Intervention de Ivan Renar

Réunion du 7 décembre 2004 à 21h30
Loi de finances pour 2005 — État b

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Monsieur le ministre, vous avez fixé comme priorité l'acquisition par l'ensemble des élèves d'un « socle commun » de connaissances. La culture commune est une question de première importance, et j'ai bien pris note que c'est le Parlement qui en définira prochainement les contours.

Pour autant, je ne vous cacherai pas que je ne saurais me satisfaire du socle commun tel que vous l'entendez et que vous réduisez aux seuls lire, écrire et compter, lesquels constituent le b.a.-ba de l'école, le minimum que chacun est en droit d'attendre d'un enseignement digne de ce nom.

Certes, l'objectif de la maîtrise du français et des mathématiques va de soi. En revanche, il est inconcevable que cela se fasse au détriment d'autres matières fondamentales.

Pour ma part, je souhaite tout particulièrement mettre l'accent sur l'éducation artistique, car je ne pourrai jamais à me résoudre à ce qu'elle demeure le parent pauvre de l'éducation nationale, comme c'est le cas dans ce projet de budget, alors même que de multiples études ont confirmé sa pertinence pédagogique, sociale et culturelle.

De nombreux élèves en difficulté s'épanouissent et trouvent un sens à leur scolarité grâce à l'éducation artistique, à la musique, aux arts plastiques, au théâtre, etc. Beaucoup d'enseignants en témoignent : l'éducation artistique recèle un pouvoir exceptionnel ; elle agit comme une plus-value, y compris pour les autres matières enseignées.

En effet, en raison de sa spécificité même, elle ajoute une forme d'intelligence aux savoirs transmis et contribue à « re-lier » les connaissances entre elles, donc à mieux faire comprendre le monde dans lequel nous vivons.

La formation artistique, fondée à la fois sur l'universel et le singulier, est une invitation à la découverte de l'altérité, du respect d'autrui et de soi-même. Favorisant la pensée, la réflexion, l'expérimentation créative, elle permet aux élèves de se considérer non seulement comme des acteurs mais aussi comme des citoyens.

Vous mettez en avant le lire et le compter, monsieur le ministre, fort bien ! Mais comment envisager à notre époque une école réellement efficace qui passerait à côté de l'éducation à l'image, pour ne citer que ce seul exemple ? L'image est aujourd'hui omniprésente. Nos concitoyens, dès leur plus jeune âge, passent de plus en plus de temps devant la télévision. Quant au cinéma, il est une des premières pratiques culturelles, en particulier chez les jeunes.

Dès lors, comment envisager un système éducatif qui n'apprendrait pas à décrypter les images ?

Si de nombreuses expériences d'éducation artistique existent, grâce, d'ailleurs, à l'action volontariste des collectivités locales ainsi qu'à l'opiniâtreté d'enseignants passionnés, il devient urgent que ces expériences d'exception - je pense en particulier aux classes à projet artistique et culturel, ou PAC -soient non plus l'exception mais deviennent la règle.

Il est vrai que les classes à PAC ne sont pas les seules susceptibles de faire évoluer la situation. Toutefois, ces classes permettent une liaison avec les artistes eux-mêmes, et donc avec la création artistique.

Le vrai problème, selon moi, tient à la généralisation de toutes les formes d'action possibles sur l'ensemble du territoire. Et la meilleure façon de dire, c'est de faire.

En effet, l'éducation artistique n'est ni accessoire ni un supplément d'âme, encore moins un luxe. Bien au contraire, elle est de première nécessité, et son interdisciplinarité constitue un formidable et puissant instrument de formation des esprits.

Face à la déferlante de sous-produits culturels, face au décervelage ambiant, contre l'appauvrissement culturel généralisé, l'éducation artistique stimule les capacités des élèves à créer du symbolique et à forger les valeurs du « vivre ensemble ».

Développer l'éducation artistique, c'est faire oeuvre de civilisation, surtout dans une période où « l'effondrement de la raison engendre des monstres », selon la belle expression de Georges Bernanos.

J'irai plus loin : il me paraît indispensable d'enseigner l'histoire de l'art tout au long de la scolarité. L'art n'a pas à être à part, ou optionnel, c'est une contribution trop nécessaire pour n'en écarter personne.

L'histoire de l'art du xxe siècle, avec le dadaïsme, le surréalisme, le cubisme, par exemple, n'éclaire-t-elle pas pour les lycéens l'histoire tout court d'un siècle terrible et tragique, et en même temps exaltant ?

Le non-partage de l'art et de la culture, c'est comme une bombe antipersonnel, cela provoque des mutilations terribles. Il est urgent d'éradiquer les inégalités face aux richesses de l'esprit, de l'émotion, de l'imaginaire. Chaque enfant doit avoir une piste d'envol, et la formation artistique est indispensable à la pleine réalisation des individus.

L'école ne remplit pas sa mission si elle ne permet pas à chaque élève de développer toutes ses potentialités et, en particulier, d'apprendre à apprendre.

C'est à l'épreuve du feu qu'on se brûle, c'est à l'épreuve de l'art qu'on en suscite le désir. De surcroît, l'art a ce pouvoir extraordinaire de stimuler le désir d'apprendre. N'est-ce pas là l'une des vocations premières de l'éducation nationale et la condition même de ses succès ?

Il serait dommage, monsieur le ministre, de ne se satisfaire que d'un kit de survie culturelle réservé de fait aux élèves en difficulté, et de renforcer ainsi les inégalités sociales et culturelles toujours à l'oeuvre dans l'école du xxie siècle.

L'éducation artistique permet à certains élèves en échec de rebondir, de reprendre confiance, et à tous de développer leur part d'humanité et d'humanisme.

La rencontre avec les artistes qui viennent appuyer l'action des maîtres et des professeurs est très pédagogique. Quand des artistes, qu'ils soient musiciens, acteurs, poètes ou plasticiens, rencontrent des élèves, il y a toujours un moment magique : celui où les enfants et les jeunes découvrent qu'il n'y a pas de talent sans une quantité gigantesque de travail.

Voilà plus de quarante ans, la maison de la culture de Bourges était inaugurée par le général de Gaulle, accompagné d'André Malraux.

Le lendemain, La Nouvelle République titrait sur toute la largeur de sa première page, citant le général de Gaulle : « La culture n'est pas qu'un refuge et une consolation, c'est la condition même de notre civilisation ».

Monsieur le ministre, à défaut d'être d'accord avec moi, je pense que vous serez d'accord avec André Malraux et le général de Gaulle !

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