Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 28 avril 2011 à 9h00
Amélioration de la justice fiscale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur :

Il ne s’agit pas d’adopter une vision caricaturale qui érigerait les PME en seules victimes de la « mondialisation fiscale ». Nos collègues soulèvent néanmoins un vrai problème qui appelle désormais un renouvellement de notre stratégie fiscale.

Nous le savons, le taux nominal de l’impôt sur les sociétés en France – il s’élève à 34, 43 % si l’on inclut la contribution sociale – est l’un des plus élevés au monde. C’est une réalité en termes de compétitivité. Depuis une quinzaine d’années, la concurrence fiscale s’est intensifiée en Europe. Elle a d’abord été initiée par les nouveaux États membres et par les États structurellement ouverts comme l’Irlande.

Mais, depuis 2008, la donne a changé puisque deux de nos principaux partenaires européens, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont rejoint le mouvement. Le gouvernement de David Cameron a ainsi récemment décidé de faire passer le taux nominal de l’impôt sur les sociétés de 28 % à 23 % d’ici à 2015.

On pourrait penser que notre pays, grâce à des mesures favorables d’assiette, est en réalité beaucoup mieux positionné que ne le traduit un taux nominal simpliste. Or l’analyse des taux effectifs ou implicites d’imposition, malgré leurs difficultés méthodologiques, aboutit à des résultats assez ambigus.

Le Conseil des prélèvements obligatoires, qui se fonde sur le taux implicite, estime que la France était plus concurrentielle au niveau européen, du moins jusqu’en 2005. Toutefois, dans son rapport de février dernier sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne, la Cour des comptes dresse un constat nettement plus défavorable sur le taux effectif.

Il reste qu’en multipliant les dépenses fiscales notre pays a privilégié la réduction de l’assiette à celle du taux nominal de l’impôt sur les sociétés. Le CPO a ainsi recensé, pour 2010, 293 dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises, sur un total de 506 dépenses, pour un coût total évalué à 35, 3 milliards d’euros.

Les niches sont devenues une stratégie fiscale dégradée, par défaut, et nous sommes coresponsables de ce « mitage » de l’assiette. Le résultat, c’est que la fiscalité est devenue incompréhensible et donc affaire de spécialistes.

Ce foisonnement de dépenses fiscales conforte en effet la perception d’une grande complexité et imprévisibilité de notre droit fiscal des entreprises, soulignée dans de nombreuses études. Il encourage également le recours à l’ingénierie fiscale en vue d’exploiter toutes les facultés de minoration de l’impôt. Or ce sont évidemment les grands groupes qui disposent, en interne ou en recourant à des cabinets de conseils, des facultés les plus étendues d’optimisation des subtilités de l’assiette.

Dès lors, le CPO a pu conclure à une dégressivité de l’impôt sur les sociétés : le taux implicite s’élèverait ainsi à seulement 8 % pour les sociétés relevant de l’indice du CAC 40, contre 20 %, par exemple, pour les PME comptant de 50 à 249 salariés. Nos collègues s’appuient en particulier sur ce calcul pour proposer la mise en place d’un impôt effectif minimum de 16, 7 % du bénéfice imposable.

Ces données nécessitent cependant une confirmation. La méthodologie du Conseil des prélèvements obligatoires n’est pas exempte de failles, car elle est fondée sur des chiffres de 2006. Elle se réfère aussi à un taux implicite de nature macro-économique, qui comporte des biais et est beaucoup moins précis que le taux effectif moyen. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous puissiez nous confirmer que vos services travaillent actuellement sur des données objectives et récentes, qui permettront de corroborer ce constat.

La justice fiscale est un concept aux acceptions variées, mais un impôt sur les sociétés dégressif heurte nos conceptions de l’impôt et de l’équité. Certains de nos collègues députés de la majorité ont d’ailleurs manifesté une préoccupation analogue dans une proposition de résolution.

En première analyse, on peut effectivement être surpris ou choqué par le faible montant d’impôt acquitté en France par certains grands groupes. Il est cependant nécessaire d’aller plus loin et de considérer la situation globale de chaque entreprise. Un faible niveau d’impôt en France peut ainsi être lié aux caractéristiques structurelles du secteur, à un degré élevé d’internationalisation ou à des dispositifs non contestables dans leur principe, tels que des reports de déficits antérieurs ou le régime mère-fille.

En présence d’un groupe international qui ne réalise pas de profits en France, il faut s’interroger sur les raisons qui conduisent à cette situation. S’agit-il plutôt d’activités structurellement déficitaires dans la chaîne de valeur de l’entreprise, de montages permettant de localiser des profits dans des territoires fiscalement moins-disants, de la conséquence d’une trop grande pression fiscale dans notre pays ?

Qu’on le déplore ou non, l’internationalisation des activités entraîne celle des bénéfices ; une comparaison des niveaux d’imposition se produit alors au détriment de la France.

Le recours aux niches fiscales pour orienter les comportements économiques apparaît souvent comme une solution de facilité. Il donne l’illusion de maîtriser des leviers ciblés, mais c’est au prix d’une absence de contrôle des finances publiques. Il laisse une impression de trajectoire budgétaire erratique, sans stratégie définie à l’avance.

Pour autant, il s’agit non pas de supprimer aveuglément toutes les niches au nom de la vertu fiscale – certaines, en effet, confèrent à la France un véritable avantage comparatif –, mais de privilégier une assiette large et un taux raisonnable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion