Intervention de François Marc

Réunion du 28 avril 2011 à 9h00
Amélioration de la justice fiscale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de François MarcFrançois Marc, auteur de la proposition de loi :

Pour répondre à cet argument, je ferai appel à un adage connu de tous : « Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage ». On sait très bien que si l’on veut retirer toute responsabilité et tout rôle d’initiative au Parlement, il suffit d’utiliser systématiquement ce type d’argument.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, le Sénat, en trois semaines de débats, n’a été en mesure de modifier l’affectation que de 350 millions d’euros. Quand on sait que le budget de l’État portait sur 350 milliards d’euros, on voit à quel point les marges de manœuvre du Parlement sont quasi inexistantes en la matière. Si, en plus, on empêche ce dernier d’œuvrer en dehors des lois de finances, on aboutit, comme on le voit très bien aujourd’hui, à une stérilisation totale de l’action législative en matière financière !

Un second argument d’opportunité pourrait nous être opposé. Il s’agirait de considérer que la question d’établissement d’un taux plancher de l’impôt sur les sociétés ne se posera pas dès lors que les niches auront été toilettées ou supprimées.

En fait, on évoque aujourd’hui un délai d’au moins deux à trois ans avant d’aboutir à un toilettage de ces niches fiscales. Faut-il encore attendre tout ce temps ou peut-être encore davantage avant de remédier à l’inégalité fiscale ? Nous ne le pensons pas ! Toutes ces formulations savantes qui consistent à dire « il faudrait que », « peut-être serait-il mieux d’attendre » ne nous paraissent pas les plus appropriées face à la situation d’urgence que nous avons décelée.

De la même façon – c’est le troisième argument de forme de nos contradicteurs –, il paraîtrait opportun d’attendre les retours d’information concernant le projet européen relatif à l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, l’ACCIS.

En réalité, il se dit que l’ACCIS ne serait rien d’autre que la mise sur pied d’une sorte de guichet unique dans le but de simplifier les démarches administratives des sociétés assujetties à l’impôt sur les sociétés en Europe. La Commission européenne a d’ailleurs précisé que « les États membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l’impôt sur les sociétés » et que, au surplus, l’ACCIS « sera facultative ».

Il est donc difficile, là aussi, d’accepter l’idée que cet argument puisse retarder l’action législative immédiate que nous proposons.

Après ces trois arguments de forme, j’en viens à présent au principal argument de fond, qui est, quant à lui, de nature idéologique. On nous dit en effet que l’introduction par l’article 2 d’un « impôt réel minimum » sur les bénéfices pénaliserait les entreprises françaises et jouerait en faveur des délocalisations de sièges sociaux.

On a souvent entendu l’argument réducteur cher aux libéraux selon lequel le taux de fiscalité d’un pays serait le déterminant absolu de son attractivité économique.

À vrai dire, cette idée reçue ne correspond pas à la réalité des critères de choix des investisseurs internationaux révélée par le baromètre Ernst & Young et par l’ensemble des études, ces investisseurs mettant systématiquement en avant, plus que la fiscalité, le niveau d’infrastructure, la qualité des services publics ou la qualification de la main-d’œuvre.

Le quotidien La Tribune titrait d’ailleurs récemment, à l’issue d’une enquête auprès des entreprises : « Les entreprises de croissance ont besoin de plus d’État ». Or, mes chers collègues, il ne peut y avoir plus d’État si chacun n’apporte pas sa contribution à hauteur des impôts exigibles – je pense en particulier à l’impôt sur les sociétés.

On voit donc clairement que cette proposition de loi fait resurgir le débat sur le bien-fondé de l’interventionnisme public. L’objection majeure opposée à notre proposition de loi est bien de nature idéologique.

Face aux arguments du « laisser-faire » et de la primauté donnée au capitalisme financier, l’intérêt général gagne à mon avis à voir l’arbitrage public prendre sa part aux décisions de réallocation des résultats financiers produits par l’activité économique du pays.

J’observe d’ailleurs avec intérêt que le Président de la République vient, par une déclaration récente, de reconnaître le bien-fondé de cette thèse économique interventionniste après avoir pourtant, toutes ces années passées, méthodiquement appliqué son credo libéral.

Les décisions politiques prises depuis 2007 ont été très lourdes de conséquences : les moins-values de recettes fiscales de l’impôt sur les sociétés sont passées, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, de 18, 5 milliards d’euros en 2005 à 70 milliards d’euros en 2010 ! On peut dès lors considérer que, dans sa politique fiscale, la droite au pouvoir en France a fait usage d’une marge de manœuvre budgétaire de 50 milliards d’euros pour créer et embellir les niches. C’est considérable !

La politique fiscale qui a été pratiquée s’est révélée dispendieuse à l’excès, mais elle a au surplus généré une énorme injustice à l’égard des petites et moyennes entreprises. Les PME françaises ont incontestablement été les parents pauvres, voire les victimes de cette politique fiscale outrancièrement favorable aux sociétés de grande taille.

Doit-on rappeler que les sociétés du CAC 40 sont taxées en moyenne à 8 % sur leurs profits contre 22 % pour les PME, qui ne maîtrisent pas forcément toutes les subtilités du code des impôts ?

Le manque à gagner de rentrées fiscales prive l’État de moyens considérables qui seraient bien utiles pour favoriser une meilleure compétitivité des entreprises et des PME en particulier.

Les entreprises du CAC 40 affichent une santé financière insolente…

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