Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’usage du démarchage abusif est aujourd’hui tel qu’il est impossible de passer à travers les mailles de ce type de pratique agressive de vente, dont les principales victimes restent les plus fragiles d’entre nous.
La proposition de loi de nos collègues du RDSE prévoit d’inverser le système prévalant aujourd’hui en termes de protection des consommateurs, selon lequel il revient à ces derniers de manifester leur refus de subir ces pratiques. Elle prévoit également qu’à défaut de consentement exprès le consommateur doit être épargné.
De telles mesures, que nous jugeons fondamentalement utiles, risquent cependant de ne pas être suffisantes. En effet, si la législation actuelle est déjà répressive, elle ne permet pas pour autant d’atteindre les objectifs escomptés.
L’article 6 de la loi « Informatique et libertés » précise, notamment, que les données « sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités ».
À ce titre, il est intéressant de noter que le Gouvernement lui-même fait preuve d’assez peu de scrupules en la matière puisque c’est en toute tranquillité qu’il a fait voter en 2009 la vente du fichier des cartes grises à des fins commerciales.
De plus, l’article 32 de ladite loi prévoit que « la personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel la concernant est informée, sauf si elle l’a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant : 1° De l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ; 2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ; 3° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses ; 4° Des conséquences éventuelles, à son égard, d’un défaut de réponse ; 5° Des destinataires ou catégories de destinataires des données ».
Par ailleurs, l’article 38 de cette même loi précise que « Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur. »
En outre, le code de la consommation interdit et sanctionne déjà les pratiques commerciales agressives, parmi lesquelles figure le démarchage téléphonique.
De surcroît, l’article 39 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, transposant en droit français la directive européenne 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales, pose désormais le principe d’une interdiction générale des pratiques commerciales déloyales des professionnels à l’égard des consommateurs.
Or cette même directive européenne comporte en annexe une liste « noire » de pratiques commerciales déloyales prohibées, parmi lesquelles figurent, au titre des pratiques agressives, le fait de se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone ou d’effectuer des visites personnelles au domicile du consommateur en ignorant sa demande de voir le professionnel quitter les lieux.
Sur le fond, nous considérons bien évidemment qu’il n’est pas normal que ce soit au citoyen consommateur de mettre en place les dispositifs pour ne plus être importuné. Il serait plus opportun que le citoyen donne expressément son accord afin que ses données personnelles soient utilisées à des fins commerciales. À défaut, celles-ci devraient être considérées comme strictement confidentielles et donc inutilisables.
Nous estimons à ce titre, contrairement à M. le rapporteur, que la réponse gouvernementale n’est pas à la hauteur des enjeux. Elle se limite seulement à la mise en place du projet Pacitel, évoqué par M. le secrétaire d'État, qui prévoit la création d’une nouvelle liste spéciale d’opposition, en accord avec les fédérations concernées, sur laquelle les consommateurs pourront s’inscrire.
Par ailleurs, les professionnels se sont engagés à ne plus téléphoner au-delà de vingt heures trente et à limiter la prospection entre neuf heures et dix-huit heures le samedi. Ainsi, 90 % des entreprises françaises ont avalisé le respect de cet engagement par le biais d’un accord de leurs fédérations qui précise clairement que « lorsqu’une entreprise envisagera de mener une campagne de prospection téléphonique, elle expurgera de ses fichiers les coordonnées des personnes inscrites dans la liste, excepté celles qui lui auraient été volontairement transmises par les consommateurs eux-mêmes ».
Nous concédons que l’unique point positif d’une telle mesure réside dans la prise en compte du fait que les fichiers utilisés dans les opérations de prospection ne sont pas toujours issus de l’annuaire téléphonique, mais qu’ils sont parfois constitués par les entreprises elles-mêmes.
Cependant, nous ne pouvons être que sceptiques : cette future liste se greffe sur des dispositifs déjà existants – listes rouge, orange, Robinson – au risque de créer de la confusion chez les particuliers.
La procédure demeure compliquée puisqu’il faudra envoyer un courrier avec le numéro de téléphone concerné, les nom et prénom du titulaire de la ligne, son adresse postale ainsi qu’une copie de sa carte d’identité, ce qui signifie que l’on sera amené à fournir des informations supplémentaires.
Par ailleurs, je m’interroge sur les pratiques qui consistent maintenant pour les consommateurs à donner de manière volontaire des informations permettant à des sociétés de relayer ces renseignements à des fins commerciales. Il en est ainsi, par exemple, des réseaux sociaux tels que Facebook.
Ces pratiques inquiètent les défenseurs de la vie privée. En effet, ce réseau constitue la plus grande base d’informations personnelles pouvant être utilisées à des fins commerciales. D’ores et déjà, de nombreux utilisateurs se plaignent du ciblage publicitaire dont ils sont victimes par le biais de Facebook, à la suite de visites de sites internet.
Nous le voyons bien, la question fondamentale réside dans la valeur marchande des informations portant sur les consommateurs. À ce titre, nous estimons qu’il faudrait définir comme illégale toute vente de données relatives à des consommateurs, ce qui permettrait de mieux garantir le respect des libertés individuelles.
D’autre part, les agents de la DGCCRF sont habilités à contrôler le respect des dispositions législatives. Or, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes subit également les affres de la RGPP, si chère à notre Gouvernement, et n’a tout simplement pas les moyens d’effectuer l’ensemble de ces contrôles.
Je déplore les évolutions préconisées par la commission et par le rapporteur, qui réduisent la portée de la proposition de loi initiale de nos collègues du RDSE.
Alors même que la lutte contre le démarchage abusif à des fins commerciales est un sujet plutôt consensuel, la réécriture préconisée du texte revient sur le principe selon lequel l’interdiction doit devenir la règle et l’autorisation l’exception : en effet, le consentement du consommateur est réputé acquis s’il n’a pas répondu dans un délai de deux mois à la sollicitation de l’opérateur. L’assentiment exprès est ainsi limité aux nouveaux contrats passés par les opérateurs téléphoniques.
La rédaction préconisée englobe l’application de ces dispositions aux instituts de sondage ainsi qu’au démarchage téléphonique dont la visée ne serait pas de nature commerciale. Il s’agit d’un élargissement dangereux.
Pour toutes ces raisons, nous préférions, je le répète, la proposition de loi initialement déposée par le groupe RDSE. Cependant, reconnaissant que ce texte participe à une prise de conscience des méfaits du démarchage téléphonique, même s’il ne constitue qu’une avancée extrêmement limitée dans la bonne direction, nous le voterons. §