Intervention de François Fillon

Réunion du 7 décembre 2004 à 21h30
Loi de finances pour 2005 — Ii. - enseignement supérieur

François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat de ce soir engage plus que d'autres l'avenir de la France. C'est du niveau et de la qualité de notre effort dans le domaine de l'enseignement supérieur que dépend à bien des égards notre capacité à préserver notre place dans le monde. Notre pays ne peut en effet compter que sur un atout majeur : sa capacité à former sa jeunesse pour lui permettre d'atteindre le plus haut niveau international.

Dans ce domaine, vous l'avez tous rappelé, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir.

En effet, si nous avons un système d'enseignement supérieur de grande qualité, si nous disposons de multiples foyers d'excellence, il n'en demeure pas moins que la France investit globalement moins que d'autres pays dans ce domaine.

A bien des égards, l'enseignement supérieur est même le parent pauvre de notre système éducatif. C'est ainsi que, si la France se situe très au-delà de ses partenaires de l'OCDE pour ce qui concerne, par exemple, la dépense d'éducation dans l'enseignement secondaire, elle est très en dessous de la moyenne pour la dépense par étudiant.

Face à cette situation, il est important de réagir par un effort volontaire et durable. Le Gouvernement y est décidé.

Ainsi, le budget que j'ai l'honneur de vous présenter affiche une hausse d'un peu plus de 3 % pour le budget de l'enseignement supérieur, soit pratiquement le double du taux retenu pour le budget dans son ensemble.

J'ai entendu les préconisations, les encouragements, venus notamment des travées de la gauche, en particulier de MM. Renar et Lagauche. Je ne peux m'empêcher de vous rappeler, messieurs les sénateurs, que cette situation n'est pas nouvelle. Elle dure depuis près de vingt ans. Et vous savez toute la part que vous avez prise à la gestion de notre pays depuis vingt ans !

Je retiendrai un exemple de cette situation, monsieur Renar. Contrairement à ce que vous avez dit, nous avons rattrapé le retard existant, en 2002, en matière de contrats quadriennaux En effet, les contrats 2001-2004 n'étaient pas signés, et, en 2003, nous avons donc payé l'année 2002 et l'année 2001.

Actuellement, les contrats quadriennaux sont, en moyenne, en progrès de 10 % quant à leur financement, et nous nous trouvons aujourd'hui dans le cadre d'un calendrier normal, pour la première fois depuis très longtemps.

En termes d'emplois, des efforts très significatifs ont été réalisés dès cette année avec la création, annoncée voilà quelques mois, de 1 000 postes : 700 professeurs et maîtres de conférence, 150 ATER, 150 IATOS.

Le budget pour 2005, vous avez pu le constater, consolide ces postes, annoncés en cours d'année et créés à la fin de cette année pour des raisons liées à la durée du recrutement. De plus, il prévoit 150 postes de maîtres de conférences supplémentaires. C'est la preuve que nous entendons ne pas nous arrêter à l'effort considérable réalisé en 2004 et que notre démarche s'inscrit dans la durée.

J'ajouterai, s'agissant de ces recrutements, qu'ils correspondent très exactement, quant à leur nombre et leur prise en charge par le budget pour 2005, à l'accord auquel j'étais parvenu, à mon arrivée au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, avec les acteurs des mouvements en matière de recherche et les représentants des présidents d'université.

Ce budget apporte également une attention toute particulière à la vie étudiante. Le rythme de construction de logements étudiants sera multiplié par quatre à la rentrée prochaine.

Je répondrai d'ailleurs à M. le rapporteur spécial que les CROUS ne construiront aucun logement eux-mêmes : ce sont les offices d'HLM ou des sociétés d'économie mixte, dont c'est le métier, comme il l'a souligné, qui effectueront les constructions immobilières ; les CROUS seront seulement gestionnaires de ces logements.

Quant au lease-back que vous évoquiez, la loi Robien permet à des promoteurs d'investir des capitaux privés pour construire des logements étudiants, puis de louer à un CROUS, qui sous-loue aux étudiants. Bien entendu, ces promoteurs privés peuvent tout simplement procéder eux-mêmes à la construction et à la location. La loi Robien inclut d'ailleurs des incitations à leur attention.

En ce qui concerne les résidences qui appartiennent à l'Etat, et non aux CROUS - ils n'en possèdent en effet pratiquement aucune -, je veux enfin souligner que la loi de décentralisation permet aux collectivités qui en feront la demande d'en devenir propriétaires.

Je vous indique que, à l'étranger, le secteur privé est assez peu impliqué dans la construction et la gestion des résidences universitaires : en réalité, quand l'Etat ne s'en charge pas, ce sont les universités qui en sont responsables.

J'ai également souhaité conforter financièrement le système d'aide aux étudiants, en lui affectant 22 millions d'euros de mesures nouvelles. Celles-ci ont été citées : il s'agit de la revalorisation des taux et des plafonds des bourses, de la création de bourses au mérite, de bourses de mobilité supplémentaires, ainsi que de la réactivation des prêts d'honneur, qui constituent, je crois, une solution parmi d'autres pour améliorer la situation des étudiants.

D'autres projets sont en cours, ou à l'étude, pour améliorer les conditions d'octroi des aides sociales grâce au versement pluriannuel des bourses, le renforcement du suivi sanitaire de la population étudiante, ou le développement de l'accueil des étudiants handicapés. Les chantiers en cours font actuellement l'objet de discussions régulières et intenses avec les organisations étudiantes.

Je dirai à M. Assouline que, si l'Etat a certes des responsabilités importantes - nous essayons d'ailleurs de rattraper les retards que nous avons trouvés -, les collectivités locales en ont aussi. La situation à l'intérieur du pays varie d'une région à l'autre : certaines régions étaient très impliquées dans la construction de logements, l'amélioration des conditions de vie des étudiants. Je citerai, par exemple, la région des Pays-de-la-Loire, qui avait pris en charge en quasi-totalité la rénovation des cités universitaires et la construction de logements pour les étudiants.

Quant aux crédits d'équipement, enfin, l'effort accompli dans ce budget est considérable : pour les contrats de plan Etat-région en particulier, nous passons d'une phase de préparation des projets à la phase de réalisation, celle où les constructions sortent véritablement de terre. Cela a pour conséquence une très forte augmentation des crédits de paiement inscrits au budget. En tenant compte des crédits du projet de loi de finances et de ceux que le Gouvernement vous proposera très bientôt d'ouvrir en loi de finances rectificative, les sommes disponibles à ce titre feront plus que doubler entre 2004 et 2005.

Toujours dans le domaine des investissements, et pour m'en tenir à un exemple particulièrement symbolique, je mentionnerai que j'ai posé avec M. Assouline la première pierre de la future implantation de l'université Denis-Diderot sur la ZAC Rive Gauche.

En ce qui concerne le campus de Jussieu, 163 millions d'euros d'autorisations de programme et 131 millions d'euros de crédits de paiement sont inscrits au budget, ce qui permettra que vingt et une barres sur les vingt-huit que compte l'université soient totalement désamiantées mi-2005.

Il s'agit d'un projet d'une très grande ampleur qui montre comment, à partir d'une difficulté considérable - le désamiantage de Jussieu -, nous avons su faire naître une opportunité magnifique : la consolidation d'une véritable université du XXIe siècle.

Plusieurs orateurs ont évoqué les perspectives de réforme à venir de l'université. Ils m'ont questionné sur le calendrier de cette réforme, sur l'autonomie des universités.

En réalité, la réforme dans l'enseignement supérieur est quelque peu permanente. Nous mettons actuellement en place, dans des conditions exceptionnelles à la fois quant aux délais et quant à son succès, la réforme licence-master-doctorat, ou LMD, qui n'est pas seulement un aménagement permettant la correspondance des diplômes en Europe. C'est en effet aussi une véritable révolution interne, qui oblige à une réorganisation des établissements et à une clarification des formations.

Je tiens à rassurer M. Jean-Léonce Dupont quant au devenir des diplômes à bac + 2 et à bac + 4 dans ce cadre.

Le schéma européen ne signifie pas la disparition dans chaque pays des niveaux intermédiaires. C'est pourquoi la mise en oeuvre du LMD dans les universités a préservé la possibilité de délivrer aux étudiants qui le souhaitent le DEUG à bac + 2 et la maîtrise à bac + 4. C'était d'autant plus nécessaire que, par exemple, la maîtrise reste le diplôme nécessaire pour se présenter à l'agrégation ou à d'autres concours de la fonction publique.

En outre, de nombreuses professions restent attachées au maintien des diplômes professionnels à bac + 2, dans la mesure où des emplois existent à ce niveau.

Dans cette optique, le brevet de technicien supérieur doit continuer à fournir les qualifications nécessaires, et le projet de loi d'orientation sur l'école confirmera l'importance de la filière technologique et professionnelle des lycées qui culmine avec le BTS.

Mme Férat m'a interrogé sur la politique des moyens humains dans le cadre de la réforme : le schéma licence-master-doctorat ne nécessite pas en lui-même l'augmentation des moyens humains.

Certes, la mise en oeuvre de parcours plus individualisés requiert un engagement des enseignants-chercheurs plus important auprès des étudiants pour améliorer leur orientation, notamment en licence. Mais, en même temps, la mutualisation d'enseignements dans des cursus moins « tubulaires » permet une optimisation de l'offre d'enseignement.

Quant aux niveaux master et doctorat, ils s'appuient sur des compétences scientifiques qui, par définition, existent puisque l'évaluation nationale l'a préalablement vérifié.

Cela ne signifie pas que des moyens supplémentaires ne sont pas nécessaires. Je l'ai dit à plusieurs reprises, notre enseignement supérieur est sous-financé par rapport à celui de bien d'autres pays ; mais ce n'est pas une conséquence du LMD.

Je répondrai maintenant à M. Lecerf, s'agissant de la capacité en droit.

On constate depuis quelques années, c'est vrai, une diminution régulière du nombre d'étudiants qui veulent s'inscrire dans cette filière, cette dernière ayant perdu, en dix ans, 50 % de ses effectifs.

Cette diminution peut s'expliquer par l'amélioration du taux de réussite au baccalauréat - 469 000 admis en 1997, 503 000 admis en 2003 -, mais aussi par une certaine faiblesse des débouchés professionnels à ce niveau de formation.

Toutes les universités qui proposent des formations juridiques disposent d'une capacité en droit, soit quarante-sept établissements aujourd'hui. Il appartient à ces établissements, de par l'autonomie que leur confère la loi, d'adapter éventuellement leur offre dans ce domaine.

Mme Férat a évoqué l'opération « portable à un euro ». Je donnerai simplement quelques chiffres à cet égard. Le site Internet de l'opération a connu un million de visiteurs, 35 000 portables ont été achetés, 200 000 sont en pré-commande. Le rythme d'achat est d'environ 1 000 portables par jour, contre quelque 250 en temps normal.

L'opération a eu aussi un effet de levier très important sur la modernisation des universités, puisque 80 % de ces dernières se sont engagées à s'équiper en Wi-Fi. Nous essayons, avec ces universités, de trouver des solutions pour les étudiants qui ne sont pas en mesure de profiter de cette opération.

M. Legendre a parfaitement décrit la problématique des universités dans les villes moyennes.

Notre pays compte 88 universités et 114 IUT, comprenant 639 départements, implantés sur 153 sites et antennes, ainsi que 236 écoles d'ingénieurs réparties sur tout le territoire.

C'est un maillage extraordinairement fin, l'un des plus denses en Europe. Il constitue, bien évidemment, un atout pour le développement des territoires, mais aussi une charge considérable pour l'ensemble de notre système, en particulier face aux difficultés de financement que je viens d'évoquer. Il est donc légitime de se demander si l'on a toujours eu raison, jadis, de multiplier les implantations.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à plusieurs nécessités.

D'abord, il convient d'améliorer la lisibilité de ce système territorial, notamment dans un cadre européen et mondial qui a pris une importance plus grande que par le passé. Nous avons besoin de constituer des pôles dotés d'une véritable visibilité internationale. C'est l'un des axes que je proposerai dans le cadre de la réforme de la recherche.

Ensuite, s'agissant plus particulièrement des antennes, M. Legendre en était d'accord, il faut rompre avec la logique de gonflement quantitatif des sites existants et asseoir leur légitimité en s'appuyant sur leurs segments de qualité. Un petit site n'est pas destiné à offrir, à l'identique, la palette de formation d'un plus grand.

Il n'y a pas de règle générale dans ce domaine. Il faut donc faire preuve de pragmatisme : consolider ce qui fonctionne bien, encourager les excellentes initiatives qu'il peut y avoir ici ou là et, surtout, aboutir à une réelle complémentarité entre les sites universitaires de toutes tailles.

Monsieur Lardeux, vous m'avez interrogé sur beaucoup de sujets, notamment sur les IUFM. J'ai déjà évoqué cette question tout à l'heure, mais ma réponse était moins radicale que la vôtre.

Si on les supprimait, il faudrait bien recréer des instituts, car je ne vois pas comment la France pourrait être le seul pays développé, voire le seul pays au monde, à ne pas former ses enseignants à l'université. Il ne peut pas vraiment y avoir débat sur le principe de la formation des maîtres. En revanche, on peut débattre du contenu des formations. D'ailleurs, je partage bien des choses que vous avez dites, et je les entends lorsque je rencontre les étudiants des IUFM.

S'agissant de l'enseignement supérieur privé, qui est un thème qui vous tient particulièrement à coeur, je suis très conscient des difficultés qu'il rencontre. J'ai d'ailleurs demandé à un député, M. Jérôme Chartier, de travailler sur cette question.

Le Gouvernement a décidé, en 2003, de mettre en place un comité consultatif de l'enseignement supérieur privé, associant les représentants des grandes fédérations. Celui-ci a reçu la mission de proposer un mode de répartition des crédits qui soit plus objectif et plus transparent que par le passé. En particulier, le comité approfondira ses travaux afin de mieux prendre en compte les démarches de formation des établissements dans une perspective de contractualisation.

En 2005, les crédits affectés à l'enseignement supérieur privé s'élèveront à 39, 5 millions d'euros, soit une progression de plus de 11 %. Cette hausse est consacrée, pour les trois quarts, à un rattrapage en fonction de critères proches de ceux utilisés pour l'enseignement supérieur public et, pour le quart restant, à la politique contractuelle.

De manière générale, la démarche du Gouvernement est pragmatique et raisonnable. Nous souhaitons simplement que l'enseignement privé soit placé, tant sur le plan de ses moyens que sur celui des mesures et des orientations le concernant, dans des conditions semblables à celles que connaît l'enseignement public.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi pour conclure de rappeler que l'examen de ce budget ne peut être dissocié de celui de la recherche, que François d'Aubert vous a déjà présenté. Là aussi, l'effort du Gouvernement a été considérable, puisque le milliard d'euros supplémentaire d'effort public en faveur de la recherche représente une hausse de 10 %.

L'université, qui constitue une pièce essentielle du dispositif français de recherche, est évidemment pleinement associée à cet effort. Les crédits nouveaux inscrits au budget civil de recherche et développement profiteront, notamment, à la recherche universitaire. De même, l'Agence nationale pour la recherche que nous allons mettre en place, et qui sera dotée de 350 millions d'euros dès cette année, financera les universités à travers les projets qu'elles présenteront.

Vous avez tous, ou presque, reconnu l'effort significatif réalisé par le Gouvernement dans ce budget. Certains ont regretté que nous n'allions pas plus loin. J'ai rappelé que notre retard d'investissement en matière d'enseignement supérieur n'était évidemment pas de la responsabilité d'un seul gouvernement ou d'un seul parti : il est en fait le résultat de choix effectués au cours de plusieurs décennies.

Aujourd'hui, un consensus existe sur la nécessité de renforcer notre investissement en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Je m'en réjouis. J'y vois la promesse d'une continuité dans l'effort, qui est indispensable pour que la France se place, dans ce domaine, au premier rang.

Il est vrai que nous pouvons mieux faire. Je vous propose de faire mieux au fur à mesure des réformes et des efforts budgétaires que nous allons engager.

Ce budget constitue un premier pas. Il va de soi qu'il sera soutenu dans la durée. Pour la France, il n'y a pas de meilleur investissement que celui qu'elle consacre à la formation de sa jeunesse. Lorsqu'on regarde l'évolution des pays qui nous entourent et des pays plus lointains, c'est, pour nous, une question de survie.

Si nous voulons maintenir notre rang, notre mode de vie et continuer à avoir une influence sur l'évolution du monde, il ne faut pas cesser d'augmenter notre effort et d'affûter notre dispositif d'enseignement supérieur.

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