Intervention de Yannick Bodin

Réunion du 21 mai 2008 à 15h00
Produits dopants — Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Yannick BodinYannick Bodin :

Monsieur le secrétaire d’État, le 7 décembre dernier, lors du débat budgétaire, je vous demandais de me préciser les mesures que vous comptiez prendre pour adapter la législation française aux orientations décidées lors de la conférence de Madrid de novembre 2007.

Voici donc, quelques mois plus tard, ce projet de loi, pour lequel l’urgence est déclarée. Il est vrai que l’urgence est une habitude, sinon une manie du Gouvernement ! Quoi qu’il en soit, nous évoquerons bientôt dans cet hémicycle la revalorisation du rôle du Parlement, qui est bien malmené ces derniers temps !

Rappelons d’abord que la France, sous le gouvernement de Lionel Jospin, avait su prendre un certain nombre d’initiatives, notamment avec la loi du 23 mars 1999, dite loi Buffet, qui visait à encadrer la surveillance médicale des sportifs, à créer une autorité administrative indépendante, ainsi qu’à renforcer les sanctions pénales et administratives.

Ensuite, la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs a modifié la loi Buffet. Ce texte a renforcé les pouvoirs de l’autorité indépendante, au détriment des prérogatives détenues jusque-là par l’État, en substituant au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage la nouvelle Agence française de lutte contre le dopage, chargée des sanctions disciplinaires contre les sportifs s’entraînant en France, mission qui incombait précédemment au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, et de la délivrance, lors des compétitions, des autorisations à usage thérapeutique des substances réputées dopantes.

À cette occasion a également été rattaché à l’AFLD l’ancien laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry.

Nous avions, à l’époque, dénoncé un dessaisissement de l’État de ses prérogatives, au profit d’une seule autorité, qui concentrait de trop nombreux pouvoirs et mettait ainsi en danger la transparence des procédures.

Néanmoins, cette adaptation de la législation française nous était imposée et constituait la transposition du code mondial antidopage, institué par la Déclaration de Copenhague – elle a été ratifiée par 191 États, dont la France – et entré en vigueur le 1er février 2006, pour l’ouverture des jeux Olympiques d’hiver de Turin.

Le pouvoir d’autorisation à usage thérapeutique de l’AFLD fut calqué sur celui de l’Agence mondiale antidopage, créée en novembre 1999.

Cette réforme nous permettait ainsi d’espérer une lutte plus efficace contre le dopage. Elle a malheureusement montré ses limites.

Le projet de loi que vous présentez aujourd’hui à notre assemblée, monsieur le secrétaire d’État, adapte officiellement au droit français les orientations décidées par la conférence de Madrid, organisée par l’Agence mondiale antidopage en novembre 2007.

Le code mondial antidopage, dans sa version modifiée, offre désormais une plus grande flexibilité dans l’application des sanctions prises à l’encontre des sportifs ayant enfreint la réglementation antidopage et préconise une « individualisation » des peines.

Est ainsi prévue une progressivité des sanctions disciplinaires et financières, qui vont d’un avertissement à une suspension de quatre ans, compte tenu de l’existence, ou non, de circonstances atténuantes ou aggravantes.

S’il est indéniable que le code révisé appréhende un plus grand nombre de violations aux règles antidopages, lesquelles peuvent justifier une suspension de quatre ans, aucune disposition de ce projet de loi ne prend en compte la formation des responsables et des sportifs ni la responsabilité des médecins et des responsables des centres de remise en forme des sportifs.

La question cruciale de la prévention n’est pas résolue par ce texte, car les moyens n’y sont pas. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une question de santé publique !

Depuis trois ans, l’Agence française de lutte contre le dopage ne bénéficie d’aucun moyen supplémentaire. Quant au poste « Médecine et prévention du dopage » de l’action budgétaire « Prévention par le sport et protection des sportifs », il est en constante érosion depuis plusieurs années. Avec 6 millions d’euros en autorisations d’engagement, il enregistre cette année une diminution de 17, 2 %, puisqu’il bénéficiait de 7, 25 millions d’euros en 2007 et de 8, 85 millions d’euros en 2006.

Plusieurs actions voient leur budget baisser. Il en est ainsi des actions déconcentrées en matière de médecine du sport, de prévention du dopage, de fonctionnement des antennes médicales de prévention et de lutte contre le dopage, du fonctionnement des commissions régionales de lutte contre les trafics de produits dopants et la promotion de la santé par le sport, soit environ 100 000 euros par région.

Il me semble pourtant bien contre-productif de baisser les crédits consacrés à la prévention dans le cadre de la lutte contre le dopage !

Une politique de santé publique – et c’est bien de cela qu’il s’agit quand on engage la lutte contre l’usage de produits dopants – ne saurait être constituée de quelques « mesurettes » de procédure.

Une fois encore, le Gouvernement opte pour le seul durcissement des sanctions. Loin de proposer une vraie flexibilité des sanctions non pénales, il choisit le durcissement des contrôles antidopages, l’élargissement du champ des incriminations et une pénalisation accrue des sanctions. Si ces dispositions participent à la lutte contre le dopage – je ne le nie pas –, elles ne sauraient constituer à elles seules une politique efficace. C’est une pratique courante de votre gouvernement de durcir les sanctions ; c’est souvent nécessaire, je suis prêt à le reconnaître, mais pourquoi négliger les autres aspects, qui sont importants ?

En matière de santé publique, je prendrai un autre exemple. Le Gouvernement prétend lutter efficacement contre le fléau de l’anorexie chez les jeunes filles, mais il se contente de durcir les sanctions ! Sur le reste, rien !

Afin de renforcer la répression du trafic de produits dopants et d’incriminer davantage de sportifs ne dépassant pas le seuil de dopage constitutif d’une infraction, ce projet de loi autorise de nouvelles incriminations.

Dans le cadre de la lutte contre la consommation, la détention pour usage personnel sans raison médicale sera incriminée.

Dans le cadre de la lutte contre le trafic de produits dopants, la production, la fabrication, le transport, l’importation, la détention, l’exportation et l’acquisition de produits dopants pour l’usage d’un sportif seront incriminés, alors que, aujourd’hui, seules l’offre, l’administration, l’application et la cession font l’objet d’une incrimination.

Le projet de loi accroît la pénalisation des sanctions. Il inclut dans le champ des incriminations passibles d’une sanction pénale la détention de produits dopants. Actuellement soumise à une simple sanction administrative ou disciplinaire, cette infraction sera désormais punie de un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende et elle pourra se voir appliquer une peine complémentaire.

Par souci de parallélisme des formes, l’infraction pour production, fabrication, transport, importation, exportation, acquisition de produits dopants est étendue au dopage animal. Une imprécision législative est corrigée afin d’étendre le champ d’application des sanctions administratives prises dans le cadre du dopage animal au-delà du strict cadre de l’équitation.

Le Tour de France, l’une des compétitions sportives les plus populaires dans notre pays, aujourd'hui très abîmée, sinon menacée, devrait nous donner l’occasion, dans son édition de 2008, de juger rapidement du bien-fondé du nouveau dispositif.

Depuis une décennie, le monde du cyclisme est entré dans la spirale infernale des affaires de dopage répétées. Malheureusement, le maillot jaune passe d’épaules en épaules plutôt après la compétition que pendant !

Les récents conflits entre l’Agence mondiale antidopage, l’AMA, et l’’Union cycliste internationale, l’UCI, autour de la mise en place du « passeport sanguin », pourtant tant attendu, ou ceux opposant l’UCI et Amaury Sport Organisation, ASO, au sujet des critères de sélection des cyclistes, illustrent parfaitement les limites de la lutte antidopage et le jeu pernicieux des luttes de pouvoir entre les différentes entités responsables à l’échelon tant national qu’international.

Hélas ! je crains fort qu’une réforme reposant seulement sur l’ajout de quelques incriminations et sanctions ne permette pas de venir à bout de toutes ces difficultés. Mais j’espère me tromper...

Néanmoins, dans le doute, et en l’absence d’une véritable politique de santé publique s’accompagnant des moyens budgétaires nécessaires à la prévention et à la lutte contre le dopage, le groupe socialiste ne pourra pas adopter votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'État.

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