Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, David Assouline veut protéger les journalistes des pressions extérieures et s’émeut d’une concentration croissante des médias français. Selon les termes de la proposition de loi qui nous est soumise, la liberté de la presse tendrait à disparaître et la démocratie serait menacée… Notre collègue agite, selon moi, un certain nombre d’épouvantails aux quatre coins du pays. Nous avons d’ailleurs pu le constater lors de sa déclinaison d’un long catalogue des titres de presse. Son attitude est surprenante, alors que la France a adopté un dispositif particulièrement protecteur du pluralisme, reconnu principe à valeur constitutionnelle, et de l’indépendance des médias.
Partant d’un constat qui me semble erroné, la proposition de loi prévoit deux grandes mesures qui paraissent inadaptées, de l’avis même de M. le rapporteur. La première impose la création de structures juridiques mettant en œuvre le principe d’indépendance des journalistes. La seconde instaure des obligations accrues de transparence pour les entreprises de presse.
Pour ce qui concerne la création de structures juridiques – équipes rédactionnelles, associations de journalistes ou sociétés de rédacteurs – qui veilleraient au respect de règles déontologiques, j’ai du mal à comprendre comment de telles structures pourraient fonctionner sans mettre l’entreprise en péril.
Que deviendrait la cohésion interne de l’entreprise ? Comment ferait-on coexister, au sein de la même rédaction, deux équipes composées également de journalistes, mais dotées de pouvoirs et de statuts différents ? Serait-il encore possible de parler de confiance entre la rédaction et la direction ?
Dans le cas d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome, visé à l’article 1er, l’équipe créée disposerait même d’un droit de veto sur la nomination du responsable de la rédaction, c’est-à-dire de son propre supérieur hiérarchique, ainsi que sur la politique éditoriale ! On donnerait donc un droit de regard à l’équipe rédactionnelle, sans qu’elle en supporte la responsabilité. Le directeur de la publication se trouverait alors dans une situation inacceptable : il serait le seul à assumer la responsabilité pénale d’un contenu dont il n’aurait pas la maîtrise en dernier ressort. Lors des travaux en commission, M. le rapporteur a conclu que ce dispositif introduirait une asymétrie flagrante entre les pouvoirs de la rédaction et ceux de la direction.
Sur le plan économique, l’application de ce dispositif serait, me semble-t-il, catastrophique, car elle ferait fuir les investisseurs.
Enfin, puisque la position éditoriale serait l’émanation de la rédaction de journalistes, on peut se demander ce que deviendraient les droits qui sont actuellement garantis à ces derniers, notamment la clause de conscience, qui joue si un changement notable intervient dans le caractère ou l’orientation du journal. Cette clause de conscience perdrait toute utilité, alors qu’elle est aujourd’hui une garantie primordiale de la protection des journalistes. Je m’étonne que la proposition de loi nie ainsi l’un des fondements du statut professionnel des journalistes, acquis important obtenu par les organisations syndicales.