Intervention de Frédéric Lefebvre

Réunion du 28 avril 2011 à 15h00
Démarchage téléphonique — Adoption d'une proposition de loi

Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord remercier M. Jacques Mézard, ainsi que tous les auteurs de la proposition de loi, et saluer cette initiative qui porte sur un sujet essentiel, les pratiques dont nous débattons polluant la vie de bon nombre de citoyens et de consommateurs.

De nombreux abus sont effectivement constatés en matière de démarchage téléphonique, et il est évidemment du devoir du législateur d’y mettre un terme.

Le texte issu des travaux de la commission – je salue à ce titre la contribution de M. le rapporteur – vise à renforcer les droits des consommateurs afin que ces derniers ne soient plus victimes de démarchages téléphoniques qu’ils n’ont pas sollicités.

Qui n’a pas été victime de telles pratiques ? a demandé tout à l’heure M. le rapporteur. Oui, nous avons tous subi des démarchages abusifs et nos concitoyens sont nombreux à dénoncer, de plus en plus fréquemment, les sollicitations téléphoniques intrusives et répétées dont ils font l’objet à domicile de la part d’entreprises commerciales. Beaucoup de réclamations parviennent jusqu’à mes services via la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Le Gouvernement, cela a été souligné précédemment, est sensible à cette question, car le démarchage téléphonique peut parfois aboutir, notamment chez les personnes âgées ou fragiles, à la conclusion de contrats qui ne sont pas expressément consentis. Il est donc de notre devoir d’agir.

En tant que secrétaire d’État chargé de la consommation, j’ai déjà expliqué dans cet hémicycle que mon action reposait sur trois piliers : la qualité, la transparence et la protection des consommateurs. En l’occurrence, il s’agit dans la discussion qui nous occupe cet après-midi de protéger les consommateurs.

Un meilleur encadrement des pratiques en matière de démarchage électronique permettrait de répondre à cet objectif. C’est pourquoi je me félicite qu’une telle réflexion soit engagée aujourd’hui sur le sujet. Néanmoins, nous devons être prudents sur les modalités concrètes permettant d’atteindre ce but.

Pour renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique, les auteurs de la proposition de loi avaient initialement envisagé de mettre en œuvre un dispositif généralisé de recueil du consentement exprès des consommateurs à l’utilisation de leurs données personnelles.

Cette rédaction faisait basculer le régime actuel dit d’opt out, par lequel un consommateur peut s’opposer à être démarché, vers un régime dit d’opt in, par lequel un professionnel voulant exercer une activité de démarchage doit recueillir au préalable le consentement exprès du consommateur.

Si le régime d’opt in peut apparaître protecteur pour les consommateurs – chacun ici est évidemment sensible à cette question –, il présente de forts risques de déstabilisation du secteur du démarchage téléphonique. Or, si les abus sont bien réels – les orateurs précédents ont eu raison de les souligner –, certains professionnels du démarchage font aussi leur travail de façon respectueuse, à la plus grande satisfaction de nos concitoyens et des clients.

Je rappellerai tout de même quelques chiffres, car nous devons être conscients de ce que représente l’activité des centres d’appels dans notre pays.

Ce secteur totalise aujourd’hui 260 000 emplois, dont tous ne concernent pas les démarchages proprement dits.

En moyenne, près de 160 000 emplois sont consacrés à la gestion des appels entrants : appels émanant des clients vers les centres d’appels et portant essentiellement sur des sujets liés au service après-vente des produits.

En revanche, près de 100 000 emplois sont consacrés à la gestion des appels sortants, qui visent deux objectifs différents. Certains sont destinés à fidéliser une clientèle existante – j’y reviendrai à l’occasion de la présentation d’un amendement que je défendrai au nom du Gouvernement – et d’autres à trouver de nouveaux clients.

Il faut donc veiller à ne pas menacer ces 100 000 emplois par des mesures qui ne seraient pas proportionnées à l’objectif louable, commun à la Haute Assemblée et au Gouvernement, de protéger les consommateurs.

Sur l’initiative de son rapporteur, la commission des lois a adopté le 11 avril dernier une nouvelle version de la proposition de loi, dans laquelle le régime d’opt in, cher à l’auteur du texte, a été conservé, tout en étant principalement ciblé sur les opérateurs téléphoniques. Cette restriction du champ aux opérateurs téléphoniques, que je salue, permet de diminuer très clairement l’impact sur l’emploi du secteur.

Il m’apparaît cependant indispensable de préserver la capacité des opérateurs téléphoniques de pouvoir se mettre en contact avec leurs propres clients, notamment pour que les dispositifs actuels de protection du consommateur soient préservés. Je pense, par exemple, aux dispositifs d’alerte, que les consommateurs appellent de leurs vœux et qui sont aujourd’hui généralisés, ou aux dispositifs de conseils personnalisés, qui vont également dans l’intérêt du consommateur.

Le dispositif retenu dans la proposition de loi ne doit donc pas empêcher les opérateurs téléphoniques d’avoir des échanges réguliers avec leurs propres clients. C’est une évidence, et c’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement sur ce sujet.

Au-delà de la nécessité de préciser le champ d’application, conviction qui est partagée par la commission – M. le président de la commission montre d’un hochement de tête qu’il est favorable à cet amendement –, le Gouvernement demeure réservé sur le dispositif retenu, car il ne semble pas répondre totalement à l’objectif de protection des consommateurs. Cela ne nous empêche pas, je le redis, d’approuver l’essentiel de la démarche ayant conduit au dépôt de cette proposition de loi.

En l’état, le texte limite les facultés de démarchage à partir des annuaires des opérateurs.

Toutefois, les acteurs économiques autres que les opérateurs téléphoniques pourront continuer à démarcher les consommateurs puisque les numéros de téléphone utilisés dans le cadre de ces opérations proviennent majoritairement des fichiers détenus par les entreprises ou achetés à d’autres entreprises, et non des annuaires téléphoniques réalisés par les opérateurs téléphoniques.

Pour mieux répondre à l’objectif de protection des consommateurs, il me paraît opportun de ne pas rejeter, comme vous en avez peut-être donné le sentiment tout à l’heure, les initiatives qui ont été prises par le secteur.

Quand et comment le démarchage pourra-t-il avoir lieur ? Je vais tenter d’éclairer la Haute Assemblée sur cette question puisque la démarche engagée est suffisamment importante et volontariste pour qu’on s’arrête quelques instants sur ce point. Cela a été souligné, les professionnels reçus dans le cadre des auditions par la commission admettent eux-mêmes la nécessité de réguler leur démarche. Leur idée est d’établir une liste d’opposition au démarchage téléphonique sur laquelle les consommateurs ne souhaitant plus être sollicités peuvent s’inscrire et que les professionnels auraient obligation de consulter avant toute action. Elle ne me semble pas devoir être rejetée.

En réponse aux députés qui, comme vous, avaient interpellé le Gouvernement sur le sujet, Hervé Novelli avait, à l’époque, souhaité renforcer la protection des consommateurs dans ce domaine. À cet effet, le Gouvernement a créé un groupe de travail avec les professionnels concernés pour réfléchir à la mise en place d’un dispositif permettant aux consommateurs de s’opposer à l’utilisation de leurs coordonnées téléphoniques à des fins de prospection commerciale, à l’instar de ce qui existe déjà avec la liste Robinson pour les publicités écrites nominatives, dispositif qui fonctionne parfaitement.

Cette initiative a rencontré un écho favorable auprès des principales fédérations professionnelles représentatives du secteur.

Les travaux du groupe de travail ont débouché sur la proposition de créer une liste d’opposition dite « Pacitel », du nom de l’association formée à cet effet et regroupant les fédérations concernées.

Les professionnels ont lancé un appel d’offres pour les prestations techniques de construction de la liste le 18 avril dernier, et le prestataire sera choisi dans le courant du mois de mai. L’assemblée générale de création de l’association regroupant les fédérations pour la gestion de cette liste s’est tenue hier et le dépôt des statuts en préfecture a eu lieu ce matin. Le lancement opérationnel de la liste est prévu dès cet été.

Ce dispositif s’appliquera à toutes les entreprises membres des associations. Au total, ce sont environ 90 % des entreprises françaises de tous les secteurs d’activité qui, en tant que membres de ces associations, seront tenues de consulter cette liste d’opposition avant de démarcher téléphoniquement les consommateurs et devront exclure de leurs fichiers toute personne inscrite sur la liste.

Cette liste d’opposition applicable aux fichiers « clientèle » échangés par les entreprises entre elles complétera les listes d’opposition déjà mises en place par les opérateurs téléphoniques – je pense aux listes orange –, qui permettent aux abonnés ne souhaitant pas que leurs coordonnées téléphoniques soient utilisées par l’opérateur à des fins commerciales de se protéger de ce type de démarche.

La combinaison de deux listes d’opposition, l’une s’appliquant aux fichiers commerciaux des entreprises et l’autre aux annuaires des opérateurs téléphoniques, devrait permettre d’offrir aux consommateurs qui ne veulent plus être sollicités par téléphone une protection plus efficace contre l’usage commercial de leur numéro de téléphone. C’est l’objectif que vous visez avec ce texte.

Le nouveau dispositif permettra, me semble-t-il, de répondre efficacement, mais il faudra en juger par son application dans la durée, au principe inscrit dans la loi du droit de chacun de s’opposer à l’utilisation par un tiers de ses propres données. Ce sujet me tient tellement à cœur que j’ai signé avec la CNIL, voilà quelques mois, un accord devant permettre au Gouvernement, via la DGCCRL et la CNIL, de travailler à la protection des données personnelles.

Cette démarche d’opt out, qui n’est pas celle que vous entendez défendre au travers de cette proposition de loi, a l’avantage d’être suffisamment générale pour pouvoir être efficace.

C’est la voie qui a été retenue par d’autres pays, notamment par le Canada. Je pense, en particulier, au site canadien « www.lnnte-dncl.gc.ca », qui rencontre un vrai succès. Cette liste d’opposition fonctionne et permet à ceux qui ne veulent plus être démarchés de ne plus l’être.

Je demanderai à mes services d’obtenir du Canada un bilan de ce dispositif qui, visiblement, donne parfaitement satisfaction et de le transmettre, car je pense que ce sera utile pour la poursuite des débats, au rapporteur et aux auteurs de la proposition de loi.

Je sais, monsieur le rapporteur, que la commission a relevé que cette liste ne s’appliquerait qu’aux seuls adhérents des associations concernées. Pour garantir que tous les professionnels auront l’obligation de consulter cette liste, je suis tout à fait prêt à ce que ce dispositif soit inscrit dans la loi.

Grâce à votre initiative, une démarche législative est engagée. Elle nous permettra, dans les prochaines semaines, à la lumière des informations que nous vous fournirons et à la suite des dispositions prises et qui seront appliquées dès cet été par les fédérations professionnelles, de travailler de nouveau sur cette question. Compte tenu de l’éclairage de l’exemple canadien, nous verrons alors laquelle des deux solutions – celle que vous proposez, et sur laquelle vous allez retravailler, monsieur le rapporteur, et celle qui est défendue par les professionnels – est la plus à même de répondre à notre objectif commun de lutte contre le démarchage abusif.

Avant de conclure, je dirai quelques mots sur le régime de sanctions prévu à l’article 3 de la proposition de loi.

Il est proposé une amende pénale plafonnée à 45 000 euros. Ce seuil me paraît élevé. Je considère, en outre, qu’une sanction administrative prononcée par la DGCCRF serait plus efficace qu’une sanction pénale.

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