Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi de David Assouline pose, une fois de plus, la question de l’articulation entre la concentration économique du secteur et l’indépendance des journalistes.
Ce texte souligne en effet des situations que nous ne pouvons pas – que nous ne devons pas – feindre d’ignorer.
Au terme de cette discussion générale, j’avoue avoir été surpris par les contradictions des différentes interventions.
M. le rapporteur a par exemple reconnu la pertinence des questions posées par cette proposition de loi et, par là, son utilité. Il a d’ailleurs évoqué des pistes allant dans le sens de ce que nous proposons dans ce texte.
Pour votre part, monsieur le ministre, vous avez semblé considérer que cette proposition de loi est largement superfétatoire, car déjà satisfaite, sans toutefois en contester le bien-fondé. Vous avez, pour cela, fait référence à des textes en vigueur. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence actuelle de ces derniers et sur leur utilisation.
Enfin, certains collègues de la majorité ont dénoncé, dans des propos parfois excessifs, une proposition de loi qui exagérerait une situation qui serait par ailleurs tout à fait satisfaisante.
Ces différences d’appréciation montrent bien que l’évolution actuelle du secteur des médias pose de vraies questions, que l’on ne peut balayer d’un revers de main.
Aussi, je crois pour ma part que, loin d’être une marotte de quelques-uns, ce sujet est fondamental pour tous. C’est pourquoi nous devons saisir toutes les occasions qui nous sont données d’en débattre et, surtout, de proposer des solutions.
Ceux qui refusent la discussion, ceux qui cherchent à discréditer les initiatives dans ce domaine, ceux qui font mine de croire que tout va bien, ceux-là devraient au contraire bien mesurer l’ampleur, l’impact et les conséquences du bouleversement à l’œuvre dans les médias aujourd’hui.
Le constat est bien connu, il a été établi et je ne m’y attarderai donc pas. Tout au plus, je me permettrai d’identifier les différentes facettes de la période de mutation sans précédent que nous connaissons.
Il y a d’abord une révolution technologique, avec l’émergence du numérique et, par la suite, le passage à Internet. La presse quotidienne nationale a par exemple vu ses recettes chuter de près de 30 % depuis 2000.
Dans ce contexte économique difficile, les groupes de presse ont choisi une stratégie de développement reposant sur la recherche d’une concentration des titres.
La constitution de ces oligopoles a ses logiques économiques propres ; je ne les conteste pas. On peut en revanche s’interroger et douter de son intérêt public, la conséquence première de cette concentration des capitaux étant une uniformisation du contenu de l’information. C’est un réel problème par rapport à la nature et à la fonction du journalisme.
Ce n’est pas pour rien non plus que l’existence d’une presse libre est le critère premier du pluralisme.
La liberté de la presse est en effet un des fondements de la démocratie. Une fois de plus – je veux le redire ici – nous ne prétendons pas que la presse en France est complètement muselée, mais elle est loin de la description idyllique faite par certains à cette tribune.
Ce qui est vrai en revanche, ce que nous devrions tous admettre, c’est que la dimension économique de la liberté de la presse ne peut plus être ignorée dès l’instant où quelques groupes régulent tout le secteur.
Je le dis d’autant plus fermement que cette mutation économique et technologique provoque une profonde évolution de la profession de journaliste.
Le métier de journaliste est effectivement aujourd’hui en pleine redéfinition. Lors des débats en commission, plusieurs collègues ont persiflé à ce sujet, en dénonçant une proposition de loi corporatiste, calibrée pour les journalistes, qui allait – cela a été dit tout à l’heure – « corseter », plutôt que « libérer ». Certains ont utilisé la métaphore d’une fleur fragile. Cette fleur, nous voulons la protéger, lui offrir des tuteurs !
Parlons-nous de la même chose ?
Le journaliste aujourd’hui, c’est de plus en plus souvent un professionnel précaire.
Le journaliste aujourd’hui, c’est quelqu’un qui doit s’adapter très vite à une nouvelle façon d’exercer son métier.
Le journaliste enfin, c’est un professionnel qui a – c’est vrai – une clause de conscience, mais qui réfléchira sans doute à deux fois avant de la faire valoir… et pour cause, puisqu’il doit produire une information uniformisée, adaptable de plus en plus à des supports différents, papier, Internet ou radio par exemple.
Monique Dagnaud, directrice de recherches au Centre national de la recherche scientifique, ou CNRS, évoquait récemment le basculement de la presse écrite sur l’internet et sa dimension d’activité low cost – pour éviter de prononcer ces mots devant le président de la commission de la culture, j’emploierai plutôt l’expression « à bas coût ».