Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi intéressante, qui vise à renforcer l’indépendance des rédactions. Ce texte est inspiré par la question de la concentration dans le secteur des médias, concentration jugée parfois excessive dans la mesure où elle pourrait constituer une menace directe au nécessaire pluralisme des médias. Force est de constater que ce fait est avéré !
Si l’on peut craindre à juste titre que la concentration des médias ne conduise, pour faire simple, à la pensée unique, des textes anti-concentration pour lutter contre ces pratiques existent déjà, comme l’a d’ailleurs rappelé David Assouline. Cependant, notre collègue estime, peut-être à juste titre, que ces textes sont insuffisants. Mais il n’en demeure pas moins que l’on ne lutte pas contre la concentration des médias en créant un corps spécial, une équipe rédactionnelle à laquelle on donne un statut juridique collectif. Il s’agit là de deux choses bien différentes !
Pour lutter contre la concentration de la presse, si les mesures juridiques existantes sont insuffisantes, il faut en proposer de nouvelles. C’est, me semble-t-il, la logique la plus élémentaire !
Certes, la présente proposition de loi comporte des dispositions intéressantes, que j’approuve. Je pense, notamment, à celle qui est relative à la transparence des actionnaires.
Mais ce qui me choque le plus, c’est la création du corps spécial que je viens d’évoquer. Après avoir lu le complet et excellent rapport de Jean-Pierre Leleux et entendu M. le ministre, David Assouline et ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je me suis dit que le mieux était parfois l’ennemi du bien. Nous aboutissons à ce paradoxe au nom de la démocratie, du pluralisme et du respect de toutes les indépendances. Monsieur le ministre, je partage votre analyse et vous m’avez enlevé les mots de la bouche : on ne corsète pas la démocratie !
Je ne reviendrai pas sur les explications techniques pertinentes qui viennent d’être exposées par les différents orateurs mieux que je ne l’aurais fait moi-même.
En réalité, c’est une conception de la démocratie différente qui est en jeu. Certains, au nombre desquels sont manifestement les auteurs de la proposition de loi, estiment que l’on peut corseter, verrouiller, statufier, encadrer par des règles la démocratie. D’autres pensent qu’elle est une fleur fragile, qui doit être entretenue, à laquelle il convient de dispenser des soins quotidiens, qu’elle se réalise dans le mouvement et non dans l’isolement ou dans le cloisonnement, qu’elle s’épanouit dans le dialogue. Or qui peut affirmer dans cette enceinte qu’il n’y a pas de culture du dialogue dans les entreprises de presse ? Certainement pas les journalistes de ces entreprises, car le dialogue y a lieu du matin au soir et du soir au matin ! Qu’est la démocratie sinon le dialogue construit, le rapport de force, lorsque les différentes parties ne sont pas d’accord ? Quoi qu’il en soit, ce n’est surtout pas un statut qui fige, fixe et corsète. Le monde avance, le monde évolue, et la démocratie doit s’adapter à ce mouvement.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, mes chers collègues, la quasi-unanimité des membres du RDSE – l’un d’entre eux ayant une opinion différente – ne soutiendront pas le présent texte.