Intervention de René Garrec

Réunion du 28 avril 2011 à 15h00
Renforcement des moyens de contrôle et d'information des groupes politiques — Rejet d'une proposition de loi

Photo de René GarrecRené Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Mon cher collègue, bien que je vous aie écouté avec intérêt, je n’ai pas toujours suivi votre raisonnement. Il y a des failles dans votre conception du droit constitutionnel.

Sur le fond, je le reconnais, la question que vous soulevez est réelle, mais la forme retenue pour y répondre ne me semble pas adéquate. Je ne suis pas sûr que la proposition de loi que vous nous soumettez soit le bon vecteur.

Votre volonté de renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques est partagée par tous les membres de la Haute Assemblée. Mais si votre intention est pertinente, la solution que vous proposez est inadaptée, car contraire à la Constitution. Les textes encadrant le fonctionnement de la vie politique de notre pays devant être respectés, je défendrai tout à l’heure, au nom de la commission, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

La commission estime que la présente proposition de loi procède à une forme de mélange des genres entre les groupes et les commissions, dont les attributions sont en réalité différentes. Les commissions ont un rôle à jouer dans la mission d’information et de contrôle du Parlement, dont elles préparent le travail et qui seul exprime des positions politiques globales. Je crois que ce « mélange des genres » vient heurter certains principes de notre Constitution.

Avant de développer les arguments d’ordre constitutionnel, je souhaite rappeler les grandes avancées – vous les avez évoquées tout à l’heure – qui ont été obtenues par les groupes politiques depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et en particulier, au Sénat, depuis la réforme de notre règlement du 2 juin 2009.

Le groupe de travail sur cette réforme de notre règlement, dont nos collègues Jean-Jacques Hyest et Bernard Frimat ont été les deux rapporteurs, sous la présidence de Gérard Larcher, a effectué un travail remarquable – je regrette d’ailleurs de ne pas y avoir participé.

Chacun s’accorde à reconnaître que ce travail a été conduit dans un esprit consensuel et constructif, dans le respect du pluralisme sénatorial, qui est notre tradition partagée, que nous siégions sur les travées de la majorité ou sur celles de l’opposition.

Vous me permettrez donc de rappeler, mes chers collègues, à travers une petite énumération, les avancées dont les groupes politiques ont bénéficié en quelques années.

La révision de 2008 comporte deux dispositions majeures : d’une part, énoncées à l’article 51-1 de la Constitution, la reconnaissance constitutionnelle des groupes politiques et la possibilité pour les règlements des assemblées de leur attribuer des droits spécifiques, ce qui permet d’organiser clairement la manière dont travaillent les groupes politiques dans chaque assemblée ; d’autre part, en vertu du nouvel article 48 de la Constitution, la réservation d’une séance par mois à un ordre du jour fixé par les groupes d’opposition et minoritaires – c’est du reste dans ce cadre que vous avez pris la parole à l’instant, monsieur Collin.

Mentionnons qu’au Sénat le groupe UMP est entré dans le « tourniquet » de cette séance mensuelle réservée, sans pour autant que les autres groupes perdent ne serait-ce qu’une minute de temps de parole.

La réforme du règlement du Sénat en 2009 est allée beaucoup plus loin, plus moins même que celle du règlement de l’Assemblée nationale, que vous avez évoquée tout à l’heure.

Permettez-moi de citer quelques-uns des points de cette réforme qui me semblent importants :

Premier point, la désignation des membres du Bureau du Sénat, autres que le Président bien sûr, à la proportionnelle des groupes.

Deuxième point, l’instauration d’un droit de tirage annuel pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information selon un système plus libéral qu’à l’Assemblée nationale, où la demande peut être rejetée par un vote négatif des trois cinquièmes des membres de l’assemblée.

Troisième point, le partage entre la majorité et l’opposition des fonctions de président et de rapporteur d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information.

Quatrième point, la désignation dans les organismes extraparlementaires en tenant compte du principe de la représentation proportionnelle des groupes.

Cinquième point, la consultation des présidents de groupe politique pour la composition des commissions mixtes paritaires.

Sixième point, la faculté pour les groupes de faire annexer leur opinion aux rapports des commissions.

Septième point, la pondération des votes, au sein de la Conférence des présidents, en fonction non plus des représentants mais de l’importance numérique de chaque groupe.

Ce dernier point est fondamental dans la mesure où cette nouvelle pondération permet aux différentes composantes de notre assemblée de faire entendre leur voix dans le travail de la conférence des présidents – c’est ce que le président Larcher a appelé le « retour du politique ». Cela témoigne du souci de donner aux groupes politiques toute leur place au sein du Sénat. Ils peuvent ainsi peser sur la confection de l’ordre du jour, tant en matière d’initiative qu’en matière de contrôle, au-delà de la seule séance mensuelle réservée aux groupes d’opposition ou minoritaires.

À cet égard, la conférence des présidents préserve l’équilibre entre les demandes des groupes et celles des commissions : en 2009-2010, selon les informations qui m’ont été communiquées, deux tiers des sujets inscrits durant les semaines d’ordre du jour sénatorial hors séance mensuelle réservée ont été proposés par les groupes et un tiers par les commissions.

Enfin, huitième et dernier point – je peux en parler en ma qualité de questeur –, les crédits attribués aux groupes pour leur fonctionnement ont augmenté de 30 % depuis 2008, à budget constant en euros courants.

Au vu de ce bilan, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la situation des groupes n’a pas été sensiblement améliorée. C’est peut-être insuffisant, mais nous y reviendrons plus tard.

J’en viens à la proposition de loi de nos collègues du groupe RDSE.

En la lisant, je me suis demandé – permettez-moi de reposer à voix haute cette question que j’ai déjà évoquée avec le président Collin – pourquoi, dans le contexte actuel, vous aviez choisi le vecteur législatif.

La réponse est sans doute que cela permet d’organiser un débat dans notre hémicycle. Je crois d’ailleurs que c’est une bonne solution, la discussion faisant toujours avancer la réflexion sur un sujet donné.

Toutefois, il me paraît difficile d’aller beaucoup plus loin en conférant aux groupes politiques des prérogatives propres en matière d’information et de contrôle.

L’article 1er de votre proposition de loi, mes chers collègues, me paraît plus déclaratoire que réellement normatif : il affirme simplement que les groupes politiques contribuent à l’exercice des missions du Parlement. Très bien !

L’article 2 crée, quant à lui, un droit d’accès des groupes « à toutes les informations nécessaires ». Il prévoit également l’assistance des groupes par tout organisme de leur choix, sauf les autorités judiciaires, la communication dans les meilleurs délais de tous les documents dont la transmission au Parlement est prévue par des textes, et l’obligation pour toutes les personnes dont l’audition est jugée nécessaire par un groupe de s’y soumettre, ces personnes – je pense aux fonctionnaires – étant alors déliées du devoir de réserve, ce qui, logiquement, n’est pas le cas devant un groupe politique.

Enfin, l’article 3 étend aux groupes la faculté de saisir ou consulter une vingtaine d’organismes, tels que l’Autorité de la concurrence, le Conseil des prélèvements obligatoires, l’Autorité de sûreté nucléaire, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et ce au motif que ces organismes peuvent être saisis par la commission parlementaire compétente, par le président d’une assemblée ou par un parlementaire individuellement.

Ces dispositions me semblent reposer sur une erreur de conception du rôle des groupes par rapport à celui des commissions en matière d’information et de contrôle.

Or cette erreur pose un triple problème de constitutionnalité.

Il ne s’agit pas de monter les groupes contre les commissions et vice versa – cela n’aurait pas de sens –, mais de rappeler pourquoi les commissions disposent de certaines prérogatives que n’ont pas et que ne sauraient avoir les groupes, car cela ne correspond pas à leur fonction ni à leur mode de fonctionnement.

Premièrement, l’article 51-1 de la Constitution renvoie aux règlements des assemblées, et non à la loi, le soin de déterminer les droits des groupes politiques.

À cet égard, je remarque que l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ne prévoit aucun droit particulier pour les groupes. La proposition de loi de nos collègues du RDSE se trouve de ce seul fait contraire à la Constitution.

Deuxièmement, l’article 20 de la Constitution énonce que le Gouvernement « dispose de l’administration ». C’est une traduction claire du principe de la séparation des pouvoirs, qui signifie que le Parlement n’a pas autorité sur les fonctionnaires de l’exécutif.

En donnant aux groupes un droit d’accès à toutes les informations et une assistance par tout organisme, y compris ceux qui relèvent de l’autorité du Gouvernement, on viole manifestement la séparation des pouvoirs.

Seule la Cour des comptes, en vertu de la Constitution, peut assister le Parlement. Vous avez évoqué, monsieur Collin, les missions de la commission des finances dans les domaines concernés par les projets de loi de finances et les projets de lois de financement de la sécurité sociale. Mais il s’agit de l’application de textes de loi particuliers.

Au demeurant, chacun d’entre nous peut utiliser la faculté qui lui est reconnue, en tant que parlementaire, de poser des questions écrites ou orales au Gouvernement pour demander des informations. Cela fait partie des droits individuels des parlementaires, et non de ceux des groupes.

Concernant les rapports au Parlement, visés à l’article 2, chacun d’entre nous peut en prendre connaissance au bureau de la distribution s’il le souhaite : le Gouvernement les transmet à chaque assemblée, c’est-à-dire à tous les parlementaires ; ils ne sont pas réservés aux commissions.

Troisièmement – et j’en viens aux rôles respectifs des groupes et des commissions –, l’article 24 de la Constitution attribue au Parlement, et non aux groupes politiques, la mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques.

L’organisation institutionnelle qui en découle confie aux commissions permanentes, aux commissions d’enquête, aux missions d’information et aux délégations le soin de remplir cette mission, à côté du droit individuel des parlementaires de poser des questions au Gouvernement.

Selon une jurisprudence constante, et reprise encore dans sa décision du 25 juin 2009 sur la modification du règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel reconnaît de façon stricte un « rôle d’information » des commissions et autres organes internes, afin de permettre à leur assemblée d’exercer sa mission de contrôle. C’est ce rôle d’information de l’assemblée qui justifie les prérogatives des commissions, par exemple en matière de convocation à des auditions.

Les commissions permanentes et temporaires comme les missions d’information sont composées de manière pluraliste, ce qui assure l’information et la participation de tous les groupes politiques. Les commissions d’enquête sont constituées sur un objet déterminé. Surtout, les travaux des commissions et des missions d’information sont rendus publics par la diffusion de leurs comptes rendus et de rapports d’information, qui assurent l’information de l’ensemble de l’assemblée.

A contrario, les travaux des groupes politiques, qui rassemblent des parlementaires par affinités politiques en vue d’organiser collectivement leur travail et leur expression dans l’assemblée, ne sont pas publics. Les groupes politiques ne rendent pas compte à leur assemblée de leurs travaux. C’est d’ailleurs très bien ainsi : personne n’imagine, en effet, que les groupes politiques puissent publier les comptes rendus de leurs réunions et rédiger des rapports d’information.

Il apparaît donc clairement que les commissions et les groupes politiques relèvent de deux systèmes divergents. De fait, si les groupes politiques disposaient de prérogatives propres en matière d’information et de contrôle, ils n’exerceraient pas un « rôle d’information »• au nom de leur assemblée mais pour eux-mêmes, et donc en contradiction avec l’article 24 de la Constitution.

Pour ces trois motifs d’inconstitutionnalité, je vous proposerai tout à l’heure, au nom de la commission, d’adopter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à l’encontre de la proposition de loi.

Pour conclure sur une note positive – car cette proposition comporte de nombreux points positifs –, je dois dire que je comprends et partage les intentions et réflexions de notre collègue Yvon Collin : comment faire en sorte que les groupes politiques prennent toute leur part dans les travaux de contrôle du Sénat, mais aussi dans ses travaux législatifs ?

Si la proposition de loi constituait une bonne base de discussion, ce n’était pas la bonne manière de résoudre le problème. À mon sens, monsieur Collin, la bonne solution serait, à l’occasion d’un prochain bilan de la réforme de notre règlement, de réfléchir, avec le président du Sénat et la conférence des présidents, dont vous faîtes partie, aux dispositions qui pourraient répondre le mieux à la question que vous avez soulevée.

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