Monsieur le ministre, avec l'article 9, voici de nouveau posée la question des fichiers.
Le paragraphe 2° de l'article 9 du projet de loi prévoit que le maire peut mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux enfants en âge scolaire domiciliés dans sa commune, données qui lui sont transmises par les organismes chargés du versement des prestations familiales ainsi que par l'inspecteur d'académie.
En outre, il est prévu d'obliger l'inspecteur d'académie à communiquer au maire la liste des élèves domiciliés dans sa commune pour lesquels un avertissement a été notifié.
Voilà donc un fichier de plus !
C'est un moyen supplémentaire, non seulement d'accroître le contrôle social du maire, mais également de rendre possible toute une série de dérives !
En effet, ce fichier, dont les conditions de transmission des informations seront fixées par décret en Conseil d'État, n'est pas seulement un fichier d'aide à la gestion. C'est aussi un outil permettant le marquage des mauvais sujets. Or il s'agit souvent « des enfants en souffrance », pour reprendre une expression de M. le ministre. Ce fichier sera-t-il efficace pour les aider et pour les accompagner ?
À notre avis, ces enfants se verront ainsi davantage stigmatisés, tout comme leurs parents, et encore plus précarisés, alors qu'ils sont déjà, dans leur majorité, issus de familles en grandes difficultés sociales et humaines. Sous prétexte de prévenir la délinquance, on handicape davantage encore des familles et des enfants déjà extrêmement fragilisés et en difficulté.
Comme le souligne la Ligue des droits de l'homme, l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 précise - il n'est pas inutile de le rappeler en cet instant - qu'« aucune décision administrative ou privée impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour seul fondement un traitement automatisé d'informations donnant une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé ».
En outre, il n'existe aucune garantie que l'enregistrement des données nominatives de cette nature ne porte pas atteinte au principe de la présomption d'innocence, tel qu'il a été défini à l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : on ne sait pas si cette absence est de son fait ou non !
Nous sommes très surpris de constater l'absence complète de contrôle judiciaire au niveau de l'information elle-même et de la mise en oeuvre du traitement automatisé. Il en va de même du silence de votre texte quant à la consultation des données sur le droit d'opposition ou de rectification si des erreurs d'homonymies se révélaient.
Comme c'est le cas pour les missions des travailleurs sociaux, nous nous trouvons ici face à une volonté manifeste de détourner la nature même du travail éducatif.
Je vais sûrement être en désaccord avec nombre de mes collègues, mais j'estime que la mission de l'école consiste non pas à prévenir la délinquance, mais à éduquer. Que l'éducation soit le premier maillon de la prévention, c'est un fait, mais intégrer cette dernière dans les missions des établissements d'enseignement, c'est s'opposer à la notion même d'éducation.
Il est bien évident que mieux seront éduqués les enfants, mieux ils seront formés, cultivés, mieux ils seront protégés des maux de la société, et mieux se portera ladite société !
Après le maire, qui est intégré dans la chaîne répressive, après les travailleurs sociaux et les médecins, à qui vous imposez une obligation de délation, vous faites entrer l'éducation nationale dans une logique répressive, ce qui rendra encore plus difficiles les rapports, déjà complexes, entre élèves et enseignants, enseignants et parents, parents et élèves.
Pour certains d'entre eux, l'école est déjà le symbole de leur exclusion, de leur premier échec, celui qui les mènera au chômage. Pour d'autres, c'est également un espace de violence : violence entre enfants, violence à l'égard de leurs parents, à qui on reproche pêle-mêle leur origine culturelle, leur condition sociale ou leur situation personnelle.
Leur confiance dans l'école est déjà bien entamée, inutile d'en rajouter avec la délation auprès des services sociaux ou municipaux !
Bref, ces listes d'enfants font froid dans le dos. Et pour quelle efficacité ! Un fichier peut aider à repérer ou à trouver des suspects, mais pas à prévenir l'infraction. En fait, on va encore stigmatiser des enfants qui sont déjà montrés du doigt.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste votera l'amendement n° 200, déposé pour le groupe CRC, visant à supprimer l'article 9.