Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 7 décembre 2004 à 10h30
Loi de finances pour 2005 — Agriculture alimentation pêche et affaires rurales

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Malgré tout, certains aménagements internes à ce budget permettent de dégager quatre priorités, qui sont naturellement financées par des économies réalisées dans d'autres domaines. Ces économies portent sur les crédits d'orientation des offices, les CAD, les bonifications, l'installation, le fonds d'allégement des charges et le dispositif de soutien aux agriculteurs en difficulté.

Les quatre priorités gouvernementales sont le lancement de l'assurance récolte, pour 10 millions d'euros, la création d'un fonds unique de modernisation des bâtiments d'élevage, pour 55 millions d'euros, l'engagement d'une politique phytosanitaire, pour 15 millions d'euros, et le renforcement de l'enseignement supérieur et de la recherche, pour 228 millions d'euros.

Ces priorités, toutes fort louables, sont attendues par la profession, mais les économies faites sur les secteurs que je viens de citer risquent fort de réduire sensiblement leur portée au regard du bénéfice global espéré par les agriculteurs.

L'assurance récolte peut être un excellent outil au service du monde agricole, tant les aléas climatiques pèsent lourd, notamment pour les viticulteurs et les producteurs de fruits et légumes. Encore faudra-t-il que l'Etat l'abonde suffisamment, que la contribution des agriculteurs soit mutualisée et que les remboursements soient plafonnés ; sinon, l'assurance récolte peut rapidement devenir un nouvel outil de sélection et de course à la concentration.

Par ailleurs, certaines calamités agricoles ne sont pas prises en compte par cette assurance, notamment, bien sûr, les crises sanitaires.

Cependant, monsieur le ministre, la pire des calamités agricoles, celle des prix et des relations avec la grande distribution, a besoin, non pas d'assurance, mais de décisions politiques et législatives courageuses ; j'y reviendrai tout à l'heure.

La création d'un fonds unique de modernisation des bâtiments d'élevage s'inscrit dans la stratégie du guichet unique, en lieu et place du CNASEA, le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, des services de l'Etat et des offices d'intervention. Une telle création peut être considérée comme une simplification d'accès aux aides, mais quel est, exactement, le « plus » financier qu'apporte le budget en comparaison du système précédent ?

Pourriez-vous également, monsieur le ministre, nous préciser les critères qui présideront à l'attribution de ces aides ? Seront-ils comparables à ceux du PMPOA, le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, au titre duquel les aides sont attribuées en priorité aux exploitations les plus importantes, en attendant que les plus petites aient disparu ?

Parmi les quatre priorités du projet de budget, on ne peut que saluer la mise en place d'une politique phytosanitaire. Quant aux crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche, ma collègue Annie David les évoquera tout à l'heure.

Je voudrais, à présent, évoquer la gestion des crises.

Votre prédécesseur, M. Gaymard, a déclaré il y a quelques jours, devant la commission des affaires économiques et du Plan, qu'il s'agissait du « plus important combat à mener à Bruxelles dans les mois qui viennent ».

L'actuelle crise du chou-fleur en Bretagne est évocatrice : les pertes s'élèvent à 100 millions d'euros, ce qui représente une baisse de 30 % du chiffre d'affaires. Si la crise est, certes, liée à des conditions climatiques trop favorables, elle est amplifiée par l'importation de choux-fleurs de Pologne.

Au demeurant, cette crise n'est qu'un aperçu de ce qui nous attend demain, dans le cadre d'une Europe où la concurrence est libre et non faussée, où la circulation des biens, des capitaux, des services et des hommes se fait sans entrave ni régulation, dans le cadre d'une Europe qui, aux termes de l'article III-232 du projet de Constitution européenne, prévoit de taxer à l'exportation des produits aidés au sein de leur filière, afin de ne pas affecter la sacro-sainte libre concurrence !

En réalité, à lire le volet agricole du projet de Constitution européenne, l'objectif est de favoriser des importations à bas coût, pour faire pression sur les prix agricoles et les rémunérations, en libérant la concurrence intracommunautaire et extracommunautaire. A cet égard, l'unicité des prix des produits agricoles à l'intérieur de l'Union laisse la place à une « politique commune éventuelle des prix ».

A aucun moment, la Constitution européenne n'évoque le sur les producteurs organisé par les grandes et moyennes surfaces, les GMS, et son objectif louable d'« assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs » risque de s'appliquer uniquement au détriment des producteurs.

La politique agricole commune et l'instauration du découplage partiel ou total vont accentuer la désorganisation des filières et de la maîtrise des productions. Par conséquent, de nouveaux facteurs de crise apparaîtront, dans la mesure où de très nombreux agriculteurs français et communautaires vont se mettre à produire autre chose que ce sur quoi est assise leur rente de référence, les fameux droits à paiement unique.

La gestion des crises nécessite de s'attaquer, d'abord, aux causes plutôt qu'aux conséquences. Si nous ne sommes pas maîtres des aléas climatiques, nous devrions pouvoir maîtriser les productions et encourager des échanges mutuellement avantageux.

C'est pourtant le contraire qui se déroule sous nos yeux, avec l'OMC, qui joue au « Monopoly international » en cherchant à supprimer toutes les protections douanières et en incitant les Etats à troquer, pour des milliards de dollars, des services, des produits manufacturés, le tout souvent au détriment des productions agricoles.

Chaque crise fait disparaître les exploitations les plus fragiles, et le savoir-faire de milliers d'agriculteurs. Le présent projet de budget, qui prévoit de consacrer 68 millions d'euros à l'installation et 91 millions d'euros au départ et à la réinsertion professionnelle, témoigne d'une volonté inavouée de concentrer encore davantage l'agriculture.

Il serait nettement préférable d'utiliser de telles aides au maintien des exploitants qui souhaitent rester dans l'agriculture. En effet, l'expérience montre que, même s'ils sont beaucoup moins nombreux, les agriculteurs ne vivent pas mieux qu'avant. Il est donc urgent de rompre avec cette logique qui vide nos campagnes et fait grossir les rangs du chômage et de la précarité.

Quant aux mécanismes traditionnels utilisés en cas de crise, à savoir les reports de charges ou de cotisations sociales et les aides au stockage, ils retardent parfois la chute, mais s'avèrent très peu efficaces à long terme.

La crise laitière qui a affecté notre pays se solde également par une baisse du revenu des producteurs laitiers, au profit des transformateurs, qui accaparent la majeure partie de l'aide laitière instituée par la PAC, et au profit de la grande distribution.

Au-delà des conséquences traditionnelles des crises, ce sont les espaces herbagers et montagnards les plus écologiques qui risquent de disparaître, au profit de cultures industrielles ou de jachères.

L'agriculture, qui semble se rapprocher des « taquets » de la productivité, les a même souvent dépassés dans le cadre d'une agriculture durable. Aussi, se pose en grand, aujourd'hui, la question de la revalorisation des prix agricoles à la production.

A ce propos, monsieur le ministre, qu'est devenue la conférence sur les prix promise par le Gouvernement ?

Ces quarante dernières années, les prix alimentaires ont augmenté de 600 %, alors que les prix payés au producteur n'ont augmenté que de 200 %.

Il est urgent d'organiser une conférence nationale des prix agricoles, qui rassemble tous les acteurs, du producteur au consommateur, en passant par les syndicats, les transformateurs, la grande distribution et les commerçants.

Les textes en vigueur demeurent globalement inefficaces face aux GMS et aux centrales d'achat, qui font la pluie et le beau temps. Ni la loi Galland ni la loi relative aux nouvelles régulations économiques ne suffisent à stopper les pratiques scandaleuses des marges arrière et les marges bénéficiaires exorbitantes.

Monsieur le ministre, j'avais proposé, lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, d'instaurer annuellement, pour chaque produit agricole, un prix minimum au-dessous duquel la situation de crise serait reconnue, et un prix de référence permettant aux agriculteurs de vivre décemment, d'investir, afin de moderniser et de rendre pérenne leur outil de travail, à savoir la terre qu'ils transmettront, demain, à leurs enfants.

Ces deux prix pourraient servir de référence permanente à l'ensemble des acteurs, du producteur au consommateur, et faire grandir l'idée selon laquelle il est possible de mieux rémunérer le producteur sans pénaliser le consommateur.

Au demeurant, une réelle politique des prix et non des primes est-elle encore possible et imaginable dans une France, une Europe et une Organisation mondiale du commerce toutes libérales ?

Le récent refus de l'Assemblée nationale de constituer une commission d'enquête sur le niveau, la formation et les conséquences de l'évolution des prix ne laisse rien espérer de positif en ce domaine.

La voie des prix rémunérateurs, d'une agriculture diversifiée à dimension humaine, de la souveraineté alimentaire des pays, des échanges équilibrés et de la solidarité internationale, appelle une tout autre politique.

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