Tout d'abord, monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter de votre arrivée à la tête d'un ministère qui m'est cher en tant qu'agriculteur et élu du monde rural. C'est un ministère difficile et exigeant, mais également gratifiant, car sa mission est de contribuer au maintien de l'économie, donc de la vie dans nos territoires.
L'agriculture est l'activité qui, historiquement, structure les régions et les paysages français. Chez moi, ce sont les vergers qui font le paysage, qui soulignent le passage des saisons. Si je vous en parle, c'est parce que j'espère que cela va continuer encore longtemps, mais la situation actuelle de la filière des fruits et légumes est préoccupante.
Je sais que nous sommes nombreux à vouloir nous exprimer. Aussi vais-je centrer mon propos sur les crises récurrentes que traverse la filière des fruits et légumes. J'interviendrai par ailleurs sur la mise en place d'une assurance récolte, qui est une priorité symbolique de ce projet de budget pour 2005.
La filière des fruits et légumes emploie directement quelque 650 000 personnes, du stade de la production à celui de la distribution. Cela fait d'elle le premier employeur agricole, avec la viticulture.
Or cette filière traverse une crise structurelle grave. Chaque année, le Gouvernement pare au plus pressé, si je puis dire, il colmate les plus grosses fissures, mais rien n'est fait pour aider et soigner en profondeur cette filière, qui ne bénéficie notamment d'aucun financement européen.
Cette année encore, votre prédécesseur a débloqué des aides d'urgence non négligeables en faveur des producteurs : 10 millions d'euros d'aides directes de trésorerie aux agriculteurs, 10 millions d'euros à l'ONIFLHOR pour engager des actions structurantes, 50 millions d'euros pour des prêts de consolidation et 1 million d'euros pour une prise en charge de cotisations de la Mutualité sociale agricole.
Cependant, si l'intention est louable, cela reste largement insuffisant.
A titre d'exemple, pour le département du Lot-et-Garonne, on ne connaît pas à ce jour l'enveloppe de prise en charge des cotisations de la MSA, qui doit être répartie, mais début septembre, les besoins recensés s'élevaient à 500 000 euros, ce qui représente la moitié des crédits accordés par le ministre au niveau national. Une enveloppe supplémentaire sera inévitablement nécessaire.
Certes, aider les producteurs à étaler sur cinq ans les échéances bancaires et les cotisations sociales agricoles est important, mais ne vaut-il pas mieux agir avant qu'ils ne soient pris à la gorge, avant qu'ils ne se posent la question, comme c'est le cas chaque année, de savoir s'ils continuent de planter, de produire, ou s'ils abandonnent ?
Afin de mettre fin à ce cercle vicieux, nous nous devons d'agir sur un certain nombre de points sensibles, que je souhaite vous exposer.
Premier point : depuis quarante ans, la consommation de fruits et de légumes diminue au profit des produits manufacturés. Dès lors, les débouchés commerciaux pour les produits de cette filière diminuent. En outre, et c'est beaucoup plus grave, se pose un problème de santé publique. L'INSEE estime que, en 2020, 20 % de la population française sera obèse. L'Organisation mondiale de la santé et l'Union européenne ont fait chacune des recommandations pour que la consommation des fruits et des légumes soit vivement encouragée. C'est un point que le Président de la République a également abordé lors de la présentation du plan anticancer.
Monsieur le ministre, les crédits actuels sont insuffisants : l'interprofession doit bénéficier de moyens financiers importants, notamment européens, pour pouvoir communiquer. En effet, en relançant la consommation des fruits et des légumes, nous aiderons les producteurs et nous participerons activement à la politique de santé publique que conduit le Gouvernement. Rappelons qu'à ce jour, entre les budgets publicitaires de l'interprofession et ceux d'un grand groupe agroalimentaire, il y a un rapport de 1 à 35.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne le coût de la main d'oeuvre : en France, le coût d'un travailleur saisonnier est de 8, 32 euros en moyenne à l'heure, contre 6, 15 euros en Allemagne, soit une différence d'un peu plus de 2 euros. Il nous faut agir sur ce levier. A cet égard, le Sénat avait adopté, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, un amendement proposé par mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe sur l'extension des dispositions du « contrat vendanges » à toutes les activités de récolte. Malheureusement, la commission mixte paritaire est revenue sur ce point. Mais j'espère que nous pourrons en reparler lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et trouver des moyens pour redonner de la compétitivité à nos producteurs.
Les distorsions de concurrence proviennent aussi du fait que la législation française concernant les intrants, qu'ils soient chimiques ou non, est nettement plus sévère que celle d'autres pays européens. II est inconcevable qu'à l'heure où s'ouvre le marché mondial nous ayons à souffrir non seulement de la concurrence des pays tiers, mais également, et surtout, de celle de nos plus proches voisins.
J'en viens à mon troisième point, les crédits destinés aux exploitations légumières et fruitières. Aujourd'hui, avec l'arrivée des pays de l'Est, nos exploitations ont besoin d'un plan d'adaptation structurel prenant en compte l'économie, l'environnement et le social. Il s'agit d'élaborer un produit de qualité et d'être compétitif, tout en respectant les règles environnementales et en maîtrisant les intrants.
La profession travaille sur ce sujet en liaison avec votre ministère, monsieur le ministre, pour que des mesures soient prévues dans le PDRN.
L'entrée de l'Espagne a été accompagnée par des dispositions très importantes, notamment des financements européens au niveau du programme intégré méditerranéen, qui ont été complétées à l'échelon national en 1992 et en 1993.
Aujourd'hui comme hier, nous avons besoin de mesures d'accompagnement pour les agriculteurs.
Le dernier levier sur lequel il nous faut réfléchir et agir concerne la difficile régulation économique du marché. A cet égard, je suis ravi que M. Gaymard soit notre nouveau ministre de l'économie, des finances et de l'industrie Il connaît très bien le sujet et je suis sûr qu'il n'oubliera pas les agriculteurs. Si tel était le cas, je sais, monsieur le ministre, que vous lui rappellerez son passage au ministère de l'agriculture et à quel point sont inégales, voire injustes, les relations entre les petits producteurs et la grande distribution.
Coefficient multiplicateur, prix minimum, mécanisme de cliquet, aucune solution n'est aujourd'hui définitivement arrêtée sur le sujet. Je sais que Christian Jacob, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, a été chargé d'étudier cette question d'un point de vue global.
Considérant les difficultés particulières de cette filière, j'ai proposé à M. Emorine de créer, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de travail sur les fruits et légumes. Je le remercie d'avoir répondu favorablement à ma suggestion, ainsi que Gérard César. Ce groupe de travail sera constitué mardi prochain. J'espère que nous saurons, avec mes collègues et les acteurs de la filière, dans un esprit constructif, être une force de proposition sur ce sujet sensible et complexe.
Je ne vous cache pas, monsieur le ministre, que je suis inquiet, d'autant que la marge de manoeuvre laissée par le projet de budget pour 2005 est très étroite. Les crédits sont reconduits, mais il faut y ajouter les reports prévus dans la loi de finances rectificative pour avoir le compte ! Dès lors, comment financer des actions supplémentaires ?
Les aides conjoncturelles accordées par votre prédécesseur s'avéreront rapidement très insuffisantes pour bon nombre d'entreprises. Dans ce contexte, comment trouverez-vous des crédits pour venir au secours des plus fragilisées d'entre elles ?
A compter de 2005, le dispositif communautaire de gestion des crises devrait être en place à partir du financement prélevé sur la modulation : 3 % de modulation, dont 1 % pour les crises. Si tel est le cas, vous aurez l'obligation d'apporter une contrepartie financière nationale à ce dispositif. Où comptez-vous trouver ces crédits ?
Monsieur le ministre, même si ce budget ne me donne pas entière satisfaction, je le voterai parce que je pense que votre prédécesseur a été un bon ministre de l'agriculture. Il a, en particulier, sorti la France de son isolement au niveau international et il s'est battu avec beaucoup d'énergie pour défendre l'agriculture française.
Je le voterai également parce que j'ai confiance en vous ; je connais votre courage et votre savoir-faire. Je sais que vous aussi, monsieur le ministre, vous vous battrez pour défendre notre agriculture, avec le concours de M. Forissier.