Intervention de David Assouline

Réunion du 27 janvier 2011 à 9h00
Indépendance des rédactions — Article 1er

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

La situation, que vous avez globalement acceptée dans la description que j’en ai faite, hormis quelques irréductibles qui ne veulent pas voir la réalité, c’est qu’aujourd’hui, par ces phénomènes de concentration et par la toute-puissance de grands groupes industriels ou bancaires, certaines rédactions sont fragilisées, obligées de fusionner, voire dissoutes. Il y a une évolution nouvelle, qui justifie qu’on légifère.

Une telle proposition de loi n’aurait pas été présentée voilà vingt-cinq ans ; la presse quotidienne régionale était alors dans une autre situation. Au lendemain de la guerre, l’existence de coopératives, de petites entreprises familiales faisait qu’il y avait une multitude de titres de presse. D’ailleurs, celui qui n’était pas satisfait de la ligne éditoriale de tel journal local pouvait porter son choix vers un autre.

Or, aujourd’hui, même s’il existe encore deux journaux locaux, ils ont la même ligne éditoriale, les mêmes actionnaires et le même patron. C’est un phénomène nouveau qui s’accentue sur l’ensemble du territoire.

Le législateur, comme la Constitution lui en donne le droit, doit donc intervenir. Je le répète, le dispositif proposé est a minima et il est largement insuffisant. D’ailleurs, monsieur Leleux, puisque vous faites maintenant des propositions – en votre nom propre, puisque en tant que rapporteur vous n’avez jamais évoqué en commission ces pistes de travail, mais c’est la vertu du débat de permettre des évolutions –, je vous prends au mot : en commission, soyez certain que les socialistes reviendront à la charge pour que cette question ne soit pas systématiquement écartée ou édulcorée. Et si vous deviez reconnaître une vertu à notre démarche, ce serait bien celle-là.

N’inversez pas les choses sur cet amendement. Nous créons un droit collectif, qui n’est pas corseté car, que les journalistes soient regroupés en association ou en société de rédacteurs – on peut aussi appeler cela « comité » –, il y a de fait une possibilité d’alerte et de veto. Cette possibilité de veto ne signifie pas qu’il y a une mise sous tutelle du directeur de la publication ; c’est lui le patron. Elle permet le déclenchement d’un droit en cas de désaccord persistant. Mais ce droit de veto vise surtout à prévenir les conflits en obligeant les parties à composer et à négocier.

Si, à la fin, aucun accord n’est trouvé, cela déclenche un droit : le journaliste peut faire valoir auprès de la rédaction la clause de conscience, qui fait effectivement partie des droits individuels des journalistes. Il peut ainsi partir en bénéficiant d’un certain nombre d’avantages sociaux, contrairement à ce qui se passe en cas de démission ou de licenciement.

Par conséquent, n’inversez pas les choses ! Aujourd’hui, il y a, d’un côté, une toute-puissance et, de l’autre, le seul droit individuel pour chaque journaliste de partir. Et dans quelles conditions, quand on connaît la situation actuelle de la presse !

Pour un journaliste local, qui veut partir et continuer à exercer ailleurs sa profession, qui est reconnue, c’est d’aller dans le journal d’à côté. Mais si l’ensemble des journaux ont le même patron, s’il part, où pourra-t-il aller ?

Je ne comprends donc pas votre position : il n’y a de notre part aucune volonté de corseter. Vous auriez pu préciser toutes les préventions que vous aviez. Mais, monsieur Leleux, vous inversez les choses et la clause de conscience, notamment, devient une clause de conscience vis-à-vis de la rédaction.

La clause de conscience s’exerce généralement vis-à-vis du patron. Or, dites-vous, si la rédaction prend une position avec laquelle le journaliste est en désaccord, que devient, individuellement, ce dernier ? Eh bien, s’il dispose évidemment de la clause de conscience, il a un droit supplémentaire individuel, qui lui permet, dans le cadre de l’association ou de la société de rédaction, de faire valoir son point de vue et de peser avec ses collègues, mais, s’il n’est pas d’accord avec ses collègues, il garde l’entièreté de ses droits.

Ce ne sont donc là que procès d’intention.

Monsieur Plancade, je salue le constat pertinent qu’après d’autres vous avez fait : il y a là en effet un vrai sujet pour notre démocratie, pour le journalisme, pour la liberté d’expression. Mais, au-delà des arguments techniques, selon vous, deux conceptions de la démocratie s’opposent : il y a ceux qui veulent vraiment libérer les choses, par la négociation, au cas par cas, et il y a ceux qui veulent corseter. Revoilà les vieux débats !

Mais, dans ce cas, pourquoi fait-on des lois ? Pourquoi y a-t-il un code du travail ? Pourquoi ne renvoie-t-on pas toutes les questions relatives aux droits, à la durée du travail, aux retraites, à la pénibilité, à tout ce qui se passe dans les entreprises, à ces accords qui sont bien sûr les seuls à être porteurs de dynamique, de créativité et de vraie démocratie ?

Allez dire cela aux syndicalistes dans les entreprises !

Nous parlons là de journalisme. Les droits collectifs, la loi visent à introduire une régulation dans un domaine qui est consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans la Constitution, et qui touche aux libertés fondamentales. Ce sont des points d’appui qui peuvent freiner une évolution…

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