture de négociations et faire de la conclusion d’un accord le préalable à toute réforme. Hélas, vous n’avez pas retenu cette option, ce qui ne sera pas sans conséquences pour le devenir des ports, comme pour celui des salariés.
Ainsi, votre proposition de créer une forme de « dé-transférabilité » pour une période de cinq ans, qui autoriserait la réintégration d’un salarié licencié pour motif économique au sein du grand port maritime, ne fait guère illusion. Là encore, c’est admettre que votre projet de loi crée, en matière d’emploi, une grande incertitude. L’amendement de la commission prévoyant cette réintégration en cas de changement des conditions essentielles du contrat de travail va également dans ce sens.
Vous savez que vous allez exposer les salariés à des conditions de travail et à des statuts moins favorables, que votre réforme va susciter des coupes claires dans l’emploi des personnels de manutention, mais vous persistez et signez en vous donnant bonne conscience avec des dispositifs inefficaces, hélas !
Cette réforme, comme tant d’autres – par exemple la fusion entre l’ANPE et les ASSEDIC ou la modernisation du marché du travail –, contribuera à l’individualisation des droits.
Le texte reste ainsi tristement muet quant aux obligations de formation de l’employeur. Qu’adviendra-t-il des droits à la formation d’un salarié transféré à une entreprise de manutention et, par la suite, réintégré au sein du grand port autonome ? Qui sera comptable de ces droits ? Comment seront-ils garantis dans leur continuité ?
Cela apparaît d’autant plus important que la question de la formation professionnelle devrait être au cœur de votre projet de loi.
En effet, vous le savez, le grand port autonome n’accomplira plus d’opérations de manutention que dans une mesure très résiduelle. Dès lors, quelle proposition sera faite aux salariés réintégrés au sein du grand port maritime ? Et si ce dernier n’effectue plus de telles opérations, comment trouvera-t-il les ressources suffisantes pour rémunérer ces salariés ? La question se pose d’autant plus que vous supprimez les redevances pour outillage perçues actuellement par les ports.
Vous proposez donc une coquille vide, une réintégration pour des salariés privés de formation continue, voués à un travail incertain, très aléatoirement rémunéré.
Enfin, nous ne pouvons souscrire au versement par l’employeur, au profit du grand port maritime, d’une somme égale à l’indemnité qui aurait logiquement dû être versée au salarié en cas de licenciement pour motif économique.
Là encore, nous ne pouvons que dénoncer un détournement de la législation du travail et des dispositifs particuliers instaurés au travers de la loi de 2002 dite de modernisation sociale, puisque vous déchargez littéralement l’employeur de ses obligations particulières de reclassement et d’indemnisation, en mettant en place, là aussi, une individualisation des droits.
Ainsi, avec ce projet de loi, dont les dispositions viennent s’ajouter à la suppression de la majoration pour licenciement pour motif économique que vous avez validée au travers de l’adoption de la loi portant modernisation du marché du travail, vous ne tentez même plus de dissimuler le rôle que vous voulez faire jouer au salarié, à savoir celui de variable d’ajustement !
Vous comprendrez que nous ne pouvons cautionner une telle atteinte aux droits des salariés. C’est la raison pour laquelle nous proposons au Sénat d’adopter cet amendement de suppression.