Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en préambule, reprendre l'avis émis, en octobre 2003, par le Haut conseil de l'évaluation de l'école : « On peut même estimer que notre pays consacre à ses étudiants de premier cycle universitaire à peu près la moitié de ce qu'il consacre à un collégien et le tiers, au plus, de ce qu'il consacre à un élève de classe préparatoire. Un tel déséquilibre est bien sûr choquant mais surtout révélateur de l'ambition que nous avons pour notre université ».
Il faut malheureusement constater que le budget de l'enseignement supérieur pour l'année 2005 ne permettra pas d'infirmer ce constat.
Tandis que le rôle central des universités au sein du dispositif de recherche national a été réaffirmé avec force lors des assises nationales des états généraux de la recherche, il apparaît que les universités ne connaîtront, au cours de l'année 2005, qu'un simple rattrapage de leurs dotations, les crédits inscrits dans le contrat quadriennal n'ayant jusqu'alors pas été versés dans leur totalité.
Au mieux, le présent budget ne devrait permettre qu'une simple stabilisation des moyens de l'enseignement supérieur, compte tenu à la fois de l'inflation et de l'augmentation des effectifs étudiants.
La mise en place actuelle du dispositif LMD aurait pourtant nécessité un investissement massif de la part de l'Etat pour s'affirmer encore davantage. La refonte des cursus universitaires ne peut, en effet, se réaliser à moindres frais.
Au passage, je souhaite évoquer la situation extrêmement inquiétante d'une part croissante de la population estudiantine. Selon le CROUS, 80 000 étudiants ont fait une demande d'aide exceptionnelle l'an dernier, 22 000 seraient dans une situation de pauvreté grave et durable, et 107 000 dans une situation précaire.
Aussi ne faut-il pas s'étonner des taux d'échec enregistrés dans l'enseignement supérieur, lorsque les étudiants sont, pour la plupart, contraints de chercher des « petits boulots » pour financer leur scolarité.
Face à cette urgence, il importe de mettre en oeuvre un véritable plan social étudiant, prenant en compte l'ensemble des problèmes auxquels sont confrontés nos jeunes concitoyens, qu'il s'agisse de l'accès au système de soins, du prix du ticket-restaurant, du droit au logement, des bourses et allocations de recherche ou du mode de financement des études.
Parallèlement, l'Etat se doit d'engager une véritable politique de l'emploi universitaire. Sur ce plan, le budget pour 2005 n'est pas non plus satisfaisant. La création de 150 postes de maîtres de conférence à la rentrée prochaine demeure très largement insuffisante au regard des besoins réels des universités.
Certes, monsieur le ministre, votre projet mentionne l'ouverture au concours 2005 de 700 postes d'enseignants-chercheurs, la consolidation des 150 recrutements d'ATER, les attachés temporaires d'enseignement et de recherche, et des 150 emplois d'ingénieurs d'études engagés à la rentrée de 2004.
Mais je rappelle qu'il ne s'agit pas de mesures nouvelles, ces emplois relevant des 1 000 emplois « recherche » qui ont été obtenus au printemps dernier grâce à la lutte des chercheurs. De plus, de telles mesures ne permettent pas d'anticiper les nombreux départs à la retraite programmés dans les prochaines années.
Susciter les vocations scientifiques nécessite de créer de nouvelles perspectives d'emplois et de rendre l'enseignement supérieur plus attractif. En ce sens, il est plus qu'urgent de définir un plan pluriannuel des postes à créer et de revoir, entre autres, le statut de l'enseignant-chercheur.
Nous reviendrons naturellement sur ces dispositions pour les faire figurer dans le futur projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche et de l'enseignement supérieur, dont nous discuterons dans quelques mois.
Il est en effet grand temps de mettre un terme à la désaffection, à l'égard des filières scientifiques, des jeunes, et plus particulièrement des femmes, lesquelles peinent à accéder aux postes de chercheurs et d'enseignants-chercheurs à l'université.
Alors qu'elles sont très largement représentées dans les troisièmes cycles de l'enseignement supérieur, les femmes n'occupent, toutes disciplines confondues, que 41 % des postes de maîtres de conférences et à peine un quart des postes de professeurs.
La situation est plus préoccupante encore dans les sciences dites « dures », où l'on compte une très faible proportion de femmes parmi les effectifs d'enseignants-chercheurs.
A cet égard, au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, nous travaillons depuis juin dernier pour appréhender les problèmes de la recherche. Les femmes chercheuses et les universitaires se sont organisées pour faire état de leurs revendications, qui me semblent d'ailleurs justifiées. Dans ce domaine, nous ne courons assurément pas le risque de passer au matriarcat à la fin du XXIe siècle !
Dès lors, le Gouvernement serait bien avisé de donner suite aux propositions suivantes des chargées de mission à l'égalité entre les femmes et les hommes dans les universités et les établissements d'enseignement supérieur : exigence de parité sur les listes présentées aux élections du CNU, le Conseil national des universités, du CNRS, des commissions de spécialistes et des différents conseils dans les universités ; établissement d'un rapport annuel sur la situation de l'égalité entre les femmes et les hommes ; sensibilisation des enseignants aux problématiques de l'égalité et de la mixité.
Par ailleurs, sur un tout autre plan, on regrettera l'absence de création de postes IATOS, les personnels ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service. Les présidents d'université avaient pourtant déjà fait état des besoins de leurs établissements en « emplois environnés », la création d'un emploi d'enseignant-chercheur ne trouvant toute son efficacité que si elle s'accompagne de celle de personnels administratifs et techniques.
Or cette recommandation de la conférence des présidents d'université, la CPU, est, cette année encore, restée lettre morte.
Avant de conclure, je rappellerai que la démocratisation de l'enseignement supérieur demeure, toujours, un défi à relever.
En effet, si l'université est devenue une institution de masse, il n'en reste pas moins que le nombre d'étudiants en situation d'échec progresse sensiblement. Il faut, en outre, souligner que ce sont surtout des jeunes issus de milieux défavorisés qui abandonnent leurs études universitaires. On ne saurait demeurer passif face à cette situation.
Aussi faut-il que l'Etat s'engage dans une double politique d'éradication des sorties non ou peu qualifiées et d'élargissement de l'accès aux qualifications les plus élevées.
Une telle démarche implique de moderniser notre système éducatif dans son ensemble, de l'école à l'université, en lui attribuant les moyens nécessaires pour mener ses missions à bien. Vouloir réduire l'engagement de l'Etat dans ce domaine risque de gravement compromettre l'avenir de notre pays.
Pour reprendre le constat établi par MM. Romano Prodi et Wim Kok, « il reste beaucoup à accomplir pour éviter que les engagements de Lisbonne » - qui visent à l'édification d'une « société de la connaissance » - « deviennent synonymes d'objectifs manqués et de promesses non tenues. »
L'examen du budget ne permet pas de contredire ces propos, l'effort en faveur du développement de l'enseignement supérieur n'étant que par trop insuffisant. Le groupe CRC ne pourra donc voter le budget de l'enseignement supérieur, monsieur le ministre.