Intervention de Ladislas Poniatowski

Réunion du 13 décembre 2006 à 15h00
Commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 — Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, mes chers collègues, nous devons donc nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC, défendue par Michel Billout, portant sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre dernier et sur les conditions de la sécurité d'approvisionnement en électricité de notre pays dans le contexte de l'ouverture des marchés énergétiques à la concurrence.

Si vous me le permettez, je débuterai mon propos par un bref récit de l'incident qui a mis près de 15 millions de ménages européens, dont 5, 6 millions de Français, dans le noir entre 22 heures 10 et 23 heures ce samedi 4 novembre.

Ce jour-là, l'un des gestionnaires du réseau de transport d'électricité allemand, E.ON Netz, avait prévu de mettre provisoirement hors tension une ligne surplombant la rivière Ems afin d'assurer le passage en toute sécurité d'un paquebot vers la mer du Nord. Cette interruption de la ligne a eu lieu à 21 heures 38 - la précision est importante -, soit un peu plus tôt que ce qui était initialement prévu. À cette heure, la consommation d'électricité en Europe, tout en étant soutenue, était conforme au niveau des prévisions.

En cas de manoeuvre comme celle-ci, qui est tout à fait classique et préparée à l'avance, l'électricité emprunte mécaniquement d'autres lignes du réseau de transport. Toutefois, à la suite de cette mise hors service, E.ON Netz a constaté des flux importants d'électricité allant d'est en ouest de l'Europe.

Il semble qu'à ce moment des erreurs d'appréciation aient été commises, tant en raison d'erreurs humaines que d'un défaut de coordination entre les gestionnaires allemands. Il faut savoir, en effet, que, contrairement à la France, où la gestion du réseau de transport est assurée exclusivement par RTE, il y a quatre gestionnaires de réseaux en Allemagne.

Au total, ces surcharges constatées sur deux autres lignes de transport ont provoqué leur mise hors service automatique, enclenchant alors un « effet dominos » sur le reste du réseau de transport de toute l'Europe. En moins de trente secondes, ce sont alors près de vingt lignes de transport, situées en Allemagne, en Autriche et en Croatie qui se sont interrompues, conduisant à une division du réseau européen, d'habitude totalement interconnecté, en trois zones indépendantes, une zone ouest allant de la partie ouest de la Croatie au Portugal et comprenant la France, au sein de laquelle le volume de production s'est trouvé insuffisant pour satisfaire la consommation, une zone nord-est - l'est de l'Allemagne et de l'Autriche, la Pologne - se caractérisant par une situation de surproduction, et une zone sud-est - la Grèce, l'Albanie, la Bulgarie - en situation de légère sous-production.

Dans la zone ouest, où se situe la France, ce déséquilibre entre l'offre et la demande a entraîné une chute de la fréquence à 49 hertz, alors qu'elle se situe habituellement à 50 hertz.

Une telle chute de la fréquence a deux effets principaux.

D'une part, les postes sources du réseau de distribution sont programmés pour délester automatiquement une partie de la consommation afin de rétablir la fréquence à son niveau de 50 hertz. Notre plan de délestage répartit les consommateurs français en cinq catégories représentant chacune 20 % de la consommation française. Quand la fréquence atteint le seuil de 49 hertz, le premier échelon se coupe automatiquement, ce qui occasionne des coupures dans tous les départements continentaux. De ce fait, 5, 6 millions de consommateurs français ont vu leur alimentation électrique interrompue.

D'autre part, les moyens de production d'électricité sont conçus pour fonctionner à la fréquence de 50 hertz. Quand celle-ci chute en dessous de certaines valeurs, qui diffèrent selon la source de production - nucléaire, thermique, éoliens - les centrales se déconnectent du réseau pour préserver leur intégrité.

En France, ce phénomène a conduit à aggraver le déséquilibre offre-demande puisque nous avons perdu près de 2 000 mégawatts de cogénération et une centaine de mégawatts d'éoliens, ce type d'installation décrochant en deçà de 49, 5 hertz.

Simultanément, en Espagne, ce sont plus de 2 800 mégawatts d'origine éolienne qui ont été perdus, déconnectés.

Une fois ces mécanismes de défense automatiques mis en oeuvre, RTE, notre transporteur, a immédiatement fait appel aux producteurs pour qu'ils accroissent leur volume de production afin de réalimenter les consommateurs le plus rapidement possible.

En France, EDF a démarré, entre 22 heures 15 et 22 heures 20, soit très peu de temps après l'incident, plusieurs usines hydroélectriques qui présentent la caractéristique principale de pouvoir être mobilisées rapidement, injectant sur le réseau environ 3 900 mégawatts d'électricité d'origine hydraulique.

Grâce à ce surcroît de puissance, RTE a pu demander, à 22 heures 30, aux gestionnaires de réseaux de distribution de reconnecter la moitié des consommateurs interrompus. Autrement dit, la moitié de ces 3, 6 millions de foyers ont été réalimentés en moins d'une demi-heure. À 22 heures 40, RTE demandait la réalimentation de l'ensemble des consommateurs français, notamment grâce à la mobilisation de 1 000 mégawatts supplémentaires provenant de la chaîne de barrages hydrauliques de la Durance. À 22 heures 50, les trois zones européennes étaient reconnectées et, à 23 heures, l'équilibre offre-demande était totalement rétabli en France.

En définitive, cet incident, qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, aura duré moins d'une heure grâce aux mécanismes de coordination liant les différents opérateurs du réseau électrique européen.

Je crois, d'ores et déjà, qu'un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés de cet incident.

Tout d'abord, les acteurs du système électrique français ont parfaitement maîtrisé l'incident puisque le black-out, qui n'est pas un scénario invraisemblable, aura été évité. La bonne coordination entre gestionnaires de réseaux et producteurs aura permis de réalimenter très rapidement les consommateurs.

Au passage, je pense que nous pouvons voir dans cette situation une confirmation des analyses que le Sénat a toujours défendues, il y a quelques semaines encore par Bernard Sido, rapporteur du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, analyses soulignant la nécessité de préserver le potentiel de production d'électricité à partir de l'hydraulique.

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