Intervention de François Marc

Réunion du 28 avril 2011 à 9h00
Amélioration de la justice fiscale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de François MarcFrançois Marc, auteur de la proposition de loi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers et nombreux collègues (Sourires.), la plupart d’entre vous ont probablement entendu parler du célèbre jeu télévisé Qui veut gagner des millions ?, qui est diffusé sur TFI. En restant sur ce registre qui nous est familier, j’aurais pu intituler ce texte : « Comment ne pas laisser filer 10 milliards d’euros ? ».

Chacun a conscience que notre Trésor public aurait bien besoin de cette somme. Le déficit public – 120 milliards d’euros en 2011 ! – s’est en effet dramatiquement creusé ces dernières années.

J’ai écouté hier avec beaucoup d’attention l’intervention de Mme la ministre Christine Lagarde. Cette dernière, à cette occasion, a évoqué les modalités de redressement de notre pays et a indiqué qu’il fallait plus de croissance. Néanmoins, j’ai été stupéfait de l’entendre nous préciser que cette croissance serait « spontanée », puis de l’entendre nous dire que les recettes apparaîtraient « spontanément ». Cette double spontanéité nous amène à nous interroger sur la détermination réelle du Gouvernement à faire face aux nécessités du redressement.

Je me souviens que, lorsque j’étais étudiant, mes ouvrages d’économie citaient Hayek, Smith et surtout Chuang Tzu, qui, 369 ans avant Jésus Christ, écrivait déjà dans un texte taoïste : « Le bon ordre apparaît spontanément lorsque les choses sont laissées à elles-mêmes ».

En définitive, je me demande si nous ne sommes pas face à un laxisme généralisé. Le sujet qui nous occupe aujourd’hui, à savoir celui des niches fiscales, nous incite à nous poser la question.

La Cour des comptes ne cesse d’ailleurs de nous alerter sur ce point en rappelant que le déficit de la France est pour l’essentiel « structurel » et s’explique, pour au moins 60 milliards d’euros, par les nombreux abattements fiscaux et niches fiscales qui ont été consentis à des particuliers aisés ou à certaines catégories d’entreprises.

Monsieur le ministre, nous subissons depuis 2002 une mauvaise politique fiscale, une mauvaise politique de niches !

Il est clairement établi que, depuis 2002 – et surtout depuis 2007, d’ailleurs –, les lois de finances contribuent à un invraisemblable « mitage » des assiettes fiscales des entreprises, en particulier pour l’impôt sur les sociétés. On compte à ce jour pas moins de 293 dépenses fiscales en faveur des entreprises.

S’agissant du seul impôt sur les sociétés, l’impact cumulé des niches et des régimes de faveur, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, le CPO, a conduit les entreprises à soustraire 70 milliards d’euros en 2010 aux contributions de l’impôt sur les sociétés « légalement » exigibles en France. On notera que le même manque à gagner fiscal n’était que de 18, 5 milliards d’euros en 2005. C’est dire à quel point la dérive est aujourd’hui avérée. Elle est d’ailleurs totalement insoutenable pour nos finances publiques.

Mais elle est tout aussi insoutenable par l’injustice fiscale qu’elle génère entre les entreprises françaises. Les PME se voient ainsi appliquer un taux réel d’impôt sur les sociétés beaucoup plus élevé que les très grandes entreprises. J’y reviendrai.

La logique républicaine voudrait que chaque entreprise contribue à la hauteur de ses moyens. Mais cette logique est, hélas ! aujourd’hui totalement bafouée.

L’expertise progressivement mise en œuvre en matière d’optimisation fiscale permet aux grands groupes financiers de tirer le meilleur parti des multiples opportunités offertes par les 293 niches fiscales exploitables.

Moins d’impôt sur les bénéfices, c’est plus de dividendes pour l’enrichissement des actionnaires ! Le capitalisme financier sort ainsi grandement gagnant du processus redistributif à la française favorisé depuis 2007.

Devant le constat accablant régulièrement formulé sur ce point par la Cour des comptes, le Gouvernement manifeste aujourd’hui son « émoi ». Mme Lagarde a ainsi déclaré voilà quelques semaines : « L’assiette de l’impôt sur les sociétés est rongée par les niches fiscales ». M. Baroin a même parlé il y a quelques jours de « l’impôt de chagrin ».

Pour sa part, M. Estrosi, ancien ministre chargé de l’industrie entre 2009 et 2010, a découvert tout à coup que le dispositif qu’il avait contribué à mettre en place est assassin pour les PME. Maintenant qu’il est redevenu député, il a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête en vue de trouver les explications de cette situation d’injustice fiscale.

Si, de tous les bords politiques, on semble convenir que la situation devient inacceptable, il importe à nos yeux que le Parlement donne au plus vite l’impulsion souhaitable afin de corriger l’impact du système excessivement prédateur des niches fiscales. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Afin de tendre vers l’objectif visé, cette proposition de loi a pour objet de limiter le « mitage » de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, d’améliorer la justice fiscale entre les entreprises de différentes tailles et de favoriser le réinvestissement des profits au sein des entreprises.

Le texte proposé comporte trois articles concourant à ces objectifs.

L’article 1er vise à reprendre les préconisations du CPO et à supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé. Ce système ne profite aujourd’hui qu’à cinq groupes français, pour un coût de l’ordre de 450 millions d’euros.

L’article 2 tend à introduire un taux « plancher » d’impôt sur les sociétés réellement acquitté en direction des sociétés de grande taille, qui profitent aujourd’hui d’un cumul considérable de cadeaux fiscaux.

L’article 3 vise à instaurer une modulation du taux de l’impôt sur les sociétés en fonction du taux de réinvestissement et de distribution de dividendes.

À travers ces trois dispositions, somme toute très simples, cette proposition de loi répond à un besoin. Elle se fonde sur une exigence de plus grande justice fiscale et fait suite, comme on l’a vu, à un diagnostic assez largement partagé, quelle que soit notre appartenance politique.

Pourtant, certains nous disent qu’il est urgent d’attendre avant d’agir. Je voudrais répondre dès à présent aux objections, que l’on entend ici ou là, mises en avant pour s’opposer à l’adoption de cette proposition de loi.

Les trois premières objections portent sur des considérations de forme ou un calendrier inapproprié.

J’évoquerai en premier lieu le projet d’une future loi constitutionnelle qui réserverait la matière fiscale aux seules lois de finances. Au regard de cet argument, la présente proposition de loi serait dès lors hors-jeu, si je puis employer ce terme footballistique en cette période où de grands matchs se déroulent.

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