Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après l’examen de la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, cette nouvelle initiative de notre collègue David Assouline nous permet de revenir sur le débat relatif à l’indépendance des médias et me donne l’occasion d’affirmer une fois encore l’attachement des sénateurs centristes à cette exigence constitutionnelle.
Le présent texte comporte, hélas, des réponses démagogiques et la situation de l’indépendance des rédactions y est dépeinte de manière caricaturale.
Je retiendrai le même qualificatif pour ce qui concerne l’exposé même des motifs de la proposition de loi qui dispose : « Aujourd’hui, avec le jeu des rachats et des fusions, les entreprises de presse passent sous le contrôle d’actionnaires, de groupes industriels ou financiers qui vivent des marchés publics et dont les intérêts économiques et politiques peuvent entrer en contradiction avec le souci d’informer librement et honnêtement. »
Soyons un peu rationnels et pragmatiques. Si la presse accomplit une mission d’intérêt public d’information, elle n’en reste pas une moins une entreprise qui vit aujourd’hui des difficultés avérées, alors que ce secteur est confronté à une concurrence très sévère, notamment internationale, de la part des médias gratuits et d’Internet, ainsi qu’à une érosion du lectorat.
Je le rappelle, c’est cela qui avait provoqué les États généraux de la presse. Il n’est pas illogique que ces entreprises s’appuient sur des actionnaires solides, y compris des groupes industriels. Il apparaît de toute manière que, en dépit des regroupements intervenus ces dernières années, la concentration demeure faible en France. Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est le rapport Lancelot de 2005 !
Pour nous, centristes, qui sommes attachés à une éthique politique, ce qui était contestable dans l’affaire du rachat du journal Le Parisien, ce n’est pas tant le rachat du groupe par un industriel que le cumul par le propriétaire d’activités dans le domaine de l’information avec l’exercice d’un mandat politique national.
En outre, je ne trouve pas choquant qu’un même groupe détienne plusieurs titres, surtout dans la presse régionale, très peu rentable, où la mutualisation des rotatives et du papier relève du bon sens économique.
Le Crédit Mutuel a certes racheté les titres variés de presse quotidienne régionale au groupe EBRA. Pour autant, 80 % du contenu traite l’information locale, réelle, exacte. Les lignes éditoriales ne sont ni uniformes ni la voix du lobby bancaire, me semble-t-il !
Pour ce qui concerne la presse nationale, le paysage de la presse d’opinion ne me semble pas désert, d’autant que les nouvelles technologies – je pense à des sites Internet comme Mediapart ou Rue 89 – renforcent encore cette diversité, ce pluralisme, et permettent une totale liberté d’expression. Nous en avons d’ailleurs eu la preuve au cours de ces derniers mois.
Votre analyse de l’existant, monsieur Assouline, me laisse donc très sceptique. Je tiens à rappeler un élément, déjà souligné lors des États généraux de la presse. La loi met déjà à disposition des outils propres à préserver le pluralisme et l’indépendance de la presse, notamment l’interdiction faite à un groupe, d’une part, de dépasser le seuil de 30 % de la diffusion de la presse quotidienne d’information politique et générale et, d’autre part, de contrôler plus de deux des trois types suivants de médias : service national de télévision, service national de radio, quotidien à diffusion nationale.
En outre, la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse impose de porter à la connaissance des lecteurs l’identité du propriétaire, le nom du directeur de la publication, ainsi que celui du responsable de la rédaction, et, le cas échéant, les opérations ayant pour effet de transférer la propriété ou l’exploitation de l’entreprise.
En revanche, je reconnais que la loi n’est pas bavarde sur les relations entre la sphère économique et la sphère rédactionnelle, notamment eu égard à l’autonomie des rédacteurs vis-à-vis de la direction et des propriétaires des titres de presse.
Mais, là encore, il faut voir comment les choses se passent réellement. Le journaliste qui postule à Libération ou à La Croix, pour ne citer que ces journaux, en connaît a priori les grandes lignes éditoriales. Au pire, si un revirement de ligne éditoriale avait lieu, il pourrait justement faire jouer la clause de conscience.
De plus, la plupart des entreprises de presse ont déjà des instruments de médiation, différents selon chaque titre. Il peut s’agir d’une charte déontologique – je rappelle que vingt-trois titres de presse quotidienne régionale en disposent –, de médiateurs ou d’un vade-mecum sur les règles et usages dans la pratique journalistique. Bien entendu, ces outils peuvent être complétés, comme notre collègue rapporteur Jean-Pierre Leleux l’a suggéré tout à l’heure.
Je rappelle que la Commission de l’information a décidé la mise en place d’un observatoire de la déontologie, preuve que la proposition de loi est superfétatoire sur ce sujet.
En somme, l’indépendance des rédactions n’est pas, me semble-t-il, aussi menacée qu’on veut nous le faire croire. Je ne crois d’ailleurs pas plus que les solutions proposées soient adéquates et applicables.
Premièrement, en réponse à la prétendue « défiance généralisée entre les journalistes et leurs employeurs », la proposition de loi confère aux équipes rédactionnelles ou aux associations de journalistes des prérogatives exorbitantes, comme le droit de veto à l’édito.
Proposer un tel droit à l’équipe rédactionnelle est aberrant et, surtout, contreproductif ! Une telle mesure découragerait définitivement tout créateur ou repreneur d’un titre de presse ou alourdirait considérablement la procédure de nomination d’un directeur de la rédaction, comme ce fut le cas pour le journal Le Monde. Que l’entrepreneur décide de sa ligne éditoriale, cela paraît normal ! D’ailleurs, soyons lucides, conserver une ligne éditoriale est encore le meilleur moyen de s’attacher son lectorat.