Intervention de David Assouline

Réunion du 27 janvier 2011 à 9h00
Indépendance des rédactions — Rejet d'une proposition de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons la discussion d’une proposition de loi, déposée sur l’initiative des membres du groupe socialiste, tendant de nouveau à assurer aux médias un plus grand pluralisme et davantage d’indépendance. Ce texte succède à la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, rejetée par la majorité UMP, et qui avait pour objet de corriger une anomalie majeure de notre paysage audiovisuel par rapport à celui d’autres grandes démocraties. La plupart de nos grands médias audiovisuels vivent, en effet, de la commande publique, ce que relèvent les observateurs de toutes tendances, soulignant que cette situation pose un problème, tant pour l’indépendance des médias que pour la démocratie.

La présente proposition de loi est modeste en ce sens qu’elle prend acte du paysage actuel, que nous contestons et que nous voulons modifier. Elle vise, dans ce contexte, à assurer l’indépendance des rédactions et à faire en sorte que les concentrations existantes ne brident pas et ne réduisent pas à néant le pluralisme, qui garantit au lecteur la liberté de choix des lignes éditoriales des journaux et de ses moyens d’information, ce qui lui permet de se faire une opinion à la fois toujours plus libre et plus précise.

Le sujet n’est pas anodin, car les spécificités des entreprises de presse et de l’audiovisuel imposent un encadrement législatif particulier. Ces dernières doivent remplir leur mission d’information en respectant le principe constitutionnel de liberté de la presse garanti par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le respect de ce principe implique le pluralisme et l’indépendance de la presse.

Allons plus loin : depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement, conformément à l’article 34 de la Constitution, modifié à cette occasion sur une proposition que j’ai défendue au nom du groupe socialiste, a compétence pour fixer les règles garantissant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Et c’est de ce droit donné au Parlement par la Constitution que j’use aujourd’hui en défendant la présente proposition de loi.

Comme le rappelle l’exposé des motifs de celle-ci, depuis quelques années, la question de l’indépendance des rédactions se pose de manière sans cesse plus aiguë du fait des rachats, toujours plus nombreux, de titres par différents groupes dans le secteur de la presse et de la détention fréquente de plusieurs chaînes de télévision et antennes de radio par un même opérateur dans celui de l’audiovisuel.

Dans certains cas, des groupes cumulent des activités tant dans les domaines de la presse et de l’audiovisuel que dans les secteurs de la publicité, des annonces, de la communication. Plusieurs raisons expliquent ces cumuls.

Elles sont, d’abord, d’ordre économique et donc accentuées par la crise : diversification des activités, expansion des groupes.

Elles sont, ensuite, d’ordre technologique, notamment dans l’audiovisuel, l’arrivée de la télévision numérique terrestre, la TNT, conduisant à une multiplication des canaux.

Elles sont, en outre, d’ordre idéologique – il faut le dire – ; je pense, par exemple, au regroupement de chaînes de télévision du secteur public au sein d’une même société, ce qui renforce les moyens de contrôle politique.

Enfin, d’aucuns évoquent des raisons de rationalisation budgétaire.

Mais pour comprendre l’urgence et la nécessité de la proposition de loi que je vous présente, mes chers collègues, il faut regarder l’état actuel du paysage de la presse, en particulier celui de la presse quotidienne régionale, la PQR. Celle-ci domine nettement le secteur car elle est toujours autant lue par nos concitoyens et nous, sénateurs, de par notre vocation à représenter les collectivités territoriales, y sommes fortement attachés.

Que l’on en juge à un phénomène auquel aucun de nous, mes chers collègues, ne pourra être indifférent : les deux principaux groupes français, Socpresse, d’une part, issu de la scission du groupe Hersant en 1985 et du rachat d’une partie de ce dernier par le groupe Dassault, et Hachette Filipacchi Médias, d’autre part, sont contrôlés par de puissants groupes industriels et d’armement, respectivement Dassault et Lagardère.

Socpresse détient, outre Le Figaro et ses déclinaisons, des chaînes de télévision – Chaîne Météo, Sport24. Il était également, avant 2005, détenteur de nombreux titres de la presse quotidienne régionale au sein d’un pôle du groupe baptisé « Presse quotidienne régionale ».

Ce dernier se subdivisait en Socpresse Ouest, qui regroupait Le Courrier de l’Ouest, Le Maine Libre, Presse Océan, Vendée Matin, qui fut vendu à Ouest France en 2005, un pôle Nord, qui comprenait La voix du Nord, Nord Éclair, La Voix de l’Aisne, Nord Littoral, Le Courrier Picard et La Voix des Sports, revendu au groupe Rossel en 2005 – depuis lors, Nord Éclair et La Voix du Nord ont la même ligne éditoriale, leur contenu est similaire –, enfin, un pôle Bourgogne-Rhône-Alpes-Delaroche, qui détenait, notamment, Le Dauphiné Libéré, Le Progrès et fut cédé à L’Est Républicain en 2006.

Précisons, de surcroît, que le groupe Est Républicain fait partie du groupe Est Bourgogne Rhône-Alpes – EBRA –, lui-même racheté par le Crédit Mutuel en 2008.

Hachette Filipacchi Associés possède Elle, Jeune et Jolie, Paris Match, Le Journal du Dimanche, Ici Paris, Public

On comprend, dès lors, que si l’on peut avoir l’impression en France d’un éclatement de la presse quotidienne régionale entre une centaine d’entreprises, une observation plus fine permet de se rendre compte que quelques groupes concentrent de nombreux titre entre leurs mains. Outre les deux géants précédemment cités, d’autres émergent.

À titre d’exemple, le groupe Hersant Média détient les titres suivants : Le Havre Libre, Le Havre Presse, Le Progrès de Fécamp, Paris Normandie, L’Est Éclair, L’Union L’Ardennais, Libération Champagne, La Provence, Nice-Matin, Var-Matin, Corse-Matin, Marseilleplus, qu’il a racheté au groupe Hachette Filipacchi en 2007, et ParuVendu.

Pour sa part, le groupe Ouest France – troisième groupe de presse français après Socpresse et Hachette Filipacchi – détient, outre Ouest France et ses déclinaisons, les quotidiens régionaux Le Courrier de l’Ouest, Presse-Océan et Le Maine Libre, plusieurs magasines comme Voiles et Voiliers ; il est majoritaire dans le quotidien 20 minutes.

Quant au groupe Sud Ouest, – je n’oublie aucune région de notre cher pays !– il possède, outre ce titre, La Dordogne Libre, La Charente Libre, La République des Pyrénées, Bordeaux7, Les Journaux du Midi, Midi Libre Semaine. Dois-je poursuivre ?

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