Intervention de François Pillet

Réunion du 28 avril 2011 à 15h00
Démarchage téléphonique — Adoption d'une proposition de loi

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui n’a jamais été importuné ou ne s’est senti agressé par l’appel téléphonique intempestif d’un démarcheur, ressenti comme une intrusion dans sa vie privée ?

Ces immixtions dans notre quotidien se sont diversifiées et multipliées à la faveur de l’évolution des technologies, des pratiques commerciales et de consommation et de la création de nouveaux modes de communication. Dans le même temps, le législateur est intervenu régulièrement pour encadrer ces nouvelles pratiques et protéger les personnes physiques. La proposition de loi déposée par nos collègues Jacques Mézard, Yvon Collin et les membres du groupe du rassemblement démocratique et social européen s’inscrit dans ce courant en ciblant le démarchage téléphonique. En imposant l’accord préalable des usagers à l’utilisation de leur ligne téléphonique à des fins de prospection, elle inverse le principe aujourd’hui communément appliqué.

Un droit spécifique à la protection des données personnelles s’est construit progressivement tant au plan européen qu’au niveau national avec l’institution, dès 1978, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Parallèlement, ont été mises en place des pratiques destinées à permettre au client de « sanctuariser » certains pans de son intimité.

Au niveau communautaire, une directive du 24 octobre 1995, transposée en droit interne par la loi du 6 août 2004, prévoit notamment le droit de la personne de s’opposer, sur demande et gratuitement, au traitement des données la concernant à des fins de prospection et celui d’être informée préalablement à leur première communication à des tiers ou de leur utilisation par eux, afin de pouvoir s’y opposer.

Pour ce qui concerne le démarchage, un ensemble de règles s’est mis en place sur la base du principe général du droit d’opposition, ou opt out, sauf pour des cas limités.

Tout d’abord, le droit de s’opposer, sans frais, à l’utilisation des données personnelles à des fins de prospection, est opposable tant au responsable actuel du traitement qu’à celui d’un traitement ultérieur. Il s’applique notamment à la réception des appels téléphoniques dans le cadre d’opérations de démarchage effectuées par une personne. Son efficacité est, cependant, liée à la connaissance qu’en ont les intéressés.

En revanche, toute personne physique doit manifester expressément son consentement en matière de prospection directe réalisée au moyen d’un automate d’appel, d’un télécopieur ou d’un courrier électronique. Je rappelle que la prospection directe est définie comme « l’envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une personne vendant des biens ou fournissant des services ».

Les abonnés à un service téléphonique disposent, pour leur part, de plusieurs protections. Si toute personne « ayant souscrit un abonnement au service téléphonique au public a le droit de figurer gratuitement » dans l’annuaire, elle dispose aussi, dans les mêmes conditions, de celui de ne pas y être mentionnée : c’est ce que l’on appelle la « liste rouge ». L’abonné dispose aussi de la faculté, par son inscription sur la « liste orange » – à la renommée très confidentielle –, d’obtenir gratuitement de l’opérateur l’interdiction d’utiliser ses données personnelles dans des opérations de prospection directe, soit par voie postale, soit par voie de communications électroniques. Mais la constitution des annuaires téléphoniques obéit à la technique d’opt out, puisque les abonnés doivent effectuer une démarche pour protéger leurs données personnelles.

Je ne voudrais pas omettre de mentionner que, au moment où la commission des lois est saisie de la présente proposition de loi, le Gouvernement met en place un dispositif qui entend répondre aux mêmes préoccupations, dénommé Pacitel. Il s’agit d’une liste d’opposition recensant, à leur demande, les consommateurs qui refusent d’être démarchés par les entreprises volontaires, c’est-à-dire les principales fédérations professionnelles du secteur de la prospection et de la vente par téléphone. Pacitel obéit donc, comme la « liste orange », au principe d’opt out.

Saisie de la proposition de loi, la commission a souhaité adapter le dispositif proposé à l’objectif affiché par ses auteurs.

Tenant compte de l’encadrement existant et du but à atteindre, elle a retenu un système protecteur à la source pesant sur les opérateurs téléphoniques.

Les trois articles de la proposition de loi ont été réécrits en ce sens.

L’article 1er, établi par la commission, tend à prescrire le principe du recueil du consentement exprès de l’abonné à un service téléphonique au public, fixe ou mobile, pour l’utilisation de ses données à caractère personnel à des fins de démarchage, que l’utilisateur soit l’opérateur lui-même ou un tiers.

Parallèlement, le nouveau droit de l’abonné devrait figurer sur le contrat d’abonnement téléphonique au titre des informations obligatoires fixées par le code de la consommation.

Point très important, le dispositif préserve la faculté, pour la personne concernée, de manifester son refus à tout moment au traitement de ses données, même après y avoir consenti, conformément au principe institué par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

La rédaction de cet article 1er commandait la suppression de l’article 2.

L’article 3 vise à sanctionner d’une peine d’amende de 45 000 euros le non-respect du consentement préalable de l’abonné à l’utilisation de ses données personnelles à des fins de démarchage.

Sans vouloir anticiper le débat qui pourrait survenir sur ce point, j’indique que la commission est restée ouverte à ce que la répression s’effectue également par la voie d’une amende administrative. Mais, dans ce cas, un système binaire doit rester en place afin que le consommateur ne soit pas privé du droit de citation directe ou de plainte avec constitution de partie civile, ce qui permet alors la poursuite pénale.

En outre, un article 4 est ajouté, ayant pour objet d’appliquer le nouveau principe aux abonnements téléphoniques en cours.

Il tend également à confier au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les moyens les plus appropriés au recueil du consentement de l’abonné, dans le délai d’un an à compter de la publication de la loi. Le pouvoir réglementaire trouvera d’ailleurs quelques idées sur le sujet en lisant le compte rendu des débats de la commission.

Afin de ne pas bloquer indéfiniment la pratique du démarchage par l’inaction de l’abonné, l’accord de celui-ci serait considéré comme acquis à défaut de réponse dans un délai de deux mois.

La commission ne prétend pas ainsi régler définitivement la question du démarchage téléphonique agressif, mais elle estime que cette pratique devrait être normalisée et régulée par l’application des nouvelles dispositions.

Ces propositions constituent une avancée juridique, dans la mesure où elles retiennent le principe de l’opt in pour alimenter la source normale du démarchage téléphonique, c’est-à-dire les listes d’abonnés. Elles complètent les outils existants – droit d’opposition, liste orange, dispositif Pacitel –, dont l’utilité n’est pas contestable, mais qui ne permettent pas de résoudre la question essentielle du consentement à ces diverses pratiques entamant la vie privée de chacun.

La profession a manifesté une certaine opposition, en tout cas sur le texte d’origine. Elle a notamment invoqué le risque, selon elle, que cette évolution ferait peser sur les emplois du secteur. Nous avons noté que la démonstration n’était pas faite de cette affirmation et je n’ai pas pu obtenir de précisions sur ce point.

En réalité, le texte de la commission des lois rééquilibre, dans le cadre contractuel classique de notre droit, les relations entre démarcheurs et consommateurs, en offrant à ceux-ci une protection réelle contre des comportements devenus particulièrement intrusifs du fait de pratiques commerciales agressives.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat le texte qu’elle a établi.

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