Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 7 décembre 2004 à 21h30
Loi de finances pour 2005 — Ii. - enseignement supérieur

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le ministre, comme à l'accoutumée, le projet de budget de l'enseignement supérieur pour 2005 est placé, cette année encore, sous le signe de la stagnation des moyens et des effectifs, alors que le nombre d'étudiants ne cesse d'augmenter depuis plusieurs années et que le mouvement des chercheurs a fait naître de grands espoirs pour l'université.

Je vous donne acte de la création concrète des 1 000 emplois annoncés en avril dernier, ce qui constituait une mesure d'urgence pour désamorcer la mobilisation des chercheurs.

La seule mesure nouvelle en termes d'emplois est la création de 150 postes de maîtres de conférence. Or les établissements universitaires ont besoin d'une évolution parallèle des personnels enseignants et administratifs, en particulier dans le contexte du passage au système LMD.

Aussi, l'absence de toute création nouvelle d'emploi de personnels IATOSS, les personnels ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers, de service et de santé, ou de personnels ITA, les personnels ingénieurs, techniciens, administratifs, risque de mettre en difficulté les universités, tout particulièrement les plus sous-dotées. En outre, ces emplois ne s'intègrent toujours pas dans une gestion prévisionnelle et pluriannuelle des effectifs.

Après un an de discussion sur l'aide sociale, les représentants étudiants ont bien vite déchanté à l'annonce, en septembre dernier, des mesures du Gouvernement : la revalorisation des bourses est moins importante que la hausse des prix, amputant ainsi le pouvoir d'achat des étudiants les plus modestes. L'augmentation des bourses de mobilité et des bourses au mérite bénéficiera à un si faible contingent que les étudiants qui auront la chance d'être concernés par ces décisions seront une infime minorité.

Quant à la fabuleuse opération de communication sur l'ordinateur portable à un euro par jour, elle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin, puisque ces derniers ne peuvent pas satisfaire aux conditions de ressources exigées par les banques et justifier du cautionnement requis pour l'obtention d'un prêt.

On est bien loin du plan social étudiant du gouvernement Jospin ! Rien n'est véritablement mis en oeuvre pour faire reculer le salariat étudiant toujours en hausse, alors que, désormais, 49 % des étudiants ont une activité rémunérée durant l'année universitaire. Pour une très faible proportion d'entre eux, cette activité est intégrée à leurs études. Je pense, par exemple, aux internes ou aux attachés temporaires d'enseignement. Pour 87 % des étudiants qui travaillent, cette activité entre directement en concurrence avec leurs études et constitue l'une des causes d'échec, en particulier dans les premiers cycles.

Dans vos propositions pour l'école, figure, monsieur le ministre, l'objectif que la moitié d'une classe d'âge, au lieu de 35 %, soit diplômée de l'enseignement supérieur. Au groupe socialiste, nous partageons évidemment cet objectif. Mais le bât blesse s'agissant des moyens que le Gouvernement se donne pour atteindre cet objectif.

D'abord, l'enseignement supérieur, hormis l'enseignement des langues étrangères au cours du cursus universitaire, est totalement absent de vos propositions pour la future loi d'orientation. Mais il est vrai que vous conservez la même logique puisque, dès le départ, l'enseignement supérieur n'a pas été intégré au débat sur l'école.

Ensuite, en termes de moyens, le sous-financement de l'enseignement supérieur par rapport à l'enseignement secondaire et par rapport aux principaux pays étrangers, qui est attesté par l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, est alarmant. Aux Etats-Unis, pays avec lequel il est à la mode de comparer notre pays, la dépense moyenne annuelle par étudiant, hors activité de recherche et de développement, est presque trois fois supérieure à celle qui est engagée en France. Et encore convient-il de relativiser cette dépense moyenne, puisque celle d'un étudiant en classe préparatoire aux grandes écoles est quasiment deux fois plus importante que celle d'un étudiant à l'université !

Ce budget n'est donc assurément pas à la hauteur de l'enjeu auquel est confrontée l'université française, qui aurait besoin d'un véritable plan de rattrapage financier. J'en veux pour preuve la hausse de 11 % de la dotation des établissements privés, alors que les crédits de l'enseignement supérieur augmentent seulement de 2, 3 %.

Si le chapitre « soutien des activités de recherche universitaire » connaît une progression de 3 %, il reste malgré tout en diminution par rapport à 2004, ce qui est un mauvais signe pour la recherche universitaire. L'évolution est similaire en matière de soutien de base aux laboratoires.

Nous sommes par ailleurs confrontés à de véritables problèmes structurels liés à l'accès aux différentes filières de notre enseignement supérieur.

Les filières de techniciens supérieurs destinées à l'origine aux bacheliers technologiques et professionnels - nous en avons parlé tout à l'heure, lors du débat sur l'enseignement scolaire -, lesquels sont généralement issus des milieux les plus modestes, ont été détournées de leur vocation. Ainsi, en 2003, les IUT, les instituts universitaires de technologie, comprenaient 65, 8 % d'étudiants issus de baccalauréats généraux, contre 32, 8 % issus de baccalauréats technologiques, et seulement 1, 4 % ayant un baccalauréat professionnel. Les filières de techniciens supérieurs sont devenues, au fil du temps, un moyen de contourner, pour les bacheliers généraux, le premier cycle universitaire, au détriment du public qu'elles étaient censées accueillir à l'origine.

Les bacheliers technologiques et professionnels, pourtant postulants pour la majorité d'entre eux à une filière sélective du type BTS, brevet de technicien supérieur, ou IUT, n'ont plus eu que la solution de se « rabattre » sur l'université pour entrer dans l'enseignement supérieur, et ce alors même qu'ils ont le moins de chance d'y réussir parce que les filières universitaires n'ont pas été conçues pour eux et ne savent pas valoriser leurs atouts.

En réalité, force est de le reconnaître, la sélection existe, y compris à l'université. Sur ce point, je partage l'analyse de M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, en ce qui concerne « le mythe de l'absence de sélection de notre système scolaire », ce qui ne signifie pas pour autant, que, a contrario, je sois partisan d'un système sélectif.

J'ajouterai même que la sélection à l'université est double : elle se fait d'abord socialement, ensuite par l'échec. Peut-être pire qu'un système qui se déclare ouvertement sélectif, cette sélection est totalement hypocrite et taboue, et entretient l'illusion de la réussite chez un certain nombre de nos jeunes, qui pourraient légitimement se sentir trompés par un tel système.

Il s'agit là d'un véritable gâchis humain, économique et social, sur lequel les présidents d'université se sont d'ailleurs encore récemment exprimés. Il faudra bien plus qu'une simple circulaire visant à réaffirmer la priorité aux bacheliers technologiques dans les sections de techniciens supérieurs pour contrecarrer cette situation de fait.

Le futur projet de loi de programmation et d'orientation sur la recherche ne pourra pas faire l'impasse sur ces questions de fond pour l'avenir de notre système universitaire. Quel sera donc, monsieur le ministre, son périmètre ? Sera-t-il circonscrit à la recherche stricto sensu, comprenant ou non la recherche universitaire, ou bien sera-t-il élargi à l'enseignement supérieur ?

Manque de moyens, manque d'ambition pour l'enseignement supérieur, c'est ce que traduit ce budget pour 2005, qui ne peut appeler qu'un vote négatif de la part du groupe socialiste.

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