Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 30 juin 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, rapporteur de la commission spéciale :

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui proposé s’inscrit dans la continuité des mesures prises dès le début de la législature en faveur de la croissance et du pouvoir d’achat.

S’appuyant sur une réflexion menée depuis plusieurs mois, ce texte ambitionne d’offrir à nos concitoyens des dispositifs novateurs, afin de développer notre économie. À ce titre, il concerne à la fois les petites et moyennes entreprises, dont le tissu constitue l’une des caractéristiques principales de l’économie française, et des entreprises plus importantes de secteurs très différents de notre économie, qu’il s’agisse de la distribution, de la finance ou des nouvelles technologies.

Après son examen par l’Assemblée nationale, le projet de loi a été considérablement étoffé. Pour autant, ses grandes orientations ont été maintenues. Il s’agit de simplifier – à mon sens, c’est le maître-mot – l’exercice par nos concitoyens d’une activité économique, d’assurer une protection aux consommateurs et de renforcer l’attractivité de notre pays dans un contexte marqué par la mondialisation.

La commission spéciale m’a confié la charge des dispositions du présent projet de loi relatives à trois thèmes.

S’agissant tout d’abord de la simplification des conditions d’exercice de l’entrepreneur individuel – c’est le premier point –, le texte du Gouvernement, tel qu’il a été adopté par les députés, est particulièrement novateur.

Cela a été souligné, le projet de loi crée un véritable statut de l’auto-entrepreneur, dont il définit les conditions d’exercice. En pratique, il s’agit d’inciter nos concitoyens à entreprendre une activité économique dans des conditions simples et souples, afin que l’envie d’entreprendre ne soit pas bridée par des contraintes ou des complexités inutiles et rebutantes, comme nous en avons souvent l’habitude.

Dans cette perspective, le statut de l’auto-entrepreneur se caractérise essentiellement par des mesures d’allégement en matière fiscale, sociale et administrative.

En matière fiscale, le régime fiscal et social des micro-entreprises sera amélioré par la création d’un prélèvement fiscal et social libératoire calculé en pourcentage du chiffre d’affaires.

En outre, le texte réactualise les seuils définissant les micro-entreprises, « statut » fiscal permettant de bénéficier d’un régime d’imposition particulier, de contraintes déclaratives allégées et d’une franchise de TVA. Il prévoit également que ces seuils seront désormais actualisés chaque année dans des proportions identiques à la première tranche de l’impôt sur le revenu.

En matière sociale, le projet de loi élargit le champ du rescrit social bénéficiant aux employeurs du régime général de sécurité sociale et du régime agricole, et institue un rescrit social au bénéfice des ressortissants du régime social des indépendants, le RSI. L’Assemblée nationale a complété fort utilement ces dispositions par un dispositif de rescrit fiscal élargi. Au regard du droit social et du droit fiscal, ces mesures de sécurisation de l’activité économique profitent non seulement aux micro-entreprises, mais également à l’ensemble des entreprises.

En matière administrative, des personnes exerçant à titre complémentaire une activité artisanale ou commerciale pourront être dispensées de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Pour autant – je le précise dans un souci de clarté –, les auto-entrepreneurs ne seront pas affranchis des règles de base qui s’imposent à tout commerçant ou artisan, notamment en matière de protection des consommateurs, de qualification professionnelle et d’assurance.

Le projet de loi comporte également plusieurs mesures qui concernent l’ensemble des entrepreneurs individuels.

Pour faciliter l’exercice professionnel des entrepreneurs individuels, le texte vise à assouplir le régime des changements d’usage des locaux, ainsi que celui des usages mixtes, en particulier dans les locaux situés au rez-de-chaussée des immeubles. Il élargit le champ des biens pouvant être déclarés insaisissables par l’entrepreneur individuel et permet à ce dernier de bénéficier de la procédure de surendettement des particuliers lorsqu’il engage ses biens personnels pour garantir son activité entrepreneuriale. Il prévoit l’extension, par voie d’ordonnance, de la qualité de constituant d’une fiducie aux personnes physiques.

Par ailleurs – c’est le deuxième thème que je souhaite aborder –, le projet de loi comporte également de nombreuses dispositions en faveur de la simplification du fonctionnement des petites et moyennes entreprises. À cet égard, je mentionnerai cinq mesures particulières.

Premièrement, une simplification fondamentale consiste à neutraliser, à titre expérimental, les effets de seuil.

Mes chers collègues, vous savez combien le droit français souffre incontestablement d’une multiplication des seuils, qui sont souvent des obstacles à la croissance des PME. C’est pourquoi le projet de loi permet de geler, puis d’étaler les conséquences du franchissement par les entreprises des seuils de dix et de vingt salariés en matière de financement de la formation professionnelle, de cotisations sociales sur le salaire des apprentis, de cotisations patronales de sécurité sociale, d’exonérations de charges au titre des heures supplémentaires, de contribution au fonds national d’aide au logement et de contribution au financement des transports en commun.

Deuxièmement, le projet de loi prévoit, notamment depuis son adoption par l’Assemblée nationale, de simplifier quelques aspects de la réglementation des baux commerciaux, dont tout le monde s’accorde pour condamner la complexité, qui en fait, nous le savons, un véritable nid à contentieux.

Troisièmement, plusieurs mesures de simplification du droit des sociétés sont prévues. Cet effort est mené depuis plusieurs années. Le texte qui nous est soumis poursuit cette tâche, avec quelques mesures qui sont particulièrement utiles. Les sociétés à responsabilité limitée, ou SARL, auront la possibilité de recourir à la visioconférence lors de la tenue des assemblées d’associés. Pour les sociétés anonymes, ou SA, l’obligation de la détention d’actions par les administrateurs et les membres du conseil de surveillance sera supprimée. Et, dans le cas des sociétés par actions simplifiées, ou SAS, les apports en industrie seront autorisés et le contrôle des comptes sera assoupli.

Quatrièmement, afin d’assouplir le régime des incapacités commerciales, celles-ci seront soumises à un principe de proportionnalité. Le Gouvernement est ainsi autorisé à assouplir par ordonnance le régime des incapacités commerciales en permettant au juge de prononcer une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité industrielle ou commerciale, ainsi qu’une peine alternative d’interdiction.

Cinquièmement, le projet de loi devrait permettre l’adaptation du droit des procédures collectives et du droit des sûretés. La loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises pourrait être toilettée par voie d’ordonnance, afin de la rendre plus attractive, tout en conservant les traits fondamentaux des procédures collectives que nous avions imaginées voilà trois ans. Le renforcement de l’efficacité de certaines sûretés, comme la fiducie et le gage sans dépossession, est également prévu par le projet de loi.

J’en viens à présent au troisième thème de mon intervention : plusieurs dispositions du projet de loi tendent à renforcer l’activité économique de notre pays. Mais celles-ci devant en majeure partie être évoquées par mon collègue rapporteur Philippe Marini, j’aborderai seulement deux mesures.

D’une part, le droit au séjour pour les étrangers pouvant apporter une contribution économique exceptionnelle à la France sera aménagé. Le projet de loi prévoit la délivrance d’une carte de résident d’une durée de dix ans pour des étrangers susceptibles d’apporter à la France une telle contribution.

D’autre part, une base légale pour la délégation de la gestion des fonds structurels européens sera instaurée.

La commission spéciale a souhaité enrichir ce texte sur plusieurs points.

Tout d’abord, elle a cherché à rendre plus cohérents les dispositifs adoptés par nos collègues députés.

Ainsi, s’agissant du champ d’application de la dispense d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, elle a préféré prévoir une voie générale plutôt que l’énumération des bénéficiaires du régime ; elle a en effet considéré que cette dernière était longue et laissait de côté des catégories de personnes pour lesquelles un tel dispositif pouvait se révéler utile, comme les étudiants et les chômeurs.

En matière de changements d’usage et d’usages mixtes, la commission spéciale s’est attachée à simplifier le dispositif adopté à juste titre par les députés, qui transfère la compétence des autorisations du préfet vers les élus locaux. Nous avons souhaité faire du maire le véritable pivot du système, en le rendant seul responsable de ces autorisations et en donnant compétence aux conseils municipaux pour fixer les conditions générales de délivrance de ces dernières. Enfin, nous avons rétabli la suppression de l’autorisation pour les locaux situés au rez-de-chaussée.

Nous avons également estimé que l’examen de ce projet de loi nous offrait une occasion bienvenue de nous pencher sur les entreprises de taille moyenne, dont la spécificité par rapport aux grandes entreprises, avec lesquelles on a souvent tendance à les assimiler, méritait d’être affirmée. Si une entreprise cesse d’être une moyenne entreprise à partir de deux cent cinquante salariés, elle ne devient pas pour autant une major internationale ni même une grande entreprise. Nous devons le reconnaître pour pouvoir en tirer ensuite les conséquences. En effet, le problème de la croissance des PME et du manque d’entreprises de taille moyenne se pose de façon de plus en plus aiguë. Il est important que la France rattrape son retard et surmonte son déficit en la matière. Nous proposons de nous donner les moyens de mieux les connaître pour mieux les accompagner.

Enfin, par souci de simplification et par cohérence avec la position du Sénat en 2006, la commission spéciale a entendu élargir la faculté de délégation par l’État aux collectivités territoriales de la gestion des fonds structurels européens, sans que cette mesure remette en cause les programmations déjà intervenues pour la période 2007-2011.

La commission spéciale a ensuite entendu assouplir certaines contraintes pesant sur les entreprises.

Sur le fondement des propositions émises dans un rapport datant de 2004, elle a adopté plusieurs améliorations juridiques au statut des baux commerciaux, afin de moderniser ce régime en le débarrassant d’un certain nombre de scories, tout en ayant le souci de ne pas déstabiliser ses grands équilibres entre les bailleurs et les preneurs.

La commission spéciale a également supprimé la prohibition pour une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou EURL, d’en détenir une autre.

Elle a élargi la possibilité de faire des apports en industrie dans le cadre d’une société par actions simplifiée.

Elle a ouvert aux avocats la possibilité d’être fiduciaires, en précisant que, dans le cadre de cette activité, ces professionnels seraient soumis à l’ensemble des obligations incombant à tout fiduciaire en termes de lutte contre le blanchiment.

Elle a enfin étendu le champ d’application de la norme simplifiée d’exercice professionnel des commissaires aux comptes au-delà des seules sociétés par actions simplifiées, afin qu’elle s’applique, en dessous de certains seuils fixés par décret, aux sociétés à responsabilité limitée, aux sociétés en nom collectif et aux sociétés en commandite simple. Seules sont écartées les sociétés par actions.

Votre commission a ensuite souhaité assurer un équilibre entre les mesures favorables à l’entrepreneur et la nécessaire protection des tiers.

Cette volonté s’est traduite par une acception plus stricte des biens de l’entrepreneur individuel pouvant faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité.

La commission spéciale a également cherché à renforcer notre droit des sûretés, avec l’attribution d’un droit de rétention au créancier titulaire d’un gage sans dépossession et avec la possibilité pour l’agent des sûretés de constituer lui-même des sûretés réelles pour le compte d’une collectivité de créanciers. Pour autant, elle s’est efforcée de concilier la mise en œuvre de ces sûretés avec les objectifs des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire qui visent à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise en difficulté.

La commission a également entendu prendre en compte la spécificité du contrôle des comptes dans la société par actions simplifiée, en élargissant l’obligation de désigner un commissaire aux comptes lorsque la société par actions simplifiée est contrôlée ou contrôle une ou plusieurs sociétés.

Enfin, du point de vue de la procédure parlementaire, la commission spéciale a souhaité, chaque fois que cela était réalisable, substituer des dispositions d’application directe aux habilitations à légiférer par ordonnance.

Tel est le cas, en particulier, de l’habilitation concernant l’extension de la qualité de constituant d’une fiducie aux personnes physiques. Il en est de même de l’habilitation concernant le régime des incapacités commerciales, car il n’est pas acceptable que des modifications de notre droit pénal interviennent par voie d’ordonnance. Notre assemblée ne saurait se satisfaire d’une telle solution.

Telles sont les mesures que je souhaitais vous présenter concernant le domaine qui m’a été réservé par la commission spéciale. Nous nous sommes efforcés de faire entendre la voix de la simplification, tout en écoutant les nombreuses observations qui sont parvenues jusqu’à nous.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion