Séance en hémicycle du 13 décembre 2006 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • EADS
  • airbus
  • chaleur
  • climatique
  • enquête
  • renouvelable
  • retard
  • électricité
  • énergétique

La séance

Source

La séance est ouverte à quinze heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission de suivi de la détention provisoire, en remplacement de M. François-Noël Buffet, démissionnaire.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des lois à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

La commission des affaires économiques a fait connaître qu'elle propose la candidature de MM. Henri Revol et Bernard Piras pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Mes chers collègues, j'ai le plaisir et le très grand honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de parlementaires libanais, composée de MM. Robert Ghanem, président de la commission Administration et justice, et Farid el-Khazen, vice-président de la commission des affaires étrangères et membre de la commission Éducation, enseignement supérieur et culture.

Je me félicite de ce que, dans le contexte actuel particulièrement difficile, nos amis parlementaires libanais, de tendances diverses, aient décidé de maintenir cette visite auprès du Sénat français. Consacrée à l'étude de l'enseignement supérieur en France, cette visite s'inscrit dans le cadre de l'accord de coopération signé entre nos deux assemblées, accord qui nous a valu le plaisir d'accueillir de nombreux collègues libanais.

Le thème même de cette visite démontre, s'il en était besoin, la volonté du Liban et de ses représentants de regarder vers l'avenir, en permettant à la jeunesse de ce pays de disposer des moyens de construire un destin meilleur pour l'ensemble des Libanais.

Qu'il me soit permis de dire, à titre personnel, tout le plaisir que j'ai à saluer nos amis ici présents, car ils représentent un pays que nous aimons, dont nous nous sentons tellement proches et qui souffre actuellement.

Mmes, MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques, sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France, dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Michel Billout, Yves Coquelle, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Gérard Le Cam, Mmes Éliane Assassi, Marie-France Beaufils, M. Robert Bret, Mme Annie David, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, M. Robert Hue, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès (nos 104, 63, 97).

Mes chers collègues, notre séance mensuelle réservée du mois de décembre s'ouvre par l'examen de deux propositions de résolution tendant à créer chacune une commission d'enquête, présentées respectivement par le groupe CRC et le groupe socialiste. Il s'agit de la première mise en oeuvre du « droit de tirage » que la conférence des présidents a décidé d'expérimenter, dans le cadre de sa réflexion sur l'amélioration de nos méthodes de travail.

En effet, un consensus s'est dégagé en conférence des présidents pour réserver deux sujets de chaque journée mensuelle réservée aux groupes politiques, ces sujets étant répartis à la proportionnelle. Nous pouvons nous féliciter de cette importante avancée qui permet un meilleur partage de l'espace de liberté que constitue l'ordre du jour réservé.

Autre innovation : afin de consacrer le droit d'expression des auteurs des propositions inscrites à l'ordre du jour réservé dans le cadre d'un droit de tirage, la conférence des présidents a décidé, toujours à titre expérimental, de leur accorder un temps de parole spécifique ès qualités au début de la discussion générale, avant le rapporteur. Pour aujourd'hui, elle a fixé ce temps de parole à quinze minutes.

Je donne donc sans plus tarder la parole à M. Michel Billout, en remplacement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC ont saisi le Sénat d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France, dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique.

Nous regrettons que la commission des affaires économiques ait conclu au rejet de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête, tant en raison de la gravité du sujet que des arguments avancés dans le rapport. Si le Sénat venait à suivre la position du rapporteur, M. Poniatowski, nous nous contenterions de la mise en place d'une mission d'information. Force serait alors de constater l'impuissance des parlementaires français face à un problème majeur qui touche directement notre pays et nos concitoyens.

Rappelons que la création d'une commission d'enquête illustre la volonté politique de l'assemblée de se saisir d'un fait significatif et relativement grave. Or, monsieur le rapporteur, vous nous opposez l'argument selon lequel la panne d'électricité ne serait un sujet ni assez lourd ni assez sensible pour justifier la mise en oeuvre d'une telle procédure, comme le furent l'affaire d'Outreau ou encore les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Nous vous laissons la responsabilité de ces comparaisons, qui nous paraissent aussi hasardeuses qu'inutiles.

Pour notre part, nous tenons à souligner le fait que la survenance d'une panne générale d'électricité n'est pas une hypothèse d'école. D'un coût important, elle serait susceptible de provoquer une grave crise, de porter atteinte à la sécurité des personnes et de paralyser l'économie. Il nous paraît donc essentiel de ne pas minimiser les risques en présence et de tout mettre en oeuvre pour éviter au maximum qu'ils ne deviennent réalité.

Contrairement à ce qui s'est passé en 1978 - durant une période de grand froid qui a connu un pic de consommation électrique -, la panne est intervenue à un moment où la consommation d'électricité était habituelle. De plus, elle a été déclenchée par une manoeuvre habituelle et préparée à l'avance ! Vous comprendrez dès lors, monsieur le rapporteur, que l'absence de commission d'enquête en 1978 et 1987 est un argument qui ne nous convainc absolument pas !

Les conditions déclenchant la survenance d'une telle panne nous poussent, au contraire, à croire que la création d'une commission d'enquête parlementaire dotée de pouvoirs d'investigation étendus est plus que nécessaire.

En effet, les pouvoirs accordés aux parlementaires dans le cadre de la commission d'enquête - le droit de citation, la possibilité pour les rapporteurs d'exercer leur mission sur pièces et sur place, de demander à la Cour des comptes des enquêtes sur la gestion des services et des organismes, mais surtout la possibilité de se faire communiquer tout document de service - ne seraient pas inutiles pour analyser de manière approfondie les causes de la panne.

Rappelons que, en l'état actuel, le droit international ne nous permet évidemment pas, sauf mise en oeuvre de la coopération judiciaire internationale, d'exercer ces pouvoirs à l'encontre d'une personne se trouvant à l'étranger. Cependant, au titre de la puissance territoriale, la commission d'enquête pourrait exercer ces prérogatives en France.

En fait, au nom de pouvoirs que le Parlement ne détient pas et qu'il n'entend pas, bien sûr, usurper, vous le privez des outils efficaces nécessaires à l'application de sa mission de contrôle.

J'aborderai maintenant les arguments qui, à notre sens, font vraiment débat.

Lorsque nous avons déposé cette proposition de résolution, le 9 novembre dernier, effectivement - et nous n'avons jamais dit le contraire -, un certain nombre d'éléments étaient à notre disposition. Mais les tentatives d'explication de la panne étaient faibles et peu abouties. D'ailleurs, le gouvernement allemand lui-même a demandé à cette même date des précisions au gestionnaire de réseau E.ON.

Nous savions que E.ON Netz avait mis hors service une ligne électrique à très haute tension afin de laisser passer un navire de croisière. Des flux d'électricité plus importants que prévu chargeant les lignes en service dans le sens est-ouest, des protections de surcharge ont mis alors hors service deux lignes de 400 kilovolts acheminant les flux est-ouest. De nombreux ouvrages de transport en ont fait de même en quelques secondes, sous l'action d'automates de protection. À vingt-deux heures dix, le réseau d'Europe continentale était coupé en trois régions déconnectées les unes des autres.

Tous les pays concernés ont procédé à des délestages. Ceux-ci, grâce aux dispositifs de protection fréquencemétrique installés sur le réseau de distribution français, ont très clairement permis de sauver le réseau national et, simultanément avec l'ensemble des distributeurs européens, de sauver l'Europe d'une grave crise.

Comme l'a très justement souligné le rapporteur, la production hydraulique a permis de remettre rapidement à niveau les réseaux national et européen. Les gros moyens de production, notamment nucléaires, ont maintenu le réseau au moment de l'écroulement de fréquence.

Enfin, il faut saluer la réaction du personnel de RTE, Réseau de transport d'électricité, qui, dans une logique de service public intégré, a assuré une coordination des actions prises depuis la production jusqu'à la distribution.

Cependant, plus d'un mois après les événements, des zones d'ombre demeurent. RTE confesse sur son site Internet que « l'enchaînement précis et les causes de cet événement ne seront connus avec exactitude qu'à l'issue des enquêtes européennes lancées par ETSO [European transmission system operators, l'Association européenne des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité] et l'UCTE », l'Union pour la coordination du transport d'électricité.

De plus, notre information reste limitée. Votre rapport, qui s'est essentiellement fondé sur le rapport de RTE, témoigne de la faible diversité des sources d'information.

Les enquêtes conduites par l'UCTE et le Conseil des régulateurs européens de l'énergie sont une bonne chose mais, contrairement à ce qui est soutenu dans le rapport, nous ne considérons pas qu'elles fassent perdre de son intérêt à la création d'une commission d'enquête nationale. Ces documents constitueront autant d'éléments utiles à l'exercice par la commission d'enquête de sa mission de contrôle.

Dans son rapport intermédiaire, l'UCTE fournit un début d'analyse intéressant. En effet, l'organisation estime que l'incident est imputable à plusieurs causes.

D'abord, elle dénonce le manque d'anticipation des électriciens allemands, aggravé par le manque absolu de coordination entre les quatre gestionnaires de réseau, notamment entre RWE et E.ON. Ce constat montre la nécessité de conserver un seul gestionnaire de réseau de transport de l'électricité en France, comme c'est le cas à l'heure actuelle avec RTE, filiale à 100 % d'EDF. On a constaté que les structures héritées du service public intégré EDF ont sauvé le réseau.

Ensuite, l'UCTE note que les électriciens ont mis un certain temps à réduire la puissance véhiculée sur leurs réseaux pour ne pas compromettre la tenue « d'engagements commerciaux trop importants ». Autrement dit, la sûreté a été sacrifiée au nom de la rentabilité.

Enfin, il semblerait que les champs d'éoliennes espagnols et allemands aient été un facteur aggravant de la panne.

Si les éléments envisagés dans ce rapport constituent de précieux renseignements, nous pensons que d'autres questions peuvent être posées. On ne voit pas pourquoi l'étendue du champ d'investigation serait laissée au bon vouloir des organismes précités. C'est dans cette optique que la pertinence d'une commission d'enquête nationale s'affirme.

En effet, il nous faut déterminer les raisons qui ont transformé une manoeuvre planifiée et connue en incident incontrôlé. Les analyses à mener sont complexes et ne doivent pas s'arrêter à l'identification des causes directes de l'incident. Il est primordial de s'interroger sur l'influence de la mise en place de la libéralisation du marché de l'énergie à l'échelle européenne, libéralisation qui est beaucoup plus avancée dans d'autres pays qu'en France.

Les critères de marché génèrent des flux supplémentaires sur le réseau électrique européen ; je pense aux importations importantes en provenance de la zone est de l'Europe, car moins chères en termes de coûts de production. Il reste à déterminer si ces flux ont contribué à une aggravation de l'incident. La financiarisation du système électrique européen entraîne des risques pour celui-ci, comme en témoignent les précédents incidents qui ont touché l'Italie ou la Californie.

Avant les logiques de libéralisation, l'interconnexion des réseaux européens d'électricité était motivée par des considérations de sécurité et de solidarité plus que par des logiques commerciales. En cas de difficultés sur le réseau, les différentes entreprises électriques réglaient les problèmes à travers les échanges dits « à bien plaire ». Désormais, les logiques commerciales rendent difficiles ces échanges, comme le note d'ailleurs l'UCTE.

De plus, les marges permettant d'assurer l'équilibre production-consommation se dégradent partout en Europe. Les 3000 mégawatts de réserves primaires sont très largement insuffisants quand on sait que cela représente une marge de deux à trois degrés centigrades seulement. Aussi, augmenter les capacités des interconnexions pour répondre à des exigences purement commerciales n'est pas sans danger.

Cela me conduit à aborder la question cruciale de l'implantation des moyens de production. Cette implantation, comme le maillage des réseaux, en termes de proximité par rapport aux lieux de consommation, sont, à notre avis, des éléments essentiels. L'entreprise intégrée ne réfléchissait pas uniquement en fonction de la rentabilité à court terme pour implanter un moyen de production, mais aussi en fonction des problématiques réseaux.

La marchandisation de l'électricité induit, a contrario, que les producteurs implantent les nouveaux moyens de production dans des lieux qui rentabilisent au maximum les investissements. On se retrouve donc avec des projets d'implantation sur les mêmes sites - terminal gazier, port - qui ignorent les contraintes du réseau. RTE est alors obligé d'avoir recours à un appel d'offres pour localiser au mieux certains moyens de production. C'est encore un coût supplémentaire généré par la déréglementation ! Cette logique s'applique également au cadre européen, comme en témoigne l'incident du 4 novembre dernier.

Le comportement de la production décentralisée - éolien, cogénération - dans la zone ouest a été largement mis en cause. Lorsque la fréquence a atteint 49 hertz, une grande partie de cette production s'est séparée du réseau ; il a manqué 2 800 mégawatts en Espagne et, par ricochet, 1 600 mégawatts en France.

Cela a aggravé l'ampleur de l'incident et aurait pu conduire à un black-out. Cela montre qu'il est nécessaire d'avoir, à côté de ces productions renouvelables ou de pointe, utiles par ailleurs, une structure de parcs de production permettant de sécuriser le réseau et de compenser leur versatilité. Il est également nécessaire que les recherches soient accélérées pour fiabiliser la tenue des éoliennes face aux aléas pouvant survenir sur un réseau électrique.

Enfin, le rapport considère que le délai de six mois imposé par les textes à une commission d'enquête pour achever ses travaux n'est pas adapté en l'espèce. Compte tenu de l'ouverture totale du marché de l'énergie fixée par l'Europe au 1er juillet 2007 et de l'intérêt de connaître les causes de la panne et l'état de la sécurité d'approvisionnement dans le cadre de ces politiques européennes, nous ne considérons pas que ce délai imposé constitue une entrave, bien au contraire.

L'actualité politique, avec la promulgation de la loi relative au secteur de l'énergie, la privatisation de GDF, la remise en cause du maintien des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité par la décision du Conseil constitutionnel, montre l'urgence de mettre un arrêt net à la déréglementation du secteur énergétique.

Aujourd'hui, le Gouvernement organise la privatisation de GDF ; demain, EDF sera sans aucun doute concernée. On voit déjà les dommages collatéraux à travers la volonté de suppression des tarifs réglementés. L'opposition n'est d'ailleurs pas la seule à considérer que « la libéralisation du secteur de l'énergie est suicidaire pour le consommateur » ; c'est Dominique Paillé, député UMP, qui le déclarait récemment.

De plus, la fuite en avant engendrée par la politique folle de l'Europe n'est pas de nature à nous rassurer. La commissaire européenne à la concurrence, Nelly Kroes, a répété jeudi 30 novembre à Calais sa volonté d'une séparation « une fois pour toutes » entre les réseaux de transport d'énergie et les producteurs. Elle a précisé que cela passait par la « séparation patrimoniale », autrement dit par la sortie des réseaux du périmètre de leurs maisons mères. Cette déclaration ouvre la voie à une nouvelle directive imposant la séparation totale des réseaux de transport des producteurs.

Pour toutes ces raisons et devant l'urgence de la situation, nous vous demandons, mes chers collègues, d'adopter notre proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur le président, mes chers collègues, nous devons donc nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC, défendue par Michel Billout, portant sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre dernier et sur les conditions de la sécurité d'approvisionnement en électricité de notre pays dans le contexte de l'ouverture des marchés énergétiques à la concurrence.

Si vous me le permettez, je débuterai mon propos par un bref récit de l'incident qui a mis près de 15 millions de ménages européens, dont 5, 6 millions de Français, dans le noir entre 22 heures 10 et 23 heures ce samedi 4 novembre.

Ce jour-là, l'un des gestionnaires du réseau de transport d'électricité allemand, E.ON Netz, avait prévu de mettre provisoirement hors tension une ligne surplombant la rivière Ems afin d'assurer le passage en toute sécurité d'un paquebot vers la mer du Nord. Cette interruption de la ligne a eu lieu à 21 heures 38 - la précision est importante -, soit un peu plus tôt que ce qui était initialement prévu. À cette heure, la consommation d'électricité en Europe, tout en étant soutenue, était conforme au niveau des prévisions.

En cas de manoeuvre comme celle-ci, qui est tout à fait classique et préparée à l'avance, l'électricité emprunte mécaniquement d'autres lignes du réseau de transport. Toutefois, à la suite de cette mise hors service, E.ON Netz a constaté des flux importants d'électricité allant d'est en ouest de l'Europe.

Il semble qu'à ce moment des erreurs d'appréciation aient été commises, tant en raison d'erreurs humaines que d'un défaut de coordination entre les gestionnaires allemands. Il faut savoir, en effet, que, contrairement à la France, où la gestion du réseau de transport est assurée exclusivement par RTE, il y a quatre gestionnaires de réseaux en Allemagne.

Au total, ces surcharges constatées sur deux autres lignes de transport ont provoqué leur mise hors service automatique, enclenchant alors un « effet dominos » sur le reste du réseau de transport de toute l'Europe. En moins de trente secondes, ce sont alors près de vingt lignes de transport, situées en Allemagne, en Autriche et en Croatie qui se sont interrompues, conduisant à une division du réseau européen, d'habitude totalement interconnecté, en trois zones indépendantes, une zone ouest allant de la partie ouest de la Croatie au Portugal et comprenant la France, au sein de laquelle le volume de production s'est trouvé insuffisant pour satisfaire la consommation, une zone nord-est - l'est de l'Allemagne et de l'Autriche, la Pologne - se caractérisant par une situation de surproduction, et une zone sud-est - la Grèce, l'Albanie, la Bulgarie - en situation de légère sous-production.

Dans la zone ouest, où se situe la France, ce déséquilibre entre l'offre et la demande a entraîné une chute de la fréquence à 49 hertz, alors qu'elle se situe habituellement à 50 hertz.

Une telle chute de la fréquence a deux effets principaux.

D'une part, les postes sources du réseau de distribution sont programmés pour délester automatiquement une partie de la consommation afin de rétablir la fréquence à son niveau de 50 hertz. Notre plan de délestage répartit les consommateurs français en cinq catégories représentant chacune 20 % de la consommation française. Quand la fréquence atteint le seuil de 49 hertz, le premier échelon se coupe automatiquement, ce qui occasionne des coupures dans tous les départements continentaux. De ce fait, 5, 6 millions de consommateurs français ont vu leur alimentation électrique interrompue.

D'autre part, les moyens de production d'électricité sont conçus pour fonctionner à la fréquence de 50 hertz. Quand celle-ci chute en dessous de certaines valeurs, qui diffèrent selon la source de production - nucléaire, thermique, éoliens - les centrales se déconnectent du réseau pour préserver leur intégrité.

En France, ce phénomène a conduit à aggraver le déséquilibre offre-demande puisque nous avons perdu près de 2 000 mégawatts de cogénération et une centaine de mégawatts d'éoliens, ce type d'installation décrochant en deçà de 49, 5 hertz.

Simultanément, en Espagne, ce sont plus de 2 800 mégawatts d'origine éolienne qui ont été perdus, déconnectés.

Une fois ces mécanismes de défense automatiques mis en oeuvre, RTE, notre transporteur, a immédiatement fait appel aux producteurs pour qu'ils accroissent leur volume de production afin de réalimenter les consommateurs le plus rapidement possible.

En France, EDF a démarré, entre 22 heures 15 et 22 heures 20, soit très peu de temps après l'incident, plusieurs usines hydroélectriques qui présentent la caractéristique principale de pouvoir être mobilisées rapidement, injectant sur le réseau environ 3 900 mégawatts d'électricité d'origine hydraulique.

Grâce à ce surcroît de puissance, RTE a pu demander, à 22 heures 30, aux gestionnaires de réseaux de distribution de reconnecter la moitié des consommateurs interrompus. Autrement dit, la moitié de ces 3, 6 millions de foyers ont été réalimentés en moins d'une demi-heure. À 22 heures 40, RTE demandait la réalimentation de l'ensemble des consommateurs français, notamment grâce à la mobilisation de 1 000 mégawatts supplémentaires provenant de la chaîne de barrages hydrauliques de la Durance. À 22 heures 50, les trois zones européennes étaient reconnectées et, à 23 heures, l'équilibre offre-demande était totalement rétabli en France.

En définitive, cet incident, qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, aura duré moins d'une heure grâce aux mécanismes de coordination liant les différents opérateurs du réseau électrique européen.

Je crois, d'ores et déjà, qu'un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés de cet incident.

Tout d'abord, les acteurs du système électrique français ont parfaitement maîtrisé l'incident puisque le black-out, qui n'est pas un scénario invraisemblable, aura été évité. La bonne coordination entre gestionnaires de réseaux et producteurs aura permis de réalimenter très rapidement les consommateurs.

Au passage, je pense que nous pouvons voir dans cette situation une confirmation des analyses que le Sénat a toujours défendues, il y a quelques semaines encore par Bernard Sido, rapporteur du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, analyses soulignant la nécessité de préserver le potentiel de production d'électricité à partir de l'hydraulique.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

À l'évidence, le fait de disposer d'un parc hydroélectrique important est un élément de stabilisation du réseau et il est bien dommage que la France ne soit pas capable d'accueillir davantage de barrages hydrauliques.

Par ailleurs, en ce qui concerne le second phénomène, à savoir les délestages, il convient de noter que la situation a, là aussi, été bien maîtrisée puisque, parmi les usagers prioritaires que sont notamment les hôpitaux et les laboratoires, mais aussi les particuliers qui ont besoin, pour des raisons de santé, d'être branchés en permanence à un réseau électrique à leur domicile, seul un incident a été relevé dans toute la France : il s'est produit dans les Hautes-Pyrénées, à l'hôpital de Lamnezan, et n'a duré que quelques minutes.

Le système a donc parfaitement fonctionné.

Il n'en reste pas moins que, dès aujourd'hui, des pistes d'amélioration peuvent être définies pour éviter qu'une telle panne ne se reproduise.

À cet effet, les idées défendues par RTE ou par les régulateurs énergétiques européens, comme la création d'un centre européen de coordination du transport d'électricité, une harmonisation des compétences des régulateurs ou un renforcement des interconnexions, sont de nature à renforcer la sûreté du réseau.

Pour autant, mes chers collègues, faut-il constituer une commission d'enquête sur la panne, de cinquante minutes, je vous le rappelle ?

Votre commission ne le croit pas, et cela pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, il n'y a pas matière à enquêter en France sur la panne puisque nos acteurs nationaux ont, tous, bien réagi, et je tiens ici à saluer RTE, EDF et tous leurs salariés.

Par ailleurs, l'origine de l'incident se situe en Allemagne, comme vous l'avez justement précisé, monsieur Billout, et il n'appartient pas à une commission d'enquête du Sénat français d'aller investiguer à l'étranger ou de faire venir des responsables allemands en France pour qu'ils répondent de leurs actes.

Au demeurant, deux enquêtes sont en cours : la première est menée par l'association des transporteurs européens d'électricité, la seconde par les régulateurs européens. Un bilan d'étape de l'enquête des transporteurs a été rendu public vendredi 1er décembre dernier et les résultats définitifs des deux enquêtes seront connus avant la fin de février 2007. Une éventuelle commission d'enquête rendrait donc ses travaux quand toutes les conclusions auront été tirées et serait dès lors inutile.

En outre, votre commission a estimé que la création d'une commission d'enquête, de par son caractère symbolique et solennel, devait être réservée aux sujets plus lourds. J'assume mes responsabilités en affirmant cette position qui, je le sais, monsieur Billout, ne vous plaît pas et je me réfère aux précédents très récents, par exemple à la commission d'enquête sur Outreau ou encore à celle sur le naufrage du Prestige.

D'ailleurs, l'incident dont nous parlons est sans commune mesure, en termes de conséquences pour les ménages et les entreprises, avec d'autres pannes qui ont frappé la France par le passé, et vous avez bien voulu rappeler les pannes que j'ai citées dans mon rapport, celles de 1978 et 1987, qui n'avaient pas conduit à la création de commission d'enquête.

En revanche, le second sujet évoqué dans la proposition de résolution de nos collègues semble beaucoup plus propice à la conduite d'investigations complémentaires. La question de la sécurité des approvisionnements électriques de la France et de l'Europe est en effet un vrai sujet de préoccupation.

Soyons clairs, la panne du 4 novembre ne peut être imputée à une insuffisance de moyens de production. Juste avant l'incident, la France était d'ailleurs en situation d'exportatrice nette. Sur ce point, je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport dans lequel nous avons montré, à partir de la documentation qui provient de RTE, que cette situation, où nous exportons plus d'électricité que nous n'en importons, était assez fréquente.

Toutefois, on constate que notre pays est régulièrement à la limite de l'équilibre offre-demande lors des périodes de forte consommation et ne peut compter que sur son propre parc de production pour franchir les pics. À titre d'exemple, le 28 février 2005, journée particulièrement froide, la France a importé plus de 3 000 mégawatts.

De même, il apparaît que les interconnexions entre les États européens ne se sont pas suffisamment développées au cours des dernières années au regard de l'évolution de la production et de la consommation en Europe, aggravant ainsi les risques de défaillance du réseau électrique.

Certes, les opérateurs français ont des plans d'investissements conséquents dans la production. Je vous rappelle, mes chers collègues qu'EDF, qui prévoit d'investir plus de 26 milliards d'euros en France et à l'étranger dans les deux ans, a programmé la mise en service de 5 200 mégawatts avant 2012. Toutefois, la question se pose de savoir si ces efforts d'investissements en France et en Europe sont suffisants.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a conclu au rejet de la demande de création d'une commission d'enquête et a en revanche à l'unanimité décidé, sur proposition de son président, M. Jean-Paul Emorine, et de votre rapporteur, de constituer une mission d'information sur la question de la sécurité d'approvisionnement.

Nous avons indiqué qu'une telle mission devrait associer à ses travaux, de manière pluraliste, tous les groupes politiques et que toutes les commissions intéressées pourraient y participer.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC - UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Mme Michèle André remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Madame la présidente, mes chers collègues, le Sénat est donc saisi d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portant à la fois sur un événement particulier, à savoir la panne d'électricité du 4 novembre 2006, et, plus largement, sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France dans un cadre européen.

La commission saisie au fond est la commission des affaires économiques, et je laisse, bien sûr, à nos collègues qui en sont membres et à son rapporteur le soin de se prononcer sur le fond.

Pour autant, vous le savez, mes chers collègues, la commission des lois est appelée à émettre un avis sur la recevabilité des demandes de création de commission d'enquête, recevabilité qui s'analyse au regard des dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

En application de ces dispositions, les commissions d'enquête peuvent avoir deux missions : elles peuvent se pencher soit sur des faits déterminés, soit sur le fonctionnement d'un service public ou d'une entreprise nationale.

La partie générale de la demande de création d'une commission d'enquête qui nous occupe aujourd'hui entre dans ce deuxième cadre et, sous cet aspect, elle est donc recevable.

En ce qui concerne les faits particuliers, nous devons nous assurer, pour respecter la séparation des pouvoirs, qu'il n'y a pas de procédures en cours, car nous devrions alors attendre que la justice se soit prononcée.

C'est la raison pour laquelle, s'agissant du fait précis de la panne d'électricité du 4 novembre 2006, le président de la commission des lois a sollicité le président du Sénat pour qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant ce fait. La réponse nous est parvenue : il n'y a pas eu de procédures judiciaires concernant cet incident d'approvisionnement électrique.

Par conséquent, la commission des lois a considéré, évidemment sans préjugé du fond, que la demande de création d'une commission d'enquête était recevable.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Madame la présidente, mes chers collègues, la panne du 4 novembre a été, si vous me permettez l'expression, un « avertissement sans frais », en ce sens que nous avons échappé au black-out total de l'Europe.

Certes, le côté positif a été le parfait fonctionnement du dispositif de délestage, qui a permis d'éviter des dégradations irréversibles des réseaux de transport en surcharge et, surtout, des centres de production.

En particulier, la baisse de fréquence, déjà évoquée, qui s'est produite dans un certain nombre de centrales aurait pu avoir - je le dis calmement - des effets irréversibles, notamment sur les génératrices et sur les alternateurs. Sans qu'il soit question de faire un cours de physique, disons que la relation entre la tension et l'intensité est évidente concernant une puissance appelée : il s'agit d'un produit simple et une baisse ou une hausse entraîne directement un effet induit sur l'intensité supportée par les réseaux de transport.

Cet accident est un véritable appel à une politique européenne de l'énergie coordonnée et planifiée en fonction de l'évolution prévisible des besoins, comme doivent nous en convaincre les documents qui sont à notre disposition, et, bien sûr, en conformité avec le protocole de Kyoto.

Dans cet esprit, l'instauration d'un super-régulateur nous apparaît comme une mesure tout à fait insuffisante alors que la coordination des réseaux de transport a, cela a été démontré, bien fonctionné au niveau européen, même si, en Allemagne, il y a eu quelques petits problèmes et même si la coordination aurait pu être encore améliorée.

Laissons donc chaque pays maître des opérations de délestage et de la définition de ses cibles prioritaires, en rappelant, après notre rapporteur, qu'en font partie dans notre pays non seulement les établissements de soins mais aussi des particuliers.

Cette politique européenne que nous appelons de nos voeux mettrait fin aux attitudes hypocrites de différents pays voisins, en particulier l'Allemagne et d'autres que je ne nommerai pas.

Cet accident a aussi démontré l'insuffisance des investissements dans le réseau allemand. Le gouvernement allemand s'en est d'ailleurs inquiété et a rappelé à l'ordre certains opérateurs, et non des moindres, en particulier E.ON Netz.

Les investissements dans les réseaux supposent bien entendu un plan pluriannuel. Or, on a constaté en Allemagne - je ne fais pas une « fixation », mais ce sont les seuls chiffres concernant les pays européens dont nous disposons - une chute de 40 % en dix ans des investissements sur les réseaux de transport.

Dans le contexte de libéralisation des marchés de l'énergie, les pannes se sont multipliées en Europe - la dernière a fait apparaître le problème de l'Allemagne, mais il y a aussi le problème de l'Italie - comme aux États-Unis, et la similitude avec la situation des chemins de fer au Royaume-Uni est évidente. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, c'est un axiome de base en physique !

Le moins que l'on puisse dire est que la libéralisation est loin d'avoir fait les preuves de son efficacité et que la concurrence dans le domaine de l'énergie n'a jamais fait baisser les coûts. L'ouverture du marché de l'électricité pour les entreprises en France nous a même démontré que c'est le contraire qui se produisait et, sans reprendre le débat qui nous a occupés voilà quelque temps, je vous rappelle, mes chers collègues, que nous avons dû essayer de trouver un « parapluie » pour abriter les quelques aventureux qui étaient sortis du cadre des tarifs réglementés.

Les opérateurs de production et/ou de transports ne doivent pas continuer leur politique de croissance externe et de dividendes au détriment de la maintenance et des investissements à moyen et long termes.

Cet accident a aussi révélé les effets secondaires liés au développement de l'énergie éolienne, qui demande presque un doublement de la capacité des réseaux de transport, ce qui démontre les limites de cette énergie. Elle ne sera jamais qu'un appoint en régime normal et fait défaut en régime de pointe, notamment dans les périodes de grand froid ou de hautes températures.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Tous ces faits plaident en faveur d'une politique s'appuyant sur un backbone qui ne peut qu'être un pôle public de l'énergie, alliant à notre sens - je le rappelle, mais la répétition est un outil de la pédagogie - EDF et Gaz de France, servant de régulateur de production et imposant à des opérateurs de diminuer leur production.

À cet égard, je n'ai guère vu trace, dans le rapport de M. Poniatowski, du problème des éoliennes dans le secteur nord-est. Je comprends bien l'intérêt des producteurs de ne pas diminuer leur production en raison d'accords commerciaux, mais cette situation va à l'encontre de l'intérêt tant du réseau de transport que des centrales de production.

Enfin, si la Commission européenne exigeait, au-delà de la séparation juridique et comptable, une séparation patrimoniale, la solution consisterait, ainsi que notre groupe l'a déjà dit, à donner à RTE le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, et ce quelles que soient les réactions corporatistes.

Tout en reconnaissant à la proposition de résolution le mérite de soulever les problèmes tant de la production que du transport et de remettre à l'ordre du jour la politique énergétique nationale, mais aussi européenne - j'insiste sur ce point -, je ne saurais ignorer les limites géographiques, dans l'état du droit international, d'une commission d'enquête parlementaire. J'attendrai donc avec beaucoup d'impatience les conclusions des enquêtes de l'UCTE, l'Union for the Coordination of Transmission of Electricity, et du conseil des régulateurs européens de l'énergie.

Aussi, en accord avec mes collègues Roland Courteau et Daniel Reiner, qui se sont beaucoup investis dans ce domaine, je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution, étant entendu que nous attendons beaucoup de la mission d'information sur le sujet dont notre commission a voté la création à l'unanimité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Madame la présidente, mes chers collègues, mon ami Michel Billout a présenté devant vous les raisons qui ont conduit les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à proposer la création d'une commission d'enquête sur la panne d'électricité du 4 novembre dernier et, plus généralement, sur l'état de la sécurité de l'approvisionnement en électricité, non seulement en France mais aussi en Europe.

La survenance de cette panne, alors même que la consommation électrique n'était en rien inhabituelle et que la manoeuvre incriminée n'était pas complexe, pose la question de la fiabilité du réseau électrique européen tel qu'il est actuellement conçu.

Je suis bien entendu d'accord avec notre collègue Ladislas Poniatowski pour souligner la réactivité et le professionnalisme des personnels français. Toutefois, ne pensez-vous pas, monsieur le rapporteur, que ce savoir-faire est précisément dû à la culture du service public de ces mêmes personnels ?

Face à la gravité du risque d'une panne de plus grande ampleur, le Parlement français doit prendre ses responsabilités et se donner les moyens de conduire une analyse approfondie sur l'état tout à la fois de la production, du transport et de la distribution de l'électricité en France et en Europe.

À notre avis, la multiplication des incidents sur le réseau électrique européen démontre la nocivité des politiques européennes de libéralisation et de privatisation du secteur énergétique. La marchandisation de l'énergie, la priorité accordée à la rémunération des actionnaires, la volonté de casser les monopoles publics nationaux au nom de la concurrence libre et non faussée : voilà autant d'éléments profondément incompatibles avec la réalisation des investissements massifs nécessaires pour augmenter la capacité de production et sécuriser le transport de l'électricité.

En effet, les entreprises qui, compte tenu de la libéralisation du secteur énergétique, doivent vivre avec des cours de l'électricité volatiles, hésitent naturellement à engager des projets à long terme.

Le ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, ainsi que le ministre délégué à l'industrie, François Loos, se sont félicités de l'adoption définitive du texte relatif au secteur de l'énergie qui, selon eux, « apporte des garanties fortes à nos concitoyens et nos entreprises ».

Qu'en est-il un mois plus tard ?

Dans sa décision du 30 novembre 2006, le Conseil constitutionnel a censuré, comme étant manifestement incompatible avec les objectifs d'ouverture à la concurrence fixés par les directives communautaires « Énergie », l'obligation de fourniture à un tarif réglementé pesant sur les entreprises Gaz de France et Électricité de France.

Aux termes de cette décision, et contrairement à toutes les garanties données par le Gouvernement et la majorité parlementaire tout au long des débats, la France devrait accepter la suppression des tarifs réglementés.

Pourtant, le Gouvernement n'a pas hésité à déclarer, à la suite de cette décision du Conseil constitutionnel : « On ne peut pas dire que c'est la fin des tarifs réglementés. Le principe a bien été maintenu. »

Ne pensez-vous pas, au contraire, mes chers collègues, que GDF et EDF ne pourront plus reconduire tacitement de tels contrats, devenus illégaux au regard du droit communautaire, et que, par conséquent, il s'agit bien là de la fin des tarifs réglementés pour l'ensemble de nos concitoyens ?

Or cette suppression, si elle était adoptée, exposerait les consommateurs à de fortes augmentations de tarifs. Nous savons que les consommateurs non domestiques qui ont choisi de quitter le secteur régulé ont dû faire face à des hausses de 60 % à 80 % de leur facture énergétique. Il est essentiel de ne pas banaliser l'électricité et le gaz, qui ne peuvent être considérés comme des marchandises ordinaires au regard des enjeux économiques et sociaux que recouvre la disponibilité de ces produits.

La question des tarifs réglementés, les incertitudes pesant sur une fusion qui, en raison des contreparties demandées par la Commission européenne, a perdu toute justification, les inquiétudes de l'opposition et de certains parlementaires de la majorité : rien de tout cela n'a dissuadé le Président de la République de promulguer la loi relative au secteur de l'énergie.

Il est temps que le Gouvernement mette un terme à cette fuite en avant et fasse le constat de la dangerosité de l'ouverture totale à la concurrence du marché de l'énergie dans le contexte européen et mondial actuel.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'analyser de manière approfondie les conséquences d'une adhésion aux politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique. Cette commission, qui serait composée des divers groupes parlementaires, pourrait ainsi apporter, avant la date fatidique du 1er juillet 2007, des éléments utiles à la prise de décisions politiques réfléchies.

En tout état de cause, la Commission européenne doit se pencher prochainement sur la question de l'énergie. La panne du 4 novembre dernier montre qu'il n'existe pas, à proprement parler, de politique énergétique européenne. La question de la définition d'une politique énergétique européenne se pose donc avec force.

À cet égard, le Parlement français se doit d'apporter son expérience. Quant à la commission d'enquête dont nous demandons la mise en place, elle contribuera, n'en doutons pas, à apporter des réponses à la hauteur des enjeux.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Il me paraît important, avant d'en venir au vote sur cette proposition de résolution, de confirmer ce qu'a dit tout à l'heure notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, concernant la mission commune d'information que propose la commission des affaires économique en lieu et place d'une commission d'enquête.

En effet, après avoir consulté mes collègues présidents de commission sur ce sujet, quatre d'entre eux m'ont répondu que leur propre commission serait intéressée par une participation à des travaux communs portant sur la sécurité des approvisionnements électriques.

Cette mission commune, si le prochain bureau du Sénat en accepte le principe, serait donc composée de membres de la commission des finances, des affaires culturelles, des affaires étrangères, des affaires sociales et, bien entendu, des affaires économiques.

La réunion du bureau du Sénat étant prévue le 19 décembre, c'est-à-dire peu de jours avant la suspension de nos travaux, il m'apparaît à première vue raisonnable d'envisager la constitution de cette mission commune à la rentrée parlementaire de janvier.

Cependant, pour répondre à beaucoup de vos préoccupations, mes chers collègues, il me paraissait important de vous faire part dès à présent de mon sentiment quant au pilotage de cette mission commune, que notre rapporteur a d'ailleurs déjà évoquée tout à l'heure et sur laquelle j'ai également, pour ce qui me concerne, eu l'occasion de m'exprimer.

Cette mission commune devrait ainsi être conduite par un président et trois rapporteurs, ce qui permettrait de refléter les grandes sensibilités politiques de notre assemblée et de garantir le caractère pluraliste des travaux qui seront menés.

Il est évident qu'après sa constitution la mission commune aura à discuter de cette composition lors de la réunion de son bureau, mais il me semblait indispensable, mes chers collègues, de vous tenir dès maintenant informés des perspectives politiques qu'a tracées la commission des affaires économiques en se prononçant en faveur d'une mission commune.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution, je donne la parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

M. Bruno Sido. Madame la présidente, mes chers collègues, le 4 novembre dernier, dix millions de nos concitoyens français et européens étaient victimes d'une panne d'électricité sans précédent ; le rapporteur de la commission des affaires économiques, Ladislas Poniatowski, vient d'ailleurs de disséquer l'incident avec une précision de chirurgien et de le décrire avec la concision du greffier !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Certes, l'issue de cet incident n'a pas été grave et celui-ci semble avoir été rapidement maîtrisé puisque la coupure n'a duré qu'une heure et n'a pas entraîné de black-out qui aurait pu durer plusieurs jours.

Ainsi, la première conclusion que nous pouvons tirer de cet incident est que la réactivité et la solidarité des opérateurs européens ont bien fonctionné. Toutefois, il ne doit pas être minimisé. Au contraire, il doit tenir lieu d'avertissement ; il a, en effet, révélé une réelle fragilité du système européen de l'électricité qui doit nous inciter à améliorer ce dernier.

Le contexte général est connu : l'origine de la panne n'est pas à chercher dans une insuffisance de production. Néanmoins, nous savons que la demande d'énergie électrique ne fera qu'augmenter et que, pour répondre à cette demande croissante, il convient d'investir dans la production.

À ce propos, nous avons noté avec satisfaction que, dans son dernier contrat de service public, EDF renoue avec une politique d'investissement.

Si nous disposons déjà, depuis le 4 novembre, d'éléments d'information relativement concluants, la cause et la gestion de la crise doivent cependant faire l'objet d'analyses particulièrement fines afin que nous puissions en tirer des conclusions utiles pour l'avenir.

Plusieurs expertises sont d'ailleurs en cours, notamment en Allemagne et en France - je pense, en particulier à celle de la Commission de régulation de l'énergie -, ainsi qu'à l'échelon européen.

Au-delà, il serait utile de s'interroger à la fois sur l'état des réseaux de transport, sur les capacités d'interconnexion, sur la création de nouvelles lignes, sur la coordination entre les électriciens d'un même pays mais aussi de pays différents, ainsi que sur la coordination entre gestionnaires de transport. Enfin, la question des capacités de production de pointe doit aussi être abordée.

L'incident du 4 novembre 2006 plaide donc pour la mise en place d'une véritable politique de l'énergie européenne qui passe par une meilleure organisation énergétique de l'Union européenne et un réseau européen de l'électricité mieux intégré, avec un organe de contrôle.

Dans ce contexte, l'initiative de nos collègues communistes républicains et citoyens mérite attention, en ce qu'elle permet au Parlement français de se saisir d'un dossier important, et ce dans le droit fil de ses travaux, plus particulièrement de ceux de la commission des affaires économiques : je veux parler de notre politique énergétique dans un contexte européen et de la recherche de la plus grande sécurité d'approvisionnement possible pour notre pays.

Cependant, le groupe UMP se rangera à l'analyse développée par notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, à savoir que la mission d'enquête proposée par nos collègues du groupe CRC n'est peut-être pas le moyen le plus approprié pour une intervention de la représentation nationale.

En conséquence, notre groupe se déclare favorable à la constitution d'une mission d'information dans les termes proposés par M. le rapporteur.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laffitte

Je voudrais d'abord préciser que je suis tout à fait d'accord avec la proposition de la commission et souhaite qu'elle soit mise en oeuvre le plus tôt possible.

En effet, il me paraît vraiment indispensable, sur ce sujet tout à fait capital, de mettre en place une mission d'information qui, par nature, est plus ouverte et dont les travaux ont vocation à être rendus publics - ce n'est évidemment pas le cas d'une commission d'enquête -, et je suis convaincu que tous ceux de nos collègues qui sont intéressés par ces questions doivent pouvoir participer à cette mission.

Nous sommes tous, ici, conscients de l'absolue nécessité de disposer d'une politique énergétique européenne commune - sous une forme qui reste à déterminer et qui pourrait être éventuellement indépendante de la Commission -, laquelle constituerait le ferment d'une structuration d'une politique industrielle commune. Ce serait le levier d'une nouvelle dimension de l'Europe, d'une Europe politique ayant, au niveau mondial, la capacité de réagir dans un domaine aussi fondamental que celui de l'énergie.

Au-delà du problème des réseaux, il est évident qu'il faut également mener des recherches complémentaires en ce qui concerne tant la production d'électricité, qui sera de plus en plus décentralisée, que les possibilités pour les collectivités locales d'économiser l'énergie.

Le système de transport de l'énergie ne peut, hélas, faire l'objet de modifications dans l'immédiat. Personnellement, le département dont je suis élu se situe tout à fait en bout de ligne, ce qui nous fait craindre, chaque jour où il y a surconsommation d'énergie, un véritable black-out. Une deuxième ligne avait été prévue ; le projet a été abandonné et, par conséquent, mon département est véritablement à la limite de ses possibilités. Nous sommes d'ailleurs d'ores et déjà obligés de mettre en place des programmes de diminution de la consommation d'énergie, alors que ce département connaît un développement économique considérable.

Par conséquent, il y a véritablement urgence et je crois qu'il est absolument nécessaire de mettre en oeuvre une politique énergétique européenne, gage d'une relance possible de l'Europe.

J'ai présidé récemment un colloque franco-allemand sur la politique énergétique. Pour la première fois, un ministre de la République fédérale a admis qu'au mois de mai prochain il serait amené à revoir le fameux contrat liant son gouvernement à l'industrie, afin de négocier l'éventuelle sortie du nucléaire de l'Allemagne, qui est d'ailleurs considérée par toute l'industrie de ce pays comme une stupidité. Et ce mouvement gagne toute l'Europe !

Nous continuons à accroître notre consommation énergétique, et donc notre dépendance vis-à-vis de pays auxquels nous ne pouvons pas vraiment nous fier. Qu'il s'agisse des États du Golfe ou de la Russie, les risques de chantage énergétique existent, et ils ont tendance à se concrétiser. La mise en place d'une politique européenne de l'énergie constitue donc une priorité absolue.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Mes chers collègues, avant qu'il ne soit procédé au vote, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'il s'agit de conclusions négatives.

Autrement dit, ceux qui ne sont pas favorables à la proposition de résolution doivent voter « pour » les conclusions de la commission ; ceux qui sont favorables à la proposition de résolution et souhaitent passer à la discussion des articles doivent voter « contre » les conclusions de la commission.

Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution.

Ces conclusions sont adoptées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

En conséquence la proposition de résolution est rejetée.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution de M. Bertrand Auban, Jean-Pierre Bel, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean-Pierre Plancade, Marc Massion, Jean-Pierre Masseret, Bernard Angels, Mme Nicole Bricq, MM. Michel Charasse, Jean-Pierre Demerliat, Jean-Claude Frécon, Claude Haut, François Marc, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Michel Sergent, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Josette Durrieu, MM. Jean-Noël Guérini, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Daniel Percheron, Gérard Roujas, André Rouvière, Mme Catherine Tasca, M. André Vantomme, Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus (nos103, 66, 98).

La parole est à M. Bertrand Auban, auteur de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Madame la présidente, mes chers collègues, je me trouve dans la curieuse situation d'intervenir le premier, avant le rapporteur de la commission des affaires économiques, au sujet d'une proposition tendant à créer une commission d'enquête dont je suis l'auteur et qui a reçu le plein soutien de mon groupe.

Cette forme d'intervention constitue une première. Elle est aussi la conséquence curieuse du rendez-vous manqué du Sénat avec sa rénovation.

Depuis la révision constitutionnelle de 1995, qui a créé des séances mensuelles réservées à l'initiative parlementaire dans chaque assemblée, la pratique est fort différente à l'Assemblée nationale et au Sénat : au Palais-Bourbon, chaque groupe dispose à tour de rôle d'un droit de tirage ; au palais du Luxembourg, la majorité contrôle tout.

Depuis longtemps, nous réclamons que l'opposition puisse, dans ce cadre, faire débattre le Sénat de ses initiatives, sans que la majorité, qui sélectionnait jusqu'à présent les propositions et ne retenait que celles qui lui convenaient, dispose d'un droit de veto.

À la fin du mois d'octobre dernier, nous avons cru obtenir satisfaction, la conférence des présidents ayant admis que chaque groupe politique pourrait disposer, à la proportionnelle, d'un droit d'initiative parlementaire. Toutefois, la majorité a dénaturé complètement cette petite avancée, en refusant aux groupes socialiste et CRC, lorsqu'ils déposent une proposition, le droit de la présenter eux-mêmes en séance publique.

Je n'ai donc pu être désigné rapporteur de la résolution tendant à tendant à créer une commission d'enquête sur EADS : cette tâche a été confiée à un sénateur de la majorité, alors même que je suis, avec mon groupe politique, à l'origine de cette demande, que la majorité avait toujours la possibilité de rejeter par un vote négatif.

Mes chers collègues, même à l'Assemblée nationale, ces pratiques hégémoniques n'ont plus cours depuis plus de dix ans !

Nous continuons d'espérer que notre proposition de résolution recueillera l'assentiment de notre assemblée. C'est pourquoi je souhaite en préciser de nouveau très clairement l'objet.

Tout d'abord, eu égard aux récents développements de l'actualité, je veux affirmer avec force que cette commission d'enquête, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, ne porterait aucunement sur des faits relevant de la justice.

Ensuite, dans notre esprit, il ne s'agit à aucun moment de fragiliser, directement ou indirectement, les groupes EADS et Airbus.

En tant qu'élu de la Haute-Garonne, je suis trop conscient des enjeux économiques et sociaux liés à ces entreprises pour envisager une seule seconde que l'intérêt national ou local, celui des citoyens et des salariés, puisse trouver son compte dans l'affaiblissement de notre industrie aéronautique.

Je suis bien trop conscient que sont en cause l'emploi de dizaines de milliers de salariés, l'avenir des 15 000 fournisseurs d'Airbus et l'économie de plusieurs villes françaises, comme Meaulte, dans la Somme, Nantes, Saint-Nazaire ou Toulouse, dans la Haute-Garonne, pour participer à des actions négatives.

Je ne crois pas que la création d'une commission d'enquête porterait tort à ces entreprises et serait interprétée comme un signe de défiance du Sénat à leur égard. Au contraire, j'estime qu'une volonté marquée de rendre transparentes et de mettre à plat les difficultés rencontrées par ces groupes, ainsi que leurs causes, serait de nature à prouver à tous que la France, à travers son Parlement, se montre très attentive à l'avenir de l'industrie aéronautique en général, et d'EADS et Airbus en particulier, et qu'elle est prête à aider sur tous les plans ces deux entreprises.

Notre proposition de résolution tend essentiellement à identifier les dysfonctionnements qui ont conduit à une situation devenue aujourd'hui inquiétante à plusieurs titres, et donc à éviter qu'ils ne se renouvellent.

Cette situation est inquiétante en raison des retards de production et de livraison de l'A380, car c'est bien de cet avion qu'il s'agit. L'argumentation de l'entreprise semble faible, car les problèmes de câblage et de harnais qu'elle met en avant ne peuvent justifier à eux seuls les retards. Nous estimons que les causes profondes de ces problèmes sont intimement liées au système de gouvernance du groupe, c'est-à-dire à la non-intégration de l'entreprise Airbus. L'un des objectifs de la commission d'enquête que nous souhaitons instituer serait de clarifier ce point.

La situation est inquiétante également en raison des conséquences financières et boursières de ces retards pour l'entreprise, qui ont entraîné la mise en place du plan « Énergie 8 », dont nous redoutons les conséquences sur l'emploi, les sous-traitants et l'économie de nombreuses régions françaises.

Je le rappelle, d'ici à 2010, la sous-traitance sera réduite à 20 % de ce qu'elle est aujourd'hui. On va lui demander de participer au capital d'EADS, mais aussi, et surtout, d'aller produire dans des pays à bas coûts de production et faisant parie de la zone dollar. Que la première entreprise dont l'identité est européenne ait besoin de se refaire une santé en délocalisant en zone dollar ne constitue-t-il pas un déplorable paradoxe ?

La situation est inquiétante encore en raison du faux départ de l'A350, en fait un A330 « relooké ». Cet appareil est aujourd'hui reconverti en A350 XWB, mais son coût initial a doublé, pour atteindre 10 milliards d'euros, et il sera mis sur le marché, dans le meilleur des cas, avec six ou sept ans de retard par rapport à l'avion de Boeing, le Dreamliner ou Boeing 787, qui enregistre aujourd'hui près de 450 options d'achat.

Mes chers collègues, pour vous donner une idée de ces investissements, je vous rappelle que 10 milliards de dollars, soit la somme consacrée aux dépenses de recherche et développement d'un seul avion, correspondent à peu près au trentième du budget de l'État.

La situation est inquiétante, enfin, au regard de la gouvernance de l'entreprise, même si aujourd'hui l'arrivée de M. Louis Gallois à la présidence d'Airbus et à la co-présidence d'EADS est plutôt de nature à nous rassurer. De même, l'annonce récente du lancement de l'A350 XWB constitue un signal positif, avec toutefois ce bémol : son financement doit être clarifié rapidement.

L'arrivée chez Airbus, comme directeur général délégué, de M. Fabrice Brégier, ancien directeur de la division Eurocopter, entreprise installée à Marignane, dans les Bouches-du-Rhône, constitue un autre point positif. En effet, cette entreprise est le leader mondial de son secteur et elle vient de remporter le « marché du siècle », si j'ose dire, en vendant 280 hélicoptères à l'armée américaine. Mes chers collègues, il s'agit d'un beau symbole, qui prouve que tous les défis peuvent être relevés pour peu que soient réunies qualité, compétence, volonté, cohérence et, ajouterai-je, transparence.

Or c'est en matière de cohérence que le bât a blessé pour Airbus et EADS. Nous estimons qu'il est essentiel de nous pencher sur le système de gouvernance et les mentalités : je fais allusion aux tiraillements et rivalités qui sont dictées par l'esprit national des uns ou des autres, voire par quelques vanités déplacées.

Faute de cet examen auquel nous souhaitons que le Sénat procède, il est fort à craindre que les mêmes maux ne se traduisent par les mêmes erreurs.

Je connais parfaitement les circonstances et les contraintes politiques, économiques et industrielles qui ont conduit à adopter le système de gouvernance en vigueur. Celui-ci avait sa pertinence, mais force est de constater qu'il ne répond pas aux schémas classiques et provoque, dans les moments difficiles, des paralysies et des incohérences.

C'est pourquoi je persiste à penser qu'il serait judicieux et salutaire que notre assemblée s'interroge de manière approfondie sur ce mode de fonctionnement.

Nous sommes tous ici intimement convaincus de l'importance d'EADS et d'Airbus pour l'économie nationale et européenne. Mes chers collègues, quand Airbus tousse, l'économie française et européenne s'enrhume, si vous m'autorisez cette paraphrase.

C'est pourquoi, au-delà de querelles politiques qui n'ont pas lieu d'être sur un tel sujet, j'estime que la Haute Assemblée s'honorerait en créant cette commission d'enquête, dont les conclusions, j'en suis persuadé, permettraient d'éviter la répétition des erreurs passées, ce qui constitue la raison d'être de notre démarche.

En conclusion, mes chers collègues, au moment où les compagnies aériennes risquent d'annuler leurs commandes d'A380 et où la compagnie allemande Lufthansa vient de choisir des Boeing 747-800, je crois que tous, l'État français, EADS et Airbus, trouveraient leur compte à un examen minutieux des dysfonctionnements intervenus, et je vous invite donc à voter pour cette proposition.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Le Grand

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour répondre à M. Bertrand Auban, je voudrais rappeler que les principes régissant la création des commissions d'enquête ne remettent pas en cause la capacité des membres de notre assemblée à expliquer les raisons qui conduisent, selon eux, à instituer une telle commission, quand bien même un rapporteur issu d'un autre groupe politique aurait été nommé par la commission du Sénat compétente au fond.

La meilleure preuve en est, monsieur Auban, que vous venez de souligner, avec beaucoup de talent et de persuasion d'ailleurs, les raisons qui ont amené le groupe socialiste, auquel vous appartenez, à formuler une telle demande. Cela n'empêche pas, permettez-moi de le rappeler avec beaucoup d'amitié et de modération, la commission de désigner en son sein un rapporteur !

Je ne suis que le modeste rapporteur de cette commission

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Le Grand

Vous avez raison, monsieur Raoul, je ne suis que le très modeste rapporteur de la commission des affaires économiques, et je ne puis donc en rien amoindrir la force et la qualité de la proposition qui a été formulée.

Mes chers collègues, j'évoquerai, tout d'abord, les aspects juridiques et les questions de fond que pose ce dossier. Puis, fort de cette analyse, j'énumérerai les avantages et inconvénients que présenterait la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS. Enfin, j'exposerai le point de vue qui a été retenu par la commission des affaires économiques.

Mon éminent collègue Laurent Béteille reviendra tout à l'heure sur les aspects juridiques. Je ne les traiterai donc pas en détail, et me contenterai d'en présenter quelques-uns, qui sont à mon sens de deux ordres.

En premier lieu, les commissions d'enquête parlementaires sont soumises aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui ont été reprises à l'article 11 du règlement du Sénat.

Pour être recevable, une commission d'enquête doit tout d'abord ne doit pas empiéter sur le champ d'une procédure judiciaire. Pour savoir ce qu'il en était en l'occurrence, M. le Président du Sénat a interrogé M. le Garde des Sceaux, dont la réponse est tout à fait claire : l'information judiciaire qui a été ouverte récemment « porte sur la cession des titres d'EADS intervenue antérieurement à l'annonce publique des retards de livraison de l'Airbus A380 en mai 2006 », ce qui limite déjà le champ d'investigation qui pourrait être laissé à une commission d'enquête parlementaire.

En second lieu, au regard de l'ordonnance du 17 novembre 1958, la recevabilité d'une commission d'enquête dépend de l'objet de la demande. Il faut que celle-ci porte soit sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, soit qu'elle concerne des faits précis. Or, en l'espèce, ces critères ne sont pas satisfaits.

D'une part, EADS n'est ni un service public ni une entreprise nationale. En effet, et cela en surprendra peut-être quelques-uns, EADS est une société de droit néerlandais, dont l'État français ne détient que 15 %, et ce de manière indirecte.

D'autre part, la rédaction de la proposition de résolution est très générale. Certes, les faits sur lesquels porte l'enquête peuvent prêter à discussion, mais, pour trancher, je m'en suis tenu au texte même de la proposition. Or la commission d'enquête concerne le groupe EADS - ce n'est pas en soi un fait précis - et les retards de production d'Airbus.

S'agissant de ce dernier point, mes chers collègues, je tiens à vous rappeler la situation d'Airbus. La production de l'A320 s'élève à 34 appareils par mois, et il est prévu de la porter à 36. Pour ce qui est de l'A330-A340, les appareils sont livrés sans aucun retard. Nous savons tous ici que seuls les retards de l'A380 sont visés, mais ce n'est pas formulé précisément dans la proposition de résolution.

C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et moi-même avons estimé que les conditions de recevabilité permettant la création d'une commission d'enquête n'étaient pas réunies.

J'aborderai maintenant les questions de fond.

Premièrement, nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre d'informations propres à apaiser les inquiétudes. Ainsi, l'équipe de management d'EADS a présenté le plan « Énergie 8 », également appelé « Power 8 ». Il serait d'ailleurs plus exact de parler de plan « Énergie 9 », puisqu'un nouvel objectif a été ajouté aux huit objectifs que prévoit le plan « Énergie 8 » pour atteindre une meilleure productivité et une meilleure organisation de l'entreprise. Je n'y reviens pas, car la presse s'en est largement fait l'écho : il s'agit d'optimiser les moyens mis en oeuvre pour que les appareils soient construits dans les meilleures conditions.

Les médias ont également mis en exergue l'éventuelle réduction du nombre de sous-traitants d'Airbus. Je souhaite apporter quelques précisions à ce sujet. Jusqu'à peu, Airbus travaillait avec environ 15 000 sous-traitants, avec lesquels elle développait des négociations bilatérales. Airbus n'envisage pas une réduction du nombre de ses fournisseurs, mais entend mettre au point une organisation différente, au sein de laquelle les opérateurs de premier rang s'occuperont de la négociation avec les sous-traitants de deuxième rang, afin de restreindre le nombre de relations bilatérales qui alourdissaient très fortement sa charge de travail.

Pour mémoire, je rappelle que, dans l'ancienne configuration, plus de 300 personnes étaient, chez Airbus, chargées des relations entre les sous-traitants et la production. On est là bien loin d'une optimisation ! L'instauration de sous-traitants de premier rang réduira et simplifiera donc les relations d'Airbus avec ses fournisseurs.

Deuxièmement, l'appréciation de l'euro face au dollar est peut-être ce qui explique le mieux les difficultés que rencontre Airbus. Depuis que l'A380 a été lancé, le dollar a perdu 40 % de sa valeur par rapport à l'euro, ce qui entraîne mécaniquement une perte de 20 % de la compétitivité d'Airbus face à son concurrent Boeing. Quelle entreprise se sentirait aujourd'hui capable de résister à une telle dépréciation de sa compétitivité, qui ne serait due qu'à l'effet mécanique d'une évolution de taux de change ?

Il faut donc prendre en considération tous ces facteurs.

Quant aux causes du retard du programme A380 - puisque c'est l'objet de votre préoccupation, monsieur Auban -, elles sont connues. Je vous renvoie pour cela à mon rapport écrit, qui les examine en détail.

Des difficultés sont apparues sur le site d'assemblage au moment de la réunion des différents tronçons de l'appareil. Je m'en suis expliqué en commission.

Je souhaite revenir sur l'une des raisons essentielles de ce retard. La conception de l'A380 n'a rien à voir avec celle des autres appareils : cet avion comporte 100 000 fils électriques et 40 300 connecteurs, ce qui représente 530 kilomètres de câblages qu'il faut faire entrer dans 80 mètres de fuselage. Ce degré de complexité n'a jamais été atteint, même avec l'A340, qui était pourtant le plus gros appareil construit jusque-là. Il n'y avait pas de difficultés majeures entre les unités d'assemblages qui existaient en France et celles qui existaient en Allemagne : le système de fuselage était à peu près cohérent et, globalement, les câblages rentraient.

En outre, s'agissant de l'A380, la complexité est accrue par la diversité des exigences de la clientèle. Selon la compagnie, Virgin Atlantic Airlines, Singapore Airlines, Thai Airways ou autre, les demandes en matière d'agencement intérieur ne sont pas les mêmes ; cela signifie qu'il faut déplacer les galleys et revoir l'espace réservé aux harnais de câblage.

J'ajoute que les améliorations qui ont pu être apportées grâce aux essais en vol n'ont pu être prises en compte par les logiciels utilisés par les équipes d'ingénieurs en Allemagne, qui n'étaient pas suffisamment puissants pour intégrer les modifications en cours. Cela a abouti à des télescopages entre les capacités des uns et celles des autres.

Cette situation peut paraître un peu curieuse : une importante société comme Airbus ne serait donc pas capable de fusionner ses procédés de fabrication ? Il faut savoir qu'EADS est une grande entreprise multinationale, présente en Allemagne, en France, en Espagne et dans d'autres pays européens ; il est donc parfois très compliqué d'ajuster le tir.

Les difficultés d'aujourd'hui sont-elles le fruit d'une erreur, voire d'une insuffisance de management ou bien sont-elles la conséquence de la politique de l'entreprise, qui consistait à rajouter de la complexité tant que cela était possible ? Que l'on ne croie pas que je montre du doigt les équipes allemandes ! Si l'A330-A340 était essentiellement conçu en France, les conséquences étant ensuite tirées en Allemagne, la conception de l'A380 est partagée entre la France et l'Allemagne, ce qui explique les problèmes qui sont apparus. La solution se trouve bien dans la réorganisation de l'équipe de management d'Airbus et d'EADS.

Je profite de l'examen de cette proposition de résolution pour redire, de manière que cela puisse être entendu au-delà de cette enceinte, qu'une fabrication de type industriel de l'A380 interviendra dans un an et demi, voire dans deux ans, dès lors que les personnels seront parfaitement formés aux logiciels utilisés, c'est-à-dire à partir du vingt-sixième appareil. Cela ne signifie nullement que les vingt-six premiers avions seront dangereux ou ne seront pas en état de voler, mais l'approche de la fabrication changera. Pour autant, quelles que soient les modalités de fabrication, les exigences en matière de sécurité seront tenues.

Concernant les éventuelles responsabilités individuelles, outre l'enquête judiciaire que j'ai mentionnée au début de mon intervention et qui fait obstacle à la création d'une commission d'enquête sénatoriale, EADS a commandé une enquête interne à des experts extérieurs. Les résultats seront rendus publics au plus tard à l'occasion de l'assemblée générale du mois de mai prochain. Il est donc fort peu probable qu'une commission d'enquête nous en apprenne davantage.

Je formulerai une dernière observation pour faire litière d'informations négatives. Airbus n'a enregistré aucune annulation de commande d'A380 destinés au transport de passagers. Les seules suppressions concernent des A380 cargos et sont pour l'instant le seul fait de la société FedEx. Il est vrai que d'autres entreprises pourront faire de même, car, dans ce secteur, il est urgent d'adapter les moyens mis en oeuvre aux besoins du marché.

Concernant les commandes des compagnies de passagers, je tiens à le rappeler avec force, il s'agit de répondre à un marché réel et non de créer un appareil « merveilleux ». La massification du marché fait que les compagnies aériennes les plus importantes - Singapore Airlines, la Thai, etc. - se sont mises sur les rangs ; il y a donc une niche pour l'A380, qui répond à un besoin spécifique.

Les retards ont modifié le seuil de rentabilité de l'A380, mais la niche reste largement porteuse, et cet appareil sera un succès économique. Ainsi, dès que Singapore Airlines fera se poser et décoller des A380 à Tokyo-Narita ou sur les autres grands aéroports internationaux, je suis persuadé que de nouvelles compagnies voudront, elles aussi, avoir l'A380. Cette certitude doit non pas nous rassurer, car nous n'avons pas besoin d'être rassurés, mais simplement nous réjouir de voir qu'une grande compétition mondiale s'engage entre deux challengers, Boeing et Airbus.

Telles sont, madame la présidente, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur les aspects juridiques et les questions de fond que soulevait cette proposition de résolution.

Je m'interrogerai maintenant sur les effets qu'entraînerait la création de cette commission d'enquête. Ils seraient de trois ordres et, selon moi, vous vous en doutez, tous négatifs.

Le premier inconvénient concerne l'image du groupe. On a déjà vu à quel emballement médiatique a donné lieu le sujet. Il est évident que la création d'une commission d'enquête serait analysée par les médias et par les observateurs comme un signe de défiance du Parlement français à l'égard d'une grande entreprise européenne. Je pense qu'il n'est guère nécessaire d'insister sur ce point.

Deuxième inconvénient : sur le plan financier, l'impact serait immédiat, le cours de bourse de la société en pâtirait, ce qui ne pourrait que rendre plus difficile le financement des programmes stratégiques dans les mois qui viennent. Vous savez que le groupe Airbus vient de décider le lancement du programme de l'A350, qui est vital pour l'entreprise puisqu'il lui permet de prendre place sur un segment de marché où Boeing détient aujourd'hui une légère avance, ce qui signifie que rien n'est définitif et que des parts de marché peuvent être récupérées.

Troisième inconvénient : sur le plan commercial, la constitution d'une commission d'enquête serait utilisée par l'autre grand constructeur pour fragiliser son concurrent auprès des clients.

Avant de conclure, je veux rappeler qu'Airbus n'est pas le seul constructeur à connaître des difficultés dans la mise en oeuvre d'un programme. Les retards de l'A380 ne concernent qu'une machine. Les deux premiers appareils, qui devaient être livrés cette année, le seront l'an prochain. Boeing, lui, lors du lancement du 747, a connu pendant deux ans des difficultés d'un tout autre ordre, qui mettaient en jeu la sécurité des passagers. Ainsi, un Boeing 747 a été obligé de se poser un jour à Kennedy Airport avec un seul un moteur sur quatre parce que la conception du support des moteurs et des moteurs eux-mêmes était défectueuse. Pendant deux ans, la société Boeing a eu toutes les peines pour mettre au point son appareil. Or elle l'a fait « sur le dos » de la sécurité des passagers puisque c'est tout en continuant les vols qu'elle a réussi à corriger les erreurs. Airbus, pour sa part, a l'honnêteté et le scrupule de vérifier que les choses se passent bien avant de faire voler un appareil avec des passagers à son bord. C'est tout à son honneur.

Il ne convient pas d'épiloguer sur de tels sujets, mais je veux quand même rappeler que la construction aéronautique est suffisamment complexe et difficile pour que personne ne s'amuse à en tirer des conclusions hâtives.

Madame la présidente, mes chers collègues, telles sont les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques ne souhaite pas suivre la proposition émanant de nos collègues socialistes et tendant à la création d'une commission d'enquête.

Quoi qu'il en soit, le Parlement est en droit d'être informé. C'est la raison pour laquelle M. le président de la commission des affaires économiques et les membres de ladite commission ont proposé qu'un rapport d'information soit présenté sur ce sujet, après la reprise des travaux parlementaires, sujet suffisamment important pour que nous nous en préoccupions.

Monsieur Auban, je souhaite vous dire en conclusion, parce que vous avez fait preuve d'une très grande courtoisie, que la construction aéronautique et le transport aérien continuent de faire rêver et que ce seul fait doit nous rapprocher. C'est la raison pour laquelle, j'en suis persuadé, vous accepterez les conclusions de la commission des affaires économiques. Votre proposition était intelligente, bien formulée, mais elle est aujourd'hui inopportune.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Madame la présidente, mes chers collègues, comme notre excellent collègue Jean-François Le Grand vient de nous l'exposer, le Sénat est saisi d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus.

Lors du précédent débat, j'ai eu l'occasion d'expliquer quelles étaient les principales conditions de recevabilité de telles commissions d'enquête. Pour être, en cet instant, un peu plus complet, je veux indiquer que lesdites commissions, qui résultent de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, fusionnent deux dispositifs plus anciens : d'une part, les commissions de contrôle concernant les services publics ou les entreprises nationales et, d'autre part, les commissions d'enquête, proprement dites, visant des faits précis. Pour autant, cette distinction existe toujours. Les commissions d'enquête sont appelées à se pencher soit sur le contrôle des services publics, soit sur des faits déterminés.

En l'occurrence, il est clair que le contrôle des services publics ne s'applique pas à la proposition de création d'une commission d'enquête qui nous est soumise par nos collègues socialistes. En effet, et personne n'en disconviendra, nous ne sommes pas en présence d'un service public. EADS pas plus qu'Airbus ne sont, d'ailleurs, des entreprises nationales. Il a effectivement été rappelé précédemment qu'EADS était une entreprise de droit néerlandais dans laquelle la part de l'État français, s'élevant à 15 %, est assez réduite.

La demande formulée vise des faits déterminés, à savoir le retard de livraison de matériels. La commission des lois a examiné avec beaucoup d'attention la proposition de résolution émanant de nos collègues, en particulier l'exposé des motifs. Il ressort de ce dernier document que nos collègues se sont interrogés sur le comportement des différents actionnaires. C'est là que le bât blesse. Après la demande formulée, de manière classique, par le président de la commission des lois, par l'intermédiaire de M. le président du Sénat, au garde des sceaux, ce dernier, par courrier du 4 décembre 2006, nous a fait savoir qu'une information judiciaire était ouverte devant le tribunal de grande instance de Paris et vise des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. Mes chers collègues, si vous avez suivi l'actualité de ces derniers jours, vous savez que sont en cours actuellement un certain nombre de perquisitions aussi bien chez EADS qu'au groupe Lagardère, l'un de ses actionnaires.

Or cette procédure judiciaire étant pendante, elle fait totalement obstacle à la création d'une commission d'enquête ; c'est la conclusion à laquelle est arrivée la commission des lois. Cette dernière, ayant jugé irrecevable la proposition de résolution, telle qu'elle était rédigée, a cependant laissé la porte ouverte à une modification de sa formulation, en suggérant aux auteurs de supprimer la référence aux faits que je viens d'évoquer. Nos collègues socialistes n'ont pas agi en ce sens, considérant sans doute que cela retirerait sans doute beaucoup d'intérêt à leur demande. Dans ces conditions, leur demande reste malheureusement irrecevable.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Madame la présidente, mes chers collègues, préalablement à mon intervention et puisque je ne l'ai pas fait lors du débat précédent, je souhaite souligner ma satisfaction de voir inscrites à l'ordre du jour de nos travaux deux propositions de résolution émanant de l'opposition parlementaire.

En effet, dans l'ordre du jour des séances mensuelles réservées, il est bien rare qu'une telle place soit accordée aux initiatives de l'opposition. Je formule donc le souhait que, lors des prochaines séances mensuelles réservées, cet équilibre soit maintenu.

Cependant, cette bonne disposition de la majorité ne va pas jusqu'à accéder à la demande de création d'une commission d'enquête sur le groupe EADS. En effet, la commission des affaires économiques a formulé un avis négatif à ce sujet, au double motif qu'une enquête judiciaire sur l'infraction de délit d'initié est en cours et que l'État n'étant actionnaire que de 15 % du groupe, la représentation nationale n'est pas fondée à enquêter sur la situation de ce groupe européen, qui n'est pas une entreprise publique nationale.

Si le premier argument, que nous ne contestons pas, peut se comprendre aisément, le second est plus hasardeux. En effet, indépendamment de la participation française dans le capital de cette entreprise, le secteur d'activité de cette dernière est un fleuron de l'industrie nationale depuis la création de la société Aérospatiale. À ce titre, la commission des affaires économiques reconnaît d'ailleurs pleinement le caractère stratégique du secteur d'activité d'EADS.

Pourtant, au motif que l'État ne serait pas suffisamment présent dans le capital de ces entreprises, la représentation nationale n'aurait ni à connaître des difficultés qu'aurait pu faire naître leur gestion ni à influer sur les enjeux relatifs à ce secteur d'activité.

Si l'on suit bien le raisonnement, c'est donc, à terme, l'ensemble de l'économie qui doit échapper au pouvoir politique, puisque, selon les dogmes libéraux, les services publics et les entreprises nationales appartiennent à l'histoire et doivent céder la place à la concurrence libre et non faussée, censée régir désormais l'ensemble des activités humaines. Cet argument apparaît d'ailleurs en filigrane dans la motivation du refus de la commission des affaires économiques de création d'une commission d'enquête, refus qui tient, pour partie, aux conséquences de la création de cette commission sur la bourse, ainsi que vous l'avez du reste rappelé, monsieur le rapporteur.

Nous déduisons également de votre argumentaire que la majorité gouvernementale va clairement dans le sens de l'abandon du modèle gaulliste, qui a permis l'intervention étatique dans les secteurs clés de l'économie française. En effet, depuis vingt ans, l'État ne cesse de se dessaisir de ses participations dans les entreprises publiques, dont la liste est longue : Gaz de France, Électricité de France, Air France, Aéroports de Paris, etc.

Dans le domaine de l'aéronautique, le gouvernement Jospin a autorisé, il est vrai, la privatisation de l'entreprise Aérospatiale et sa fusion avec l'entreprise Matra, société du groupe Lagardère, comme cela est souligné dans le rapport écrit.

Cette opération a effectivement permis la création d'EADS en 2000, groupe conçu non comme une coopération intergouvernementale, mais comme une entreprise européenne fonctionnant avec les actionnaires de plusieurs pays, notamment français, allemands, espagnols, qu'ils soient publics ou privés, et dont l'objectif premier était de concurrencer Boeing.

Les communistes, dans leur diversité, n'étaient pas forcément favorables à cette opération. Mais là n'est pas la question aujourd'hui.

Certes, le gouvernement Jospin a fait des erreurs, notamment quand son action a été dans le sens d'un accompagnement du libéralisme mondialisé et qu'il s'est séparé des outils de maîtrise publique, et donc citoyenne.

Concrètement, lorsque Lionel Jospin déclarait, en 2002, que le pouvoir politique ne pouvait contraindre l'économie, je pense qu'il a fait une erreur fondamentale, qui explique, en partie, la désaffection envers la politique de nombre de nos concitoyens.

En tout cas, le fait que le gouvernement Jospin ait, en son temps, fait le choix de privatiser l'entreprise Aérospatiale ne permet certainement pas d'affirmer que, aujourd'hui, les parlementaires de gauche ne pourraient débattre de la situation d'EADS.

Les sénateurs communistes estiment qu'il est plus qu'urgent de faire le bilan des politiques de libéralisation et de privatisation menées au niveau tant national qu'européen, avant de continuer dans cette fuite en avant. Il devient, en effet, pressant d'analyser si ce désinvestissement des pouvoirs publics dans les secteurs clés de l'économie, aboutissant à laisser comme seul régulateur la loi du marché, a permis un véritable développement de ce secteur et répondu aux besoins des usagers.

Dans le secteur de l'aéronautique, notamment, au regard des difficultés d'EADS et de l'opacité incroyable qui entoure la gestion de cette entreprise, nous estimons que cette politique de retrait des pouvoirs publics n'est pas concluante. À cet égard, je trouve que la proposition de résolution émanant du groupe socialiste est intéressante et aurait mérité plus qu'un débat de quelques heures, de même que le sujet aurait mérité plus qu'une simple information des parlementaires dans plusieurs mois.

J'en viens, maintenant, au fond même de cette proposition de résolution, c'est-à-dire ce qui légitime une en quête sur la situation de l'entreprise EADS, sur les causes qui ont provoqué le retard de livraison de l'A380 et, finalement, sur la politique industrielle de cette société.

À mon sens, la question du retard de livraison ne peut se comprendre et s'analyser que dans le cadre global de la politique industrielle de ce groupe. En effet, de nombreux arguments techniques peuvent être avancés pour justifier ce retard, notamment l'utilisation d'un logiciel non conforme pour le câblage à l'usine de Hambourg. Cependant, je considère que ces retards sont la conséquence directe de la politique industrielle de cette entreprise ou, plutôt, de son absence de politique industrielle.

En effet, comment ne pas considérer que la gestion de cette entreprise orientée vers la recherche d'une rentabilité maximale crée ce type de risques ?

Les causes profondes de la crise que connaît aujourd'hui EADS sont le fruit d'une stratégie essentiellement financière, qui a fait prévaloir les intérêts des actionnaires sur la logique industrielle.

En effet, alors que les dividendes versés aux actionnaires n'ont jamais été si importants - ils ont progressé de manière continue sur quatre ans, pour parvenir à une augmentation de 200 % -, une politique de réduction des coûts est largement mise en oeuvre dans le même temps.

On se trouve donc devant une stratégie de réduction des coûts de production qui ne saurait absolument pas se justifier par des difficultés financières ni par la situation de l'euro par rapport au dollar, comme le suggère la commission des affaires économiques, mais qui s'explique uniquement par la volonté des actionnaires français, allemands et espagnols d'augmenter leurs profits.

Ils ne sont pas d'ailleurs déçus : les profits ont encore été en hausse de 30 % en 2005. Pour l'année 2006, le géant de l'aéronautique table sur une progression du chiffre d'affaires de près de 3 milliards d'euros.

C'est dans ce cadre que l'entreprise a lancé, il y a maintenant deux ans, le plan « Route 06 », destiné à économiser 1, 5 milliard d'euros par an.

Ainsi, les actionnaires ont voulu, pour des raisons financières, réduire les délais d'études et de développement de l'A380 de sept à cinq ans. La conséquence directe de cette décision est que la filiale Airbus a réduit en 2004 son budget de recherche et développement, alors que ce nouvel avion était en plein développement.

La filiale Sogerma a également été sacrifiée parce qu'elle n'atteignait pas le taux de rentabilité espéré par les actionnaires. Le conseil d'administration a en effet décidé « d'arrêter les activités déficitaires sans perspectives de rentabilité ».

Le recours accru à la sous-traitance est aussi source de risque puisqu'il élargit encore un peu plus la chaîne de production.

Nous estimons donc que c'est ce plan qui est fondamentalement à l'origine des retards de production de l'A380 : il ne s'agit pas de simples problèmes de compatibilité technique ou de gouvernance d'entreprise.

Vouloir aller toujours plus vite en rognant toujours davantage sur les coûts comporte en effet ce type de risque.

Pourtant, cela ne fait nullement reculer la direction d'EADS, qui persiste dans cette logique. En effet, le lancement de l'A350, décidé le 1er décembre dernier en conseil d'administration, est lié à la mise en oeuvre d'un nouveau plan de restructuration, intitulé « Énergie 8 ».

Ce plan vise à permettre l'autofinancement par EADS de l'A 350, à hauteur de 5 milliards d'euros, d'ici à 2010. Il tend également à ce que les sous-traitants prennent à leur charge 1, 8 milliard d'euros de coûts de développement, c'est-à-dire qu'ils devront eux-mêmes pratiquer des réductions de coûts de production.

Le reste des financements nécessaires devrait être trouvé en passant par des émissions obligataires avec garantie publique.

Ce plan repose également sur un recours accru à la sous-traitance, à hauteur de 50 %, alors que le recours à la sous-traitance pour l'A 380 était de 30 %. Il ne s'agit donc pas, comme vous l'avez d'ailleurs indiqué, monsieur le rapporteur, d'une réduction de la sous-traitance, bien au contraire.

De plus, ce plan préconise une concentration des sous-traitants et une réduction de 30 % des prix de leurs prestations. Ce sera donc à eux d'assumer la charge de la sous-traitance en cascade : ils devront délocaliser dans les pays à bas coûts de main d'oeuvre.

D'autre part, ce plan préconise également des suppressions d'emplois.

C'est donc, une nouvelle fois, les emplois, les conditions de travail et les investissements qui pâtiront de la logique financière de l'entreprise.

Les sénateurs communistes estiment, devant cette situation, que les pouvoirs publics ont une responsabilité politique particulière, qui ne dépend pas de l'importance du capital détenu mais du caractère stratégique du secteur d'activité de l'entreprise EADS.

L'État français doit définir une politique industrielle pour la France et doter celle-ci des outils nécessaires pour parvenir aux objectifs démocratiquement fixés.

L'industrie aéronautique ne peut être laissée entre les seules mains des actionnaires, qui n'ont pas fait la preuve de leur capacité à développer l'activité de ce secteur.

Je ne reviendrai pas sur les récents problèmes judiciaires, mais on voit bien que les intérêts des actionnaires ne coïncident pas toujours avec les intérêts de l'entreprise. On voit également que, lorsqu'on laisse la gestion aux seuls actionnaires privés, ce sont leurs intérêts qui prévalent.

Nous ne pouvons nous en satisfaire.

Il faut rompre avec cette logique de régression et construire un grand projet industriel, avec des financements publics, contrôlés par les citoyens, pour des investissements à long terme, dégagés de l'emprise financière.

Ce projet passe par la définition de gammes complètes de produits, qui répondent aux besoins et ne soient pas soumis aux choix prioritaires d'actionnaires guidés par le souci du retour sur investissement le plus élevé dans le temps le plus court.

Airbus, qui a récemment décidé du lancement de l'A350, doit donc aujourd'hui y consacrer les budgets nécessaires.

L'avenir passe également par le successeur de l'A320, l'avion « monocouloir » qui a fait la différence dans la compétition avec Boeing.

Enfin, le gros-porteur A380 reste l'enjeu majeur des efforts industriels à engager. Il implique de nouveaux investissements technologiques et humains et une nouvelle conception des rapports entre maître d'oeuvre et sous-traitants.

Or la priorité donnée à la réduction des coûts, répercutée en cascade par tous les équipementiers, constitue une course effrénée vers la régression sociale et l'échec industriel.

Il faut donc sortir de cette ornière et revaloriser le travail, les salariés et leurs compétences. En effet, la compétence première d'Airbus, c'est avant tout le savoir-faire de ses salariés.

C'est pourquoi nous estimons, à l'inverse de certains de nos collègues qui préconisent l'abandon pur et simple des parts de l'État dans EADS, que seul un renforcement de la présence de capitaux publics sera à même de garantir une maîtrise citoyenne des enjeux liés à la politique industrielle dans le secteur aéronautique.

En effet, la gestion d'EADS est pour le moins opaque, et sa dimension européenne, loin de favoriser une plus grande transparence et une plus grande coopération intergouvernementale, vise tout simplement à éliminer la moindre velléité de contrôle public et démocratique des choix au sein de ce secteur, fleuron de l'industrie française, je le rappelle.

Je terminerai en disant que ce n'est pas cette construction européenne que nous appelons de nos voeux : ce n'est pas une Europe des capitaux privés intégrés dans le marché mondialisé, mais une Europe des peuples, une Europe démocratique, où les pouvoirs publics oeuvrent pour le développement partagé et le progrès pour tous.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen estiment que cette proposition de résolution devrait être adoptée, afin de permettre à la représentation nationale d'apprécier la situation du secteur aéronautique et, ainsi, d'apporter de très utiles informations quant aux conséquences de la libéralisation dans ce secteur stratégique.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Le Grand

J'aimerais apporter très brièvement deux précisions après l'intervention de M. Billout.

Tout d'abord, je n'ai en aucun cas évoqué une diminution de la sous-traitance. J'ai seulement parlé d'une réorganisation de la sous-traitance.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

J'ai bien précisé que vous vous étiez inscrit en faux contre cette idée de diminution, qui est apparue dans les médias.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Le Grand

Alors, cela relève de leur responsabilité. En tout cas, il n'y a dans ma position aucune ambiguïté : le nombre de sous-traitants doit être maintenu et je me réjouis de la nouvelle organisation.

D'autre part, si l'État actionnaire détient 15 % du capital de l'entreprise, il n'est qu'un actionnaire « muet » : il n'a aucune capacité d'intervention sur le déroulement des process ou sur les décisions à prendre.

Évidemment, cela peut paraître bizarre - et cela pourrait éventuellement faire l'objet d'une réflexion -, mais je rappellerai, sans vouloir polémiquer et sans esprit de malice, que cet état de fait résulte d'une décision qui a été prise entre 1998 et 2000, époque à laquelle, me semble-t-il, le ministre des transports relevait plutôt de votre sensibilité, monsieur Billout.

Qu'un ministre communiste se propose de situer la participation de l'État actionnaire à 15 % en privant ledit État de toute capacité d'intervention est tout de même chose curieuse ! Vous pourrez le vérifier auprès de l'Agence des participations de l'État : j'ai auditionné la personne qui est en charge de cette agence, et elle piaffait quelque peu face à cette situation, en disant : « Je ne fais que constater ! »

Je pense qu'il n'était pas inutile de faire ce rappel.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes évidemment déçus des conclusions auxquelles donne lieu notre proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête.

En effet, je le répète, nous pensions qu'elle pouvait, au-delà des différences politiques, recueillir l'assentiment de notre assemblée.

Permettez-moi d'apporter quelques réponses aux objections qui motivent cet avis négatif.

En ce qui concerne la recevabilité de la proposition, je réaffirme que celle-ci n'a aucunement pour objectif de traiter de dossiers dont la justice est saisie : le délit d'initié ne figure pas dans notre exposé des motifs.

M. le garde des sceaux a fait connaître à M. le président du Sénat qu'une information judiciaire était en cours, concernant des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. C'est l'affaire de la justice, et nous n'avons certainement pas l'intention de substituer le Parlement à l'institution judiciaire.

L'objet de notre demande de création d'une commission d'enquête ne mentionne d'ailleurs aucunement les faits en question ; en faire une telle lecture constitue selon nous une interprétation abusive.

L'information judiciaire vise des personnes et non le groupe EADS en lui-même. Elle ne vise pas les retards de production et de livraison de l'A380.

Monsieur le rapporteur, je suis d'accord avec vous, les délais et les retards de livraison de l'A380 proviennent incontestablement de ce que les cinq premiers avions sont consacrés aux essais, qui nécessitent quelque 2 600 heures de vol. Au fond, si ces milliers d'heures d'essais n'étaient pas utiles, il n'y serait pas procédé ; autrement dit, il faut bien qu'elles produisent des améliorations.

Je signale que le premier de ces avions, le numéro 00 ne vole pas : il est « torturé » afin d'évaluer le niveau de résistance du fuselage, des ailes, de l'empennage, etc. Les avions consacrés aux essais font d'ores et déjà l'objet d'options d'achat, avec une ristourne, bien entendu.

Globalement, cela explique une année de retard, délai communément admis dans l'aéronautique. L'année supplémentaire de retard, en revanche, va se traduire par plus de 6, 3 milliards d'euros de pénalités et de manque de trésorerie pour l'entreprise.

Cette somme est tout simplement imputable à un premier fait technique : le logiciel Circé n'a pas été adopté par les Allemands, qui ont travaillé « à la paluche », en doublant ou en triplant les effectifs, pour réaliser les harnais et le câblage électrique des tronçons dont ils étaient responsables. Lorsque ces tronçons arrivent à Toulouse, ils sont en effet prééquipés.

Cette année de retard est donc due à la non-adoption du logiciel Circé, mais surtout à l'incapacité de l'entreprise à réaliser les mêmes tâches dans les mêmes temps, dans les différents sites de production d'Airbus. Il s'agit en l'occurrence du site de Hambourg, non de ceux de Séville, Saint-Nazaire ou Bristol.

Le problème se situait bien là, et tout le monde apparemment le savait, sauf peut-être l'opinion publique, les médias et les parlementaires. Acceptons cette réalité !

Je vous ai écouté attentivement, monsieur le rapporteur. Je sais qu'il faut être prudent, qu'il faut faire attention aux effets psychologiques, etc.

Le but de la création de la commission pourrait se résumer en cette formule : « Plus jamais ça ! ».

Trop de conséquences financières, économiques et sociales se font sentir sur cette industrie dont nous sommes fiers et qui, pendant longtemps, à travers la France et l'Europe, a donné l'impression que nous avions enfin pris le dessus sur les Américains. Peut-être a-t-on trop vite crié victoire...

Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui évident que nous sommes en présence de graves difficultés.

J'ajouterai que nous pourrions discourir à ce sujet des heures durant sans atteindre le niveau du réquisitoire sans concession qu'a présenté M. Christian Streiff. Ce réquisitoire a d'ailleurs sans doute abrégé sa carrière dans l'aéronautique, puisqu'il n'y est resté que trois mois ! La teneur de ces propos est connue, non seulement par Boeing mais par toute la presse spécialisée : nous la reprenons avec modération.

Christian Streiff a eu le mérite de mettre les choses à plat. Il a en fait extorqué des informations qui étaient restées jusque-là parfaitement cachées, ce qui lui a permis de dire : « Aujourd'hui, cette industrie éprouve des difficultés pour telle et telle raison, et cela est à la source de retards très importants, de pertes considérables, etc. »

L'A380 est un excellent avion, personne ne remet ce fait en cause, et il présente un avantage énorme : il est le seul à occuper son créneau, ce qui n'est pas le cas de l'A350.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Certes, ce ne sont que des options portant sur la version cargo qui ont été annulées. En revanche, la compagnie Emirates Airlines a acheté 50 avions à 306 millions d'euros pièce, soit 2 milliards de francs pièce ; vous me pardonnerez, je calcule toujours en francs. Cette compagnie a donc pris une option pour 500 milliards de francs !

Vous savez comment se passent ces transactions : pour prendre l'option, il faut payer des arrhes. Emirates a donc payé 50 fois 10 % de 306 millions d'euros. Pour le moment cela ne donne lieu qu'à des pénalités. Mais si, par malheur, la seule compagnie Emirates renonçait à tout ou partie de ces options, cela produirait un véritable krach économique. La décision ne dépend que des responsables de la compagnie.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Évidemment, l'absence de concurrent nous incite à ne pas imaginer le pire.

Quoi qu'il en soit, c'est dans ce contexte que nous avons proposé la création d'une commission d'enquête : il nous a paru nécessaire que le Parlement réfléchisse aux moyens d'éviter que puisse se reproduire une telle situation. Je ne citerai pas de noms, mais, à l'évidence, il y a eu un problème de gouvernance.

Le plan d'économies « Power 8 », mis en place à la suite du diagnostic posé par Christian Streiff, a été repris intégralement par Louis Gallois sous le nom d'« Énergie 8 ». Certes, je comprends que des économies soient nécessaires dans l'industrie ; mais, en l'occurrence, l'objectif est loin d'être négligeable : 2 milliards d'euros d'économies par an !

Monsieur le rapporteur, vous l'avez souligné, Airbus demande à ses principaux sous-traitants, notamment Latécoère, Socata et Sogerma, de sous-traiter eux-mêmes une partie de la production. Je ne me fais pas d'illusion sur l'issue finale, car les conséquences se font déjà sentir pour un certain nombre de sociétés. Dans ma région de Midi-Pyrénées, la sous-traitance régionalisée existe déjà dans tous les départements : d'ores et déjà, certaines entreprises n'ont pas pu tenir le choc.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Si les sous-traitants répondent aux souhaits d'Airbus et délocalisent leur production en zone dollar à bas coûts - vous avez le choix entre l'Inde, l'Indonésie, etc. -, je peux vous assurer que cela aura chez nous des conséquences sur l'emploi, aussi bien en Midi-Pyrénées que dans la Somme et en Loire-Atlantique.

Nous avons besoin de connaître les causes d'une telle situation. Loin de nous l'idée d'instruire un procès ou de tomber dans la polémique et la politique politicienne. Nous souhaitons tout simplement que le Parlement ait le courage de prendre ses responsabilités.

Il faut le dire : avant que MM. Streiff et Gallois arrivent aux commandes de l'entreprise, en quelque sorte sous l'ancien régime, la plus grande opacité régnait, tout était fait dans le manque de transparence le plus total ! Ce serait donc tout à notre honneur de vouloir faire la lumière sur cette affaire, qui concerne quand même l'un des fleurons de l'économie française et européenne.

Monsieur le rapporteur, je reconnais que votre rapport est intéressant et objectif, même si je ne suis évidemment pas d'accord avec toutes vos conclusions. Selon vous, EADS subit, en termes de compétitivité, un delta de 25 % au prétexte que ses avions seraient construits dans la zone euro et vendus en dollars. Mais le problème n'est pas nouveau, cette situation n'est pas apparue subitement avec l'A380 ! Peut-être M. Trichet n'est-il pas assez vigilant ; toujours est-il la crise ne date pas d'hier. Bien sûr, cela rend les choses plus difficiles, mais je vous signale qu'au cours des trois dernières années Boeing a vendu moins d'avions que nous et a pourtant dégagé des marges bénéficiaires plus importantes !

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Dans ces conditions, vous pensez bien que nous sommes inquiets pour l'avenir !

S'agissant des erreurs de gouvernance, il faut dire aussi que l'A320 va devenir un vieil avion : il a déjà vingt ans !

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Il sera construit en Chine. Vous verrez que, dans quelques temps, ce sera la Logan du court-courrier !

Quant à l'A350, il représente 40 % de l'activité aéronautique. Comment se fait-il que des managers aient pu penser à « relooker » un A330 en A350, alors qu'aucune compagnie ne voulait l'acheter, parce que lui aussi commence à devenir un vieil avion.

Par ailleurs, ne l'oubliez pas, l'A340-600 est en voie d'extinction rapide : c'est un avion qui ne se vend plus avant même d'avoir été vendu, et cela pour la simple raison qu'il consomme trop.

Aujourd'hui les deux critères de vente d'un avion, c'est le bruit et le prix de revient au siège. Airbus est certes très performant sur le premier.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Mais avec ses quatre réacteurs, l'A340-600 est en compétition avec le Boeing 777, qui n'en a que deux et qui consomme moins. Or l'autonomie de l'A340-600 n'est supérieure que de 500 kilomètres à celle de son concurrent. Cela n'a aucun intérêt pour un vol Paris-Singapour : à 500 kilomètres au-delà de Singapour, il n'y a pas de grand aéroport !

Tout cela mériterait tout de même d'être examiné avec attention, dans le but de défendre une réussite exemplaire de l'industrie européenne.

Personnellement, je garde en mémoire ce qui s'est passé : si, le jour prévu du mariage entre British Aerospace et Daimler, les Anglais n'avaient pas éconduit les Allemands, nous ne serions peut-être pas en train de débattre aujourd'hui de l'industrie aéronautique française !

Fort heureusement, le Président de la République, le Premier ministre de l'époque, qui a été cité à plusieurs reprises, mais malheureusement pas toujours en bien, le ministre des finances ainsi que Jean-Luc Lagardère ont conjugué leurs efforts pour mettre en oeuvre la fusion qui a donné naissance à EADS. Initialement, les Allemands souhaitaient supprimer tout capital public, ce qui aurait mené à la privatisation totale. Finalement, le capital fut réparti essentiellement entre trois grands acteurs : près de 30 % pour DaimlerChrysler, 15 % pour Matra, autant pour l'État français. Aujourd'hui, les proportions diffèrent, Arnaud Lagardère ayant réduit à 7, 5 % la participation de son groupe au capital.

Vous l'avez dit assez justement, l'État français n'a pas de véritable influence sur EADS. Comble du paradoxe, la Chancelière allemande, qui prône une politique beaucoup plus libérale, intervient beaucoup plus que nous dans ce secteur industriel et était prête, si elle en recevait l'autorisation, à envisager une participation de l'État allemand afin de compenser le désengagement de DaimlerChrysler. Alors que la l'État français détient 15 % du capital, il n'a aucune marge de manoeuvre : il est « ficelé » ! C'est le contraire pour les Allemands, qui n'ont aucune participation dans le capital mais qui parviennent à être beaucoup plus efficaces parce qu'ils sont beaucoup plus interventionnistes que nous !

Voilà pourquoi nous souhaitons une commission d'enquête. Nous ne voulons, en aucun cas, affaiblir qui que ce soit. Nous entendons simplement donner à ce dossier une certaine solennité en permettant au Parlement d'y avoir accès. Chacun d'entre nous, j'en suis persuadé, défend le groupe EADS, qui est une grande réussite européenne, qui construit des avions, des lanceurs, des satellites, avec Astrium.

Debut de section - PermalienPhoto de Bertrand Auban

Sa gestion, peut-être un peu trop politisée et pas assez industrielle, a sans doute manqué de cohérence. Il n'en demeure pas moins que ce groupe doit faire l'objet de toute notre attention et, dirai-je, de toute notre affection.

Mes chers collègues, en proposant une commission d'enquête, nous n'avons que cet objectif. Il ne s'agit surtout pas de promouvoir une quelconque ingérence, comme certains ont pu le prétendre.

Tout le monde le sait, un manager peut être tout à la fois mauvais et amoral. Pour ma part, je me suis contenté d'évoquer la mauvaise gestion quand d'autres doutaient de la moralité d'Untel ou d'Untel, allant jusqu'à citer des noms précis.

Force est de constater qu'il y a eu de nombreuses négligences. Au-delà de l'instruction judiciaire, qui suit son cours, nous devrons de toute façon veiller à ce que de tels errements ne se reproduisent plus, notamment dans des secteurs où des sommes vertigineuses - plusieurs milliards d'euros, tout de même ! - sont en jeu.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Le Grand

Je souhaite que de la discussion d'aujourd'hui ressorte un message clair du Sénat à l'intention de M. Louis Gallois. Notre assemblée et, plus largement, le Parlement doivent lui faire confiance, être à ses côtés et le soutenir, pour que sa mission de redressement de l'entreprise soit une réussite.

Mon cher collègue, cessons de critiquer les mesures qui ont été prises, notamment la construction de l'A320 en Chine. Cet avion est leader sur son marché. Si Airbus n'avait pas joué « gagnant-gagnant » avec la Chine, cette société serait en train de perdre des parts de marché.

Par ailleurs, l'A350 est en compétition avec le Boeing 787. Sur les financements croisés, il y aurait beaucoup à dire, notamment en ce qui concerne la mise de l'État japonais au pot des dépenses de recherche et développement relatives à ce dernier avion. Mais c'est un autre sujet. En l'espèce, gardons-nous d'aller trop dans le détail, car cela pourrait être mal interprété.

Je le répète, mon seul souhait est que Louis Gallois reçoive, par un biais ou par un autre, le message de confiance que le Parlement français, aujourd'hui à travers le Sénat, se doit de lui adresser.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Monsieur Auban, soyez tout de même un peu plus optimiste ! Souvenez-vous de la situation dans laquelle se trouvait l'industrie aéronautique de notre pays voilà quelques années. Qui aurait osé parier il y a sept ou huit ans qu'Airbus rivaliserait avec Boeing et même le dépasserait sur certains segments du marché ?

L'an passé, la commission des affaires économiques s'est rendue sur le site de Toulouse et a été très impressionnée : à l'époque, l'objectif fixé était d'un A380 produit par semaine, ce qui ne pouvait que rassurer tous les acheteurs du monde entier.

Aujourd'hui, il est pénible de voir uniquement pointer du doigt les difficultés rencontrées par cette grande entreprise. Que je sache, toutes les entreprises connaissent à un moment donné quelques problèmes. S'agit-il forcément d'erreurs stratégiques ? À mon sens, il importe de donner une tout autre image au monde entier, notamment aux futurs acheteurs : celle d'une industrie aéronautique capable de rivaliser avec la plus grande industrie au monde.

Mes chers collègues, si nous ne savons pas transmettre une vision positive de cette grande entreprise qu'est Airbus, vous vous imaginez bien que les grands acheteurs du monde ne manqueront pas de se tourner vers Boeing, qui bénéficie d'ores et déjà de la valeur actuelle du dollar par rapport à l'euro. À cet égard, la création d'une commission d'enquête constituerait un bien mauvais message.

Au contraire, réjouissons-nous de disposer d'une telle industrie, qui fonctionne bien. Eurocopter vend ainsi des hélicoptères dans 160 pays ! C'est à travers ces marchés que l'on peut gagner la confiance des futurs acheteurs.

Par la voix de son rapporteur, la commission des affaires économiques s'est déclarée défavorable à la création d'une commission d'enquête. D'ailleurs, le seul emploi du mot « enquête » jette chaque fois la suspicion. Pour autant, M. le rapporteur et nous-mêmes souhaitons continuer à suivre attentivement l'évolution de cette grande entreprise.

Dans cette optique, le bureau de la commission des affaires économiques, qui doit se réunir le 10 janvier prochain, pourrait décider des modalités d'élaboration d'un rapport d'information sur le sujet. À la suite de Jean-François Le Grand, qui s'est fort bien exprimé, je souligne d'ores et déjà tout l'intérêt qu'il y aura à élaborer ce rapport dans un esprit de prudence en même temps que de pluralisme.

En cet instant, juste avant que le Sénat se prononce sur les conclusions de notre commission, il me paraissait utile de faire ces quelques observations.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Avant de mettre aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution, je donne la parole à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Vous venez de le rappeler, monsieur le président de la commission des affaires économiques, la création d'une commission d'enquête est généralement perçue comme une mise en examen.

Une telle initiative serait donc singulièrement inopportune juste au moment où l'A380 vient d'être agréé et autorisé à voler avec des passagers. Alors que le premier client sera livré dans six mois et qu'il pourra donc commencer son exploitation sur une ligne commerciale, la création d'une commission d'enquête ne constituerait vraiment pas le bon message à faire passer !

En revanche, en tant que parlementaires, nous sommes en droit de connaître les tenants et les aboutissants de cette affaire, car nous avons concomitamment un devoir d'explication à l'égard de nos concitoyens. Au demeurant, notre mission est aussi de faire taire les rumeurs, qui répandent tout et n'importe quoi.

Vu la guerre commerciale que se livrent Boeing et Airbus, cette dernière société a véritablement besoin de notre soutien. À nous de la faire briller et de révéler au grand jour tous ses bons résultats, que vous avez rappelés les uns et les autres, avec l'A320-A340, et, demain, avec l'A350. N'oublions pas le succès de l'A400M, commandé par sept forces militaires. Même les Américains songent à en acquérir !

À l'évidence, ce n'est véritablement pas le moment de nous appesantir sur l'incapacité d'Airbus à assurer sa production dans les délais annoncés et à honorer ses réservations !

En outre, comme l'a très bien expliqué M. le rapporteur, le premier écueil pour Airbus se situe au niveau financier, avec la parité entre le dollar et l'euro. Lorsque nous avons reçu M. Gallois en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, il nous a clairement précisé que l'entreprise perdait 10 milliards par an du seul fait du déséquilibre qui affecte le taux de change entre les deux monnaies.

C'est là que, sur le plan financier, se situe le risque le plus important, car les actionnaires, eux, ont réagi dès qu'ils ont eu connaissance d'éventuels retards de livraison.

Enfin, sur le plan commercial, notre rôle est de porter très haut les couleurs de notre pays.

On a l'impression que, en France, dès que nous enregistrons une réussite dans le domaine technologique, on s'empresse de la dénigrer ! Ainsi, on ne cesse de clamer que le Rafale, fabriqué par Dassault Aviation, n'est vendu nulle part ! Est-ce ainsi que nous parviendrons à le vendre ? Pourtant, exactement comme l'Airbus, il s'agit du meilleur avion de sa catégorie existant sur le marché. Par exemple, il a gagné tous les combats de simulation organisés par l'OTAN en Espagne : c'est le meilleur avion de combat !

Il y a vraiment là une attitude à revoir.

Enfin, s'agissant de l'aspect technique de ce dossier, je rappelle que l'obsolescence des logiciels spécialisés est rapide. C'est une entreprise française, Dassault Systèmes - connue dans le monde entier pour avoir vendu à Airbus, Boeing, mais aussi dans les secteurs de l'automobile de pointe et des trains, des logiciels de modélisation en trois dimensions et de conception assistée par ordinateur -, qui a vendu en avant-première à Airbus France son logiciel de CAO de nouvelle génération, tandis que les Allemands utilisent toujours le logiciel CATIA de la génération précédente. Mais ce retard sera très rapidement comblé, ce qui permettra à l'A380 d'être livré en temps et en heure à ses acheteurs.

Vous aurez compris, mes chers collègues, que le groupe de l'UC-UDF est opposé à cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. Il se félicite, en revanche, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que soit élaboré, au sein de la commission des affaires économiques, un rapport d'information sur ce sujet, car nous voulons connaître la vérité afin d'être en mesure de répondre aux interrogations de nos concitoyens.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Grignon

Madame la présidente, mes chers collègues, je remercie M. le rapporteur de nous avoir livré une analyse globale de cette affaire. En effet, même si nous avons lu des articles de presse et pris connaissance de bribes d'informations sur ce sujet, il était important que nous ayons une vue d'ensemble de la situation actuelle d'EADS : le rapport de la commission apporte à cet égard de très utiles éclaircissements.

Comme M. le président de la commission des affaires économiques, je serai très positif dans mes propos. C'est en effet la seule attitude raisonnable dans un monde de compétition globalisée qui exige que nous soyons en permanence combatifs.

Qu'il me soit d'abord permis de rappeler qu'après un vol inaugural, le 27 avril 2005, l'A380 a reçu hier, dans les temps prévus, son certificat de navigabilité, accordé par les autorités européennes et américaines de l'aviation civile.

Ainsi, depuis 2000, Airbus est la première entreprise mondiale d'aéronautique en termes de prises de commandes, et même si Boeing est en passe de lui ravir ce titre pour 2006, Airbus restera, pour la quatrième année consécutive, le numéro un sur le plan des livraisons d'avions.

Enfin, EADS et Airbus sont prêts à lancer le futur long courrier A350, concurrent direct du Boeing 787.

Ces succès, sur un marché mondial où la compétition est particulièrement acérée, méritent d'être soulignés, tout comme la réussite en matière de coopération technologique et industrielle européenne que représente le groupe privé EADS. Mais ils ne doivent pas occulter les difficultés rencontrées cette année, notamment les changements intervenus au niveau de la direction d'EADS et le retard affectant le programme des livraisons.

Nos collègues socialistes estiment que ces difficultés devraient donner lieu à la création d'une commission d'enquête sénatoriale. Je suis au regret de leur dire que plusieurs éléments s'opposent à cette initiative.

Tout d'abord, EADS est une entreprise de droit privé dans laquelle l'État ne détient que 15 % du capital et qui n'assume pas de missions de service public. Or il est délicat, pour la représentation nationale, de lancer des investigations concernant une entreprise presque entièrement privée.

J'ai entendu marteler, sur les travées de l'opposition, que cette entreprise avait un caractère stratégique. Même si nous ne l'avons pas répété en permanence, nous en sommes tout autant convaincus. Mais nous pensons que la méthode qu'il convient, en l'occurrence, d'adopter n'est pas du tout celle que préconisent nos collègues socialistes. En revanche, celle qui est proposée par M. le président de la commission devrait répondre complètement à nos attentes.

Des mesures ont d'ores et déjà été prises, dans le cadre normal de la gestion de l'entreprise EADS, pour surmonter ses difficultés. Je citerai ainsi la nomination de Louis Gallois à la tête d'Airbus ou la mise en place du plan de redressement « Power 8 ». Laissons donc un peu de temps à la nouvelle direction pour améliorer la situation.

En outre, des procédures judiciaires sont en cours, ce qui rend impossible l'ouverture d'une commission d'enquête.

Le groupe de l'UMP se rangera donc à l'avis de MM. les rapporteurs, Laurent Béteille et Jean-François Le Grand, et rejettera la proposition de nos collègues socialistes.

EADS et Airbus ont toutes les compétences requises pour surmonter la crise survenue cette année. Notre rôle est de soutenir ces entreprises et non de prendre le risque de les fragiliser.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laffitte

Je souhaite tout d'abord féliciter M. le président de la commission des affaires économiques, mais aussi l'auteur de cette proposition de résolution car, grâce à lui, nous avons pu avoir un débat intéressant sur Airbus, ce fleuron de l'industrie européenne.

Je profite également de l'occasion qui m'est offerte pour souligner le comportement courageux de mon ancien élève Christian Streiff : ce manager, après avoir analysé la situation d'Airbus et posé ses conditions, a claqué la porte, car il n'avait pas obtenu satisfaction. C'est un acte de courage qu'il convient de saluer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

Le sujet que nous avons abordé aujourd'hui concerne l'Europe.

J'ai entendu les uns et les autres se glorifier en parlant de l'aviation, qu'ils assimilent à la France. Ce n'est pas tout à fait juste, chers amis !

Peut-être le principal problème rencontré par Airbus et l'A380 est-il justement dû au fait que l'on a raisonné à l'échelle nationale, alors qu'il fallait prendre en compte la dimension européenne, et c'était bien une erreur de management.

L'Europe, voilà cinquante ans, c'était celle du charbon et de l'acier. Puis, il y a vingt ou trente ans, nous avons vu naître une Europe de l'aviation, notamment grâce aux évolutions techniques intervenues dans ce domaine. Ainsi le Concorde a-t-il représenté un bouleversement technique incroyable, qui s'est décliné dans le domaine de l'industrie automobile, de la sidérurgie, etc.

L'Airbus A380, ce n'est même plus un avion ! On l'appelle « avion » parce qu'il vole, mais sa conception même défie toutes les techniques traditionnelles de l'aviation. En fait, c'est une sorte de monstre qui glisse dans les airs, une réalisation fabuleuse qu'il faut inscrire au tableau d'honneur de l'Europe.

Que s'est-il passé exactement ?

S'agissant de la mise en place de cette technologie, je pense que, les uns et les autres, nous nous sommes trop comportés en nationalistes, distribuant les tâches en fonction des diverses nationalités : les Anglais devaient faire telle chose, les Allemands telle autre, les Espagnols ceci et les Français cela !

En général, les Français se battent pour profiter des retombées en termes d'image : comme toutes les pièces sont assemblées à Toulouse, on laisse entendre que l'avion est français. Or il ne faut jamais oublier que, pour l'essentiel, les pièces sont fabriquées ailleurs qu'en France.

Parfois même, nous nous battons pour obtenir que le grand patron soit français, sans nous préoccuper de ce qu'il y a au-delà.

Je suis sensible à ce dossier non seulement parce que mon groupe a déposé cette proposition de résolution, mais aussi parce que je suis originaire de la région Midi-Pyrénées. Or vous connaissez tous les incidences de ce projet sur l'économie et l'industrie locales, notamment en termes de sous-traitance. Ce n'est pas rien !

Comment expliquer qu'un gouvernement libéral comme celui de Mme Angela Merkel ait souhaité que l'État allemand entre directement dans le capital d'EADS ? C'est tout de même curieux ! La raison est pourtant simple : Mme Merkel sait que l'activité de ce groupe - en particulier l'A380 - représente un levier économique important pour son pays, et je la comprends.

Comment se fait-il que les Russes frappent désormais à la porte d'EADS, puis d'Airbus ? Parce qu'ils sont tout à fait prêts à entrer dans le capital de ces entreprises, avec la complicité des Allemands ? Là encore, ce n'est pas rien !

Pourquoi les Français restent-ils muets ? Ce projet concerne pourtant notre industrie et, plus largement, notre économie. C'est là que le problème commence à surgir.

Que s'est-il passé, au cours des trois dernières années, à l'intérieur même du dispositif de l'A380 ?

Il faut savoir que des responsables français de la sous-traitance ont été convoqués par des acteurs politiques allemands afin qu'ils expliquent pourquoi la sous-traitance allemande était si peu impliquée dans la fabrication de cet avion !

Aujourd'hui, dans l'organigramme de ce projet, on trouve en majorité, non des Anglais, des Espagnols ou des Italiens, mais des Allemands, qui ont pour mission de défendre les intérêts économiques de leur pays.

À travers l'exemple d'Airbus et d'EADS, nous devons nous demander comment nous pouvons, à l'aide des nouvelles technologies, rebâtir ce fleuron de l'industrie européenne qu'est l'A380, sans parler de l'A350, qui reste à fabriquer.

Dans ce dossier, tout doit être exposé en toute clarté. Par ailleurs, nous devons accompagner dans sa tâche M. Gallois. La représentation nationale française doit en savoir plus et rappeler que l'Europe se bâtit ensemble, et non pas en agissant dans le dos des autres partenaires.

Voilà pourquoi nous avons déposé cette proposition de résolution. Je regrette donc que votre conclusion, monsieur le président de la commission des affaires économiques, consiste à recommander l'établissement d'un rapport. À la limite, la mise en place d'une mission d'information aurait permis d'établir quelques contacts et de rencontrer certains partenaires. Un rapport, on sait ce que cela signifie : on trouvera toujours quelqu'un qui sache écrire pour remplir une centaine de pages au sujet d'EADS ! Ce n'est pas de cela que nous avons besoin aujourd'hui. Le problème est suffisamment grave pour que le Parlement français s'en saisisse d'une autre façon.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de résolution.

Ces conclusions sont adoptées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

En conséquence, la proposition de résolution est rejetée.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je rappelle que la commission des affaires économiques a proposé deux candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Henri Revol et Bernard Piras membres du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

L'ordre du jour appelle le débat sur les énergies renouvelables, la transition énergétique et le plan climat : rapport d'information de MM. Claude Belot et Jean-Marc Juilhard fait au nom de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire (436, 2005-2006) et question orale avec débat n° 19 de M. Pierre Laffitte sur la transition climatique et le plan climat.

La parole est à M. Claude Belot, auteur du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Belot

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons enfin parler ici, en séance publique, des énergies renouvelables !

Ces énergies, qui constituent pourtant une très vieille affaire, trouvent difficilement leur place dans le dispositif énergétique français, système complexe, essentiellement dirigé, et ce depuis bien longtemps, par les « grosses machines » que sont les acteurs majeurs de l'énergie : EDF, GDF, les pétroliers.

De ce fait, on avait oublié deux choses essentielles : d'une part, que les énergies renouvelables avaient tout simplement permis aux Français de vivre pendant bien longtemps et que, localement, elles permettaient de créer des emplois ; d'autre part, que c'étaient les collectivités locales, particulièrement les communes, qui souvent, à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, avaient créé les réseaux d'électricité et les réseaux de gaz, parce que cela répondait à une nécessité locale et qu'on raisonnait alors en termes de proximité.

Aujourd'hui, la donne est complètement différente.

Il se trouve que, dans le cadre de recherches universitaires, voilà maintenant quelque temps, j'ai découvert la situation dans laquelle nous étions : j'ai découvert que nous allions dans le mur, et en chantant ! On ne parlait pas, alors, de dioxyde de carbone, ni d'effet de serre, ni de réchauffement climatique, mais le premier choc pétrolier a été le révélateur d'une situation qui ne pouvait que s'aggraver parce que les réserves d'énergies fossiles - essentiellement les hydrocarbures gazeux ou liquides - étaient par nature limitées et qu'il arriverait nécessairement un moment où elles seraient épuisées.

Au surplus, à l'époque, il n'était pas impossible de prévoir que de nouveaux convives apparaîtraient à la table du banquet, et des convives de poids, qu'il s'agisse de la Chine, de l'Inde, du Brésil et de quelques autres : cela se vérifie aujourd'hui.

On pouvait donc sans mal imaginer que l'abondance d'énergies fossiles aurait une fin.

En tant qu'universitaire théoricien et maire de ma commune, je me suis efforcé de passer aux travaux pratiques.

Que faire ? Très vite, des conclusions se sont imposées. Le sous-sol du nord de l'Aquitaine contient d'intéressantes réserves géothermiques. Il en existe aussi en région parisienne, en Alsace, en Limagne, dans le Midi, dans le sillon rhodanien et dans un certain nombre d'autres lieux en France. Et puis il y a l'immense réservoir de la biomasse, essentiellement forestière. Je ne parle pas des déchets, qu'il ne faut cependant pas négliger. Bien des ressources étaient donc susceptibles d'être utilisées.

Comment ? Seuls les réseaux de chaleur peuvent être mis en oeuvre à une échelle industrielle et sont facilement accessibles au client. Mais les réseaux de chaleur se sont insuffisamment développés en France, sauf à Paris, pour des raisons historiques. D'ailleurs, je signale que le Sénat est chauffé grâce à un réseau de chaleur par la Compagnie parisienne de chauffage urbain, et ce depuis des décennies. En revanche, cette technique est très répandue et est devenue tout à fait banale en Suède et dans les autres pays scandinaves, ainsi qu'en Allemagne.

Un réseau de chaleur, c'est un pont qui transporte de l'eau chaude bon marché, parce qu'elle est produite avec des énergies elles-mêmes bon marché, vers un client. C'est tout ! Moi qui dirige le département qui a construit le pont de l'île de Ré, je puis vous dire que l'un et l'autre fonctionnent selon la même économie.

Dans les travaux pratiques, il y a toujours des difficultés : après les « Y'a qu'à » et les « Y'faut qu'on », il reste à passer aux actes ! Les actes, quels étaient-ils ? On a fait des forages géothermiques. À l'époque - il y a plus de trente ans -, les foreurs étaient des pétroliers qui ne savaient pas trop comment traiter les réservoirs d'eau, qui ne sont pas éruptifs ; c'est une source de difficulté. On ne savait pas trop quels étaient les bons matériaux pour les tuyaux. Il a fallu surmonter ces difficultés.

Aujourd'hui, il est possible de mettre en oeuvre ces énergies renouvelables car les technologies le permettant sont toutes matures, et françaises de surcroît, ce qui ne gâte rien.

Quand on parle de la production de chaleur, il faut avoir à l'esprit que, depuis plus d'une quinzaine d'années, la consommation énergétique française plafonne à environ 180 millions de tonnes d'équivalent pétrole. Cela signifie que les Français ne gaspillent pas, qu'ils ont mis en oeuvre des mesures visant à économiser l'énergie, que leurs comportements ont changé et que les politiques qui ont été conduites à cet égard ont été efficaces.

La production de chaleur représente plus du tiers de la consommation énergétique française, soit plus de 60 millions de tonnes d'équivalent pétrole. Ce n'est pas rien ! Si l'on trouvait quelque part en France un gisement de gaz ou de pétrole produisant une telle quantité de matière fossile, la presse en ferait ses manchettes pendant toute une année ! Eh bien ce gisement existe !

Depuis les deux chocs pétroliers, les réseaux de chaleur ont été mis en valeur, différentes expériences ont été tentées. Les résultats sont là : ça marche ! Certes, quelques opérations ont échoué, notamment la géothermie en région parisienne. Mais elles sont bien peu de chose par rapport à celles qui ont réussi.

Les réseaux de chaleur, c'est une technique simple et maîtrisée, qui fonctionne. Et, sur le plan financier, c'est également un succès : il faut savoir que les gens qui sont aujourd'hui raccordés à des réseaux de chaleur paient leur énergie moins cher que ceux qui ont opté pour des solutions individuelles, qu'il s'agisse du gaz ou du pétrole.

Où en est-on à ce jour ? Faut-il agir ou non ? Sur quelque travée que nous siégions, nous avons tous la volonté politique de débloquer cette situation. Cette volonté est générale, comme j'ai pu le constater cette année en différentes circonstances. Je sais, madame la ministre, que le Gouvernement partage aussi cette volonté. Il l'a démontré à plusieurs occasions. Alors, il ne reste plus qu'à « faire ». Qui peut « faire » ? Les grosses machines de l'énergie ? Je ne compte pas trop sur elles, peut-être à tort...

Notre pays compte des communes entreprenantes, qui ont la capacité juridique et financière d'agir.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Belot

Rien n'est plus banal et plus ancien dans le doit communal français qu'une régie gérant un service public à caractère industriel et commercial. J'ai moi-même créé un réseau de chaleur qui fonctionne depuis 1981. Depuis lors, à la satisfaction générale de tous, il a permis la distribution de dizaines de millions de kilowatts, et ce dans le cadre précisément d'une régie gérant un service public à caractère industriel et commercial, elle-même affermée à un grand groupe français. Ces grands groupes disposent maintenant d'un savoir-faire en la matière. Il y a trente ans, ils regardaient cela d'un oeil prudent. Aujourd'hui, ils sont preneurs et ils savent faire !

Le cadre juridique existe donc. Venons-en aux aspects financiers.

N'oublions pas, mes chers collègues, que nous sommes à un moment unique de notre histoire, dont il n'est pas certain qu'il durera très longtemps. En effet, les taux d'intérêt réels, le loyer de l'argent, sont historiquement bas. Sachez que lorsque j'ai mis en place le réseau de chaleur de ma commune, j'ai dû contracter auprès de l'ancienne Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales, la CAECL, un prêt au taux de 16, 5 %. Cela nous semble à peine croyable aujourd'hui. Certes, j'ai pu le renégocier, mais, à l'époque les taux étaient élevés.

La technologie existe, ainsi que la ressource. Il ne reste plus qu'à décider les acteurs à « faire ».

Il ne sera guère nécessaire que notre cadre législatif évolue, dans la mesure où nous avons franchi cette année des étapes fondatrices. Lors de la discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement, notre collègue Juilhard et moi-même avions déposé un amendement visant à instaurer la TVA à 5, 5 % sur l'ensemble de la facture d'un abonné raccordé à un réseau de chaleur ou de froid renouvelable. Bercy n'était pas enthousiaste, mais, de toute façon, le rôle de Bercy est de ne jamais être enthousiaste !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Belot

Ainsi, les énergies renouvelables bénéficient aujourd'hui d'un taux de TVA plus favorable que celui qui s'applique aux autres sources d'énergie. C'est le signe d'une volonté politique forte en faveur de leur développement.

Un autre amendement a également été adopté visant à alléger et à simplifier la procédure de classement des réseaux de chaleur afin de permettre aux élus locaux d'imposer le raccordement à ces réseaux.

Cette disposition est très importante, quoique certains d'entre vous ou certains groupes n'en aient pas perçu immédiatement la portée. Dorénavant, le maire qui fait un lotissement ou qui lance une opération d'aménagement urbain peut obliger les demandeurs de permis de construire à se raccorder à son système de réseau de chaleur. C'est la garantie d'une meilleure rentabilité.

Ainsi, il n'existe plus guère d'obstacles. C'est l'un des sujets sur lesquels s'accordent tous les responsables politiques français. Personne ne remet ici en cause ce type de solution. Nous sommes prudents, nous savons que personne ne possède une baguette magique. Il faut qu'en une génération, on ait complètement changé en France le « logiciel » de fonctionnement de l'énergie domestique, de l'énergie des bâtiments, bref, de l'énergie fournissant de la chaleur. On a complètement laissé de côté les biocarburants, ce qui ne manquera pas d'entraîner de nombreuses conséquences.

L'action locale joue un rôle très important dans la fabrication des combustibles et dans la mise en valeur de la géothermie. C'est la source de nombreux développements. Ainsi, dans ma petite ville, j'ai construit un établissement thermal, très fréquenté, qui a permis la création de nombreux emplois. Et quand les clients en sont lassés, il leur est toujours loisible de se rendre au casino voisin !

Ne rêvons pas : il n'y aura pas des casinos et des stations thermales partout !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Belot

On tient là une bonne solution pour changer, autant que faire se peut, les données de la géopolitique, et non plus seulement celles de la géopolitique énergétique. Car l'on sait bien que c'est le pétrole qui est responsable du climat d'insécurité qui règne actuellement au Moyen-Orient, en Afrique ou en Amérique du Sud. On sait que ça va mal là où ça pue le pétrole !

Alors, mes chers collègues, il faut nous réunir. Et il faut que les croisés veuillent bien repartir en croisade : c'est le rôle des responsables des collectivités locales, qui ont toujours été présentes quand il le fallait.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - MM. Claude Saunier et Jean-Marc Pastor applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

La parole est à M. Jean-Marc Juilhard, auteur du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Juilhard

Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, lorsque le président de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire, Jean François-Poncet, m'a proposé d'être le co-rapporteur d'une étude portant sur les énergies locales et renouvelables, j'ai tout de suite manifesté mon intérêt pour ce sujet de première actualité. J'en ai cependant conçu une certaine appréhension, au regard de mes lacunes théoriques et techniques en la matière.

Pourtant, au fil de nos vingt-neuf auditions et de nos quatre déplacements, j'ai pris un plaisir évident à découvrir ce sujet passionnant et déterminant pour l'avenir de notre pays. J'ai d'ailleurs constaté que de nombreux élus avaient engagé des actions ambitieuses et innovantes pour promouvoir, sur le plan local, des ressources souvent pléthoriques, mais encore largement sous-exploitées, comme l'a dit Claude Belot.

Le rapport recense ainsi de nombreuses bonnes pratiques locales et a pour vocation de servir de guide aux élus.

J'ai notamment été marqué par deux importantes expériences locales.

Le 13 mars dernier, j'ai d'abord eu le privilège de découvrir, non sans une certaine admiration, le système énergétique de Jonzac.

J'espère ne pas froisser la susceptibilité de Claude Belot en explicitant quelques points, que, par modestie, il n'a pas détaillés lorsqu'il nous a fait part de son cheminement durant plus de trente ans.

Depuis 1980, la commune de Jonzac s'emploie à développer l'exploitation des sources d'énergie locales : géothermie et biomasse.

Après le second choc pétrolier, un premier forage, réalisé en 1979, a révélé l'existence, à quelque 1 800 mètres de profondeur, d'eau géothermique d'une température d'environ 65 degrés.

Des analyses effectuées sur l'eau du forage ayant révélé des qualités thérapeutiques intéressantes, une station thermale a vu le jour dans les anciennes carrières de calcaire et est actuellement en plein développement.

Un second forage a été réalisé en 1993 pour chauffer le centre aquatique et ludique de remise en forme appelé « Les Antilles de Jonzac ». C'est aussi, bien sûr, une source de création d'emplois.

En 2002, la ville de Jonzac a décidé de remplacer son usine d'incinération d'ordures ménagères par deux chaudières à bois. Ainsi, ce sont aujourd'hui plus de 10 000 tonnes de combustibles issus de la biomasse, sous forme de bois de rebut déchiquetés, qui sont brûlées chaque année pour assurer les besoins thermiques de 1 800 équivalents logements raccordés à ce réseau. Cela représente, comme le dit couramment notre collègue, un petit pétrolier, et qui ne pollue pas trop.

Ce réseau de chaleur présente un bilan extrêmement positif à tous points de vue.

Sur le plan environnemental, ce système permet d'éviter le rejet de près de 9 000 tonnes de CO2 dans l'atmosphère, ce qui n'est pas négligeable.

Sur le plan social, il a permis la création nette directe d'une dizaine d'emplois. Il faut y ajouter les emplois induits - hôtellerie, restauration, thermes, casino -, dont le nombre s'élève aujourd'hui à près de 165. (

Sur le plan financier, l'opération s'est révélée réussie et le remboursement du réseau de chaleur est quasiment achevé. Quant aux activités touristiques induites, elles assurent le tiers des recettes de fonctionnement de la commune. La rentabilité pourrait d'ailleurs être encore améliorée à l'avenir par le développement de cultures énergétiques : pins, eucalyptus, saules, etc.

Ces réalisations remarquables sont socialement, économiquement et écologiquement très intéressantes et reproductibles.

Nous nous sommes ensuite rendus en Suède, où j'ai découvert l'impressionnant système mis en place par la ville d'Enköping.

Dans cette municipalité de 20 000 habitants, située à 70 kilomètres au nord-ouest de Stockholm, une centrale à biomasse chauffe 95 % de la population et couvre 60 % des besoins de la ville en électricité via un procédé de cogénération. L'industrie forestière locale fournit 80 % du combustible nécessaire, sous forme de copeaux, écorces et sciures de bois. Les 20 % restant proviennent de cultures énergétiques fournies par des saules à rotation rapide. Il faut noter que la chaufferie d'Enköping n'utilise aucune énergie fossile, même en appoint.

Au final, compte tenu de la « fiscalité carbone » appliquée en Suède, l'utilisation des ressources locales a permis de diviser par trois la facture de chauffage pour les habitants et de créer emplois et activités d'importance.

Enköping n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres de valorisation intelligente des ressources locales, et il est remarquable de noter que la Suède entend couvrir 100 % de ses besoins en chaleur par des énergies renouvelables d'ici à 2020.

À l'instar de la Suède, la France n'a pas de pétrole, mais elle a des collectivités territoriales !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Juilhard

Compte tenu de la place de l'électricité et de l'importance du nucléaire dans sa production, les collectivités territoriales doivent prioritairement agir dans le domaine de la chaleur.

La chaleur représente le premier besoin énergétique en France, loin devant l'électricité spécifique, c'est-à-dire celle qui ne peut être remplacée par aucune autre énergie. Or la chaleur est aujourd'hui couverte à 80 % par des énergies fossiles qui affaiblissent notre pays sur les plans économique et géopolitique et qui contribuent puissamment au dérèglement climatique. Il faut donc se garder de tout « électrocentrisme ».

Les collectivités peuvent s'appuyer sur des ressources territoriales considérables, formant un bouquet énergétique riche et varié.

Deux exemples m'ont particulièrement frappé.

En premier lieu, la biomasse représente en France un gisement considérable de chaleur d'origine renouvelable. La forêt française regorge de potentialités. Avec 15 millions d'hectares, elle occupe actuellement 27 % du territoire national. Sa superficie a doublé depuis deux siècles. Loin d'être menacée de disparition comme on l'entend parfois, la forêt française est même en croissance continue : la surface de la forêt augmente dans notre pays de 30 000 à 82 000 hectares par an. Selon les estimations actuelles, le tiers de l'accroissement annuel de la biomasse forestière n'est pas valorisé.

Le potentiel énergétique de l'agriculture est, lui aussi, considérable : les déchets d'élevage et les sous-produits agricoles - pailles de céréales, tiges de maïs, sarments de vigne, etc. - sont abondants, et des cultures énergétiques dédiées sont en train de faire leur apparition, à Jonzac et ailleurs.

Ainsi, les agriculteurs et forestiers d'aujourd'hui pourraient devenir demain de véritables producteurs d'énergie.

En second lieu, la géothermie, « trésor énergétique sous nos pieds », est l'énergie produite par la chaleur interne de la terre. Les potentialités de cette source d'énergie sont considérables, notamment en Île-de-France, en Aquitaine, et même en Auvergne, en Limagne notamment. Or la technologie est aujourd'hui parfaitement maîtrisée, le risque géologique connu et la rentabilité économique garantie.

Cet état des lieux que nous avons établi nous a conduits à formuler de nombreuses recommandations. J'en citerai trois qui me paraissent particulièrement importantes.

La première recommandation concerne la fiscalité énergétique.

Pour favoriser le recours aux énergies renouvelables thermiques, et en particulier la chaleur collective, il convient de mettre en place dès à présent un cadre fiscal incitatif.

Il faut en effet rappeler que l'« éco-électricité », la chaleur renouvelable individuelle, les biocarburants et les économies d'énergie disposent déjà, quant à eux, d'outils financiers avantageux.

En revanche, la chaleur collective n'a longtemps bénéficié d'aucun régime incitatif. C'est pourquoi, avec mon collègue Claude Belot, nous avons soutenu, lors des débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, un amendement tendant à introduire une TVA à taux réduit, que M. Belot vient d'évoquer avec le brio qui le caractérise.

De même, il faut se réjouir de l'adoption au Sénat, le 27 novembre dernier, lors de l'examen du budget, de l'amendement visant à ce que le Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er septembre 2007, un rapport sur la création d'un fonds de développement de la chaleur renouvelable.

Il me paraît souhaitable, madame le ministre, que ce fonds soit alimenté par un prélèvement sur les recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, par une contribution aux charges de service public du gaz ainsi que par les ressources provenant de la taxe charbon que le Premier ministre a annoncé vouloir mettre en place.

Deuxième grande recommandation : donner à l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, un rôle de coordination et de fédération.

Les pouvoirs publics ont eu tendance, ces dernières années, à multiplier les structures administratives compétentes à des degrés divers dans le domaine des énergies renouvelables. Je ne les citerai pas, mais il en existe une dizaine.

Ne pensez-vous pas, madame le ministre, que notre administration aurait besoin, au contraire, d'une structure fédératrice, forte et transversale ? Il conviendrait, dans une perspective de simplification, de rationalisation et d'efficacité, de conférer à l'ADEME un rôle de coordination et de fédération de toutes ces structures.

Pour notre part, nous suggérons de renforcer les moyens humains et financiers des délégations régionales de l'ADEME, qui relaient si efficacement l'action nationale et qui n'ont pas d'équivalent en Europe.

La troisième recommandation importante est de former les professionnels.

Les diverses auditions ont permis de constater que le secteur des énergies renouvelables et des économies d'énergie manquait actuellement de professionnels qualifiés. Certaines entreprises spécialisées dans les réseaux de chaleur ont même déclaré qu'elles connaissaient de réelles difficultés de recrutement. Aussi, la formation initiale et continue de toute la chaîne des professionnels qualifiés - architectes, bureaux d'étude, installateurs-réparateurs, gestionnaires de service énergétique - constitue aujourd'hui un véritable enjeu pour notre pays.

Certes, Claude Belot et moi-même nous félicitons de la nouvelle obligation d'établir un diagnostic énergétique des logements lors de leur vente ou de leur mise en location. L'un des grands avantages de ce mécanisme est d'inciter les sociétés de service énergétique à développer une forte compétence en matière de sobriété énergétique et d'énergies renouvelables.

Toutefois, ces premières avancées doivent être encouragées et amplifiées, et nous estimons indispensable d'améliorer la formation initiale des futurs professionnels de l'énergie.

Le premier effort de l'État devrait porter sur les écoles d'architecture. Curieusement, mes chers collègues, celles-ci sont sous la tutelle, non plus du ministère du logement, mais du ministère de la culture. Elles se sont orientées vers une formation patrimoniale, et non énergétique. Or les deux dimensions doivent être mariées, comme l'a justement rappelé au cours de son audition M. Alain Liébard, président de l'Observatoire des énergies renouvelables, et par ailleurs professeur d'architecture à l'école de Paris-La-Villette. Nous souhaitons que les écoles d'architectes soient désormais placées sous la double tutelle des ministères du logement et de la culture, et que l'enseignement soit fortement orienté vers l'« éco-habitat ». De même, les architectes des bâtiments de France doivent suivre une formation tant énergétique que patrimoniale.

Enfin, et j'en terminerai par là, la formation initiale doit être relayée par des actions fortes de formation continue. Nombreux sont les organismes qui oeuvrent dans le domaine des énergies nouvelles et qui sont en mesure d'assurer de telles formations. Citons les agences locales de l'énergie - telles que l'ADUHME, l'Association pour un développement urbain harmonieux par la maîtrise de l'énergie, sur le bois-énergie en Auvergne, que connaît bien Mme la présidente -, les délégations régionales de l'ADEME, les associations - parmi lesquelles le Comité de liaison des énergies renouvelables -, voire des structures ad hoc comme Biomasse Normandie.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques-unes des pistes évoquées par notre rapport pour tendre vers un objectif ambitieux mais réaliste : couvrir 80 % de nos besoins thermiques à partir d'énergies renouvelables d'ici une génération, et 100 % d'ici deux générations. Tout cela est possible, et nous comptons sur les engagements et sur un investissement fort des collectivités locales.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

La parole est à M. Pierre Laffitte, auteur de la question orale avec débat relative à la transition énergétique et au plan climat.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laffitte

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la conférence des présidents ait décidé d'inscrire cette question orale avec débat relative à la transition énergétique et au plan climat à l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, et je voudrais l'en remercier.

Mon intervention portera essentiellement sur le rapport que Claude Saunier et moi-même avons rédigé pour le compte de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il est paru au mois de juin dernier, à la suite d'un colloque organisé au Sénat qui a eu un immense succès et auquel de nombreuses personnalités des secteurs industriel et scientifique, ainsi que du monde régional, étaient présentes.

Ce rapport, qui est intitulé : « Les apports de la science et de la technologie au développement durable - Changement climatique et transition énergique : dépasser la crise », comporte un sous-titre : « alerte rouge ». Pourquoi ? Tout simplement parce que nous considérons que notre planète se trouve dans une situation extraordinairement dangereuse et va à la catastrophe.

Certes, ce propos n'apparaît pas original aujourd'hui. Ni au sein du Parlement puisque d'autres rapports ont vu le jour entre-temps, notamment celui de nos collègues de l'Assemblée nationale, ainsi que l'excellent rapport qui vient de nous être présenté par MM. Belot et Juilhard, sur le problème particulier des collectivités locales. Ni dans l'opinion publique car la presse ou même les films en parlent désormais, et c'est heureux. Mais sans proposer d'actions précises.

Dans notre rapport, nous évoquons les collectivités locales, acteurs privilégiés dans ce domaine, car la mobilisation générale de toutes les compétences et toutes les volontés est nécessaire pour permettre à notre pays de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, comme le souligne le rapport qui vient d'être publié sous l'égide de votre ministère, et du ministère de l'économie et des finances et de l'industrie, intitulé : « Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France à l'horizon 2050 ». Le plan Climat français est exemplaire. Il faut que les décisions d'application suivent.

Ce rapport explicite le fait que l'on peut diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Telle est également notre conclusion : cet objectif est possible. Il devrait à notre avis être atteint avant 2050 pour servir d'exemple et entraîner par là même l'Europe puis la planète.

Nous avons parcouru le monde, auditionné pendant plus de mille heures des centaines de personnes, visité une centaine d'organismes spécialisés, les meilleurs centres de recherche mondiaux, en Chine, au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis. Tous nous disent : il est urgent de réagir. Il faut une volonté politique.

Pour l'essentiel, nous savons déjà ce qu'il faudrait faire. Il est bien entendu nécessaire de renforcer encore les compétences scientifiques pour savoir de façon plus précise dans quelles conditions ce changement de climat va se présenter.

Le problème ayant une dimension planétaire, il faut, notamment pour étudier l'évolution climatique et ses conséquences hydrologiques qui correspondent à des points particuliers, des moyens de calcul cent fois plus puissants qu'actuellement. C'est techniquement possible. C'est une question de volonté politique.

Aux États-Unis, cette volonté politique se développe fortement non pas à l'échelon fédéral, mais dans un certain nombre d'États et dans soixante grandes villes, telles New York et Los Angeles. À nos yeux, ce changement politique est largement dû au fait que la population a suivi l'avis de scientifiques et d'industriels, plutôt que celui du gouvernement fédéral.

Nous estimons que la même chose doit se produire en Europe. J'ai piloté une opération franco-allemande en matière de politique énergétique. À cette occasion, j'ai appris que, pour la première fois, un ministre allemand en exercice avait osé évoquer la remise en question du contrat passé entre le gouvernement allemand et les industriels, visant à sortir du nucléaire, alors que 26 % de la production allemande d'électricité est aujourd'hui d'origine nucléaire et que les Verts allemands voudraient éliminer complètement le nucléaire.

Cette politique anti-nucléaire est une véritable hérésie : L'Allemagne, signataire du protocole de Kyoto, est désormais obligé de multiplier les centrales au charbon, voire au lignite, qui ont des effets considérables sur l'évolution du climat. Elles ont également contribué au récentblack-out.

Pourquoi ce black-out ? Il a été dû en partie au fait que certains développements énergétiques locaux, notamment les éoliennes, ont conduit à des problèmes complexes en matière de gestion des transports d'électricité.

Quantité d'éléments scientifiques peuvent nous guider pour piloter de façon énergique la totalité des actions nécessaires.

Notre rapport, que vous connaissez, madame la ministre, développe le contenu de ces actions et tire vingt-sept conclusions, un peu plus précises que celles figurant dans le rapport qui vient de nous être présenté.

En effet, notre analyse de la situation nous a conduits à évoquer des points qui n'apparaissent malheureusement pas dans le rapport sur le plan Climat, en particulier celui qui concerne le coût des dégâts liés au climat.

Ce coût est encore mal connu. Selon notre rapport, il sera de l'ordre de 6 % du produit intérieur brut mondial d'ici à une quinzaine d'années. Depuis nos travaux, le rapport Stern, dont la presse s'est fait largement l'écho, a cité des chiffres comparables, fondés sur des analyses qui ne sont ni plus précises ni meilleures ni moins discutables que les nôtres.

Il s'agit là d'un ordre de grandeur, mais il est inquiétant : 6 % du PIB, cela signifie que l'Europe et les États-Unis vont entrer dans une récession. Il en va de même pour des pays comme la Chine et l'Inde. Et pourtant, je pense que des travaux énormes devront être engagés, en particulier à titre de prévention contre des événements prévisibles dont la répétition sera d'autant plus dangereuse que les mesures seraient plus tardives.

Je prends l'exemple de l'eau : grâce à vous, madame la ministre, nous avons introduit, dans le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, la notion de changement de climat. Les organismes de gestion de l'eau, notamment les agences de l'eau, devront tenir compte des périodes de sécheresse de plus en plus longues, alternant avec des pluies diluviennes, donc la survenue des crues.

On sait qu'il est possible d'augmenter les ressources en eau en développant des barrages collinaires là où c'est possible, prévoir des bassins d'étalement des crues et, surtout, conduire une politique d'aménagement du territoire qui soit cohérente avec le phénomène des crues.

Il m'apparaît en effet inadmissible de reconstruire les villes sur le même emplacement si elles sont inondées chaque année, notamment dans les régions méditerranéennes, les Gardons ou telle partie du Var. Les plans locaux d'urbanisme, les PLU, doivent en tenir compte.

Par ailleurs, il est essentiel que ces plans locaux d'urbanisme tiennent compte également du changement de climat, ainsi que de la transition énergétique, c'est-à-dire de la nécessité de remplacer bon nombre de déplacements en voitures par des transports en commun.

À l'évidence, ce sont encore les collectivités locales qui seront au premier plan, puisqu'elles devront veiller à substituer au mitage du territoire la densification d'un certain nombre de lieux afin d'assurer la rentabilité des transports en commun.

L'industrie doit également se préparer à des changements, tout comme l'agriculture qui doit utiliser des produits moins dépendants de la pluie et de l'irrigation - ce qui est parfaitement possible -, ou encore les transports.

Nous devons tous nous préparer à ces changements draconiens, sous peine d'aller dans le mur.

Les moyens que je viens de décrire, comme ceux qui ont été évoqués tout à l'heure par M. Belot, nous permettront de nous y préparer, mais ils peuvent être étendus.

Je pense aux énergies solaires thermiques et photovoltaïques, à nombre d'énergies susceptibles de remplacer les combustibles fossiles qui vont de toute façon disparaître dans deux ou trois générations.

Avons-nous le droit de consommer tout le pétrole, tout le gaz que la terre a mis des millions d'années à faire, qui sont des matières premières et non pas des combustibles ? Brûler du gaz ou du pétrole, c'est une hérésie ! Ces matières premières représentent beaucoup plus que leur valeur énergétique.

En revanche, le soleil, le vent, la mer, les vagues en offrent des quantités ! Il y a aussi ce que l'on appelle les « négawatts », c'est-à-dire des économies d'énergie qui sont considérables, lesquelles représentent plus de 20 %.

D'où la nécessité d'une planification, et ce sera le dernier point que j'évoquerai.

Il faut un grand programme sur une quinzaine d'années, s'inscrivant dans l'esprit du plan Climat, pour que la France soit porteuse d'un projet pour l'humanité.

Comme nous l'étions dans les années grandioses du siècle des Lumières, soyons exemplaires pour l'Europe, pour son avenir, afin de lui donner la possibilité de se libérer de la menace du chantage énergétique exercé par certains pays que nous connaissons bien, mais aussi de créer des richesses et de nombreux emplois.

Cela passe par un effort de formation systématique à tous les niveaux, dans tous les domaines, qu'il s'agisse du bâtiment, de la gestion, de l'aménagement du territoire, ou encore du télétravail permettant de réduire les trajets quotidiens.

Nous pouvons devenir les meilleurs ; ne nous privons pas de cette possibilité de développement de potentialités exceptionnelles !

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Évelyne Didier.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons deux défis à relever qui sont liés : le défi énergétique et le défi que je qualifierai de climatique.

À écouter les orateurs qui viennent de s'exprimer, au fond, les solutions sont là et tout va bien. J'ai bien peur de développer des idées qui n'iront pas dans le sens de cet optimisme.

La nécessité de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et les conséquences dramatiques que pourrait avoir le réchauffement climatique est un diagnostic globalement partagé. Les divers rapports parlementaires, particulièrement ceux qui émanent de nos éminents collègues, les rapports des scientifiques, voire des économistes, tous s'accordent pour conclure que l'amplification de l'effet de serre, liée aux activités humaines, va bouleverser les économies et provoquer des répercussions graves sur les populations.

L'un des derniers rapports en date, le rapport Stern, est des plus alarmants. Il estime entre 5 % et 20 % du PIB mondial, soit à plusieurs milliers de milliards d'euros, le coût potentiel d'un changement climatique majeur qui pourrait survenir dans les prochaines décennies.

Les conséquences économiques seraient désastreuses. Les conséquences sociales et politiques à l'échelon mondial pèseraient très lourd dans l'addition : déplacement massif d'individus, instabilités politiques, guerres liées aux ressources naturelles devenues rares, etc.

Rappelons que l'Observatoire national des effets du réchauffement climatique, l'ONERC, est né d'une proposition de loi déposée par notre ancien collègue réunionnais Paul Vergès et adoptée à l'unanimité par le Parlement français. Sa création montre que, déjà à l'époque, le sujet était devenu incontournable : on ne peut pas écarter cette préoccupation du débat politique.

Les parlementaires dans leur ensemble, ou presque, s'accordent pour constater qu'il est urgent de prendre des mesures nationales et internationales dans ce domaine, même si, il faut bien le reconnaître, dans chaque groupe parlementaire se trouvent toujours des personnes sceptiques qui affirment que l'on exagère et que l'on trouvera une solution... le moment venu !

Pourtant, nos concitoyens, eux, ne se trompent pas et placent cette question au deuxième rang de leurs préoccupations.

Bien sûr, des changements climatiques ont déjà eu lieu par le passé ; mais on assiste aujourd'hui à une accélération inquiétante du phénomène, et la brutalité du changement est particulièrement préoccupante : la perspective d'un réchauffement massif et rapide de la Terre évoquée dans le rapport n'est malheureusement pas une hypothèse d'école. C'est pourquoi nous devons agir, et vite.

De notre point de vue, seule une action d'envergure internationale serait efficace pour éviter cette catastrophe annoncée.

À l'heure actuelle, quels sont les outils à notre disposition ? Évidemment, on pense d'abord au protocole de Kyoto, qui entérine une logique que nous avions en son temps condamnée puisqu'elle consiste à laisser faire le marché. Cependant, ce traité n'en a pas moins le mérite d'exister ; il faut donc l'exploiter au maximum de ses possibilités.

Du sommet de La Haye, en mars 1989, au sommet de Kyoto, en décembre 1997, en passant par le sommet fondateur de Rio de Janeiro, en juin 1992, la France a figuré parmi les premiers pays à militer pour des engagements fermes de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Elle doit continuer de montrer la voie et faire agir la communauté, qui doit peser plus fortement à l'échelon mondial.

Malheureusement, la dernière conférence sur l'environnement, celle de Nairobi, ne laisse pas beaucoup de place à l'optimisme. Le protocole de Kyoto devrait être révisé d'ici à 2008 afin d'élargir l'accord de réduction des gaz à effet de serre à des pays comme l'Inde et la Chine. Rappelons que, même si certaines villes ou États ont déjà pris des positions contraires, les États-Unis ont refusé en 2005 de soumettre le traité à ratification parce que l'administration Bush considérait que cela freinerait l'activité économique du pays. Les États-Unis sont pourtant le plus gros émetteur, pour environ 23 %, de gaz à effet de serre.

La conférence de Nairobi, il faut bien l'admettre, est globalement décevante. Les pays participants ont reconnu l'importance de conclure un nouvel accord pour réduire les émissions, mais le détail des mesures effectives a été renvoyé à une date ultérieure. Il est clair qu'en cas de conflit d'intérêts - l'attitude des États-Unis que je citais le montre, et je ne vois pas de contre-exemple - l'économique l'emporte toujours sur le social et sur l'environnemental.

Quant au plan climat 2004, sans entrer dans le détail, si les mesures qu'il contient sont intéressantes - communication, éducation, crédit d'impôt, développement des biocarburants -, je ne suis pas certaine qu'il suffira pour apporter des solutions satisfaisantes.

En outre, donner à penser que promouvoir l'initiative individuelle tout en laissant faire le marché est de nature à régler la question n'est pas à mes yeux une attitude responsable. C'est d'une politique publique à l'échelle nationale, à l'échelle européenne, à l'échelle mondiale que nous avons besoin, et certainement pas d'un transfert de la responsabilité de l'État sur les particuliers ou sur les collectivités territoriales. Bien sûr, nos concitoyens doivent être sensibilisés ; bien sûr, les collectivités territoriales, nos collègues l'ont souligné, ont leur rôle à jouer. Pour autant, cela ne suffit pas.

De la même façon, si les politiques dites de développement durable au sein des entreprises, qui ont été elles aussi sensibilisées, permettent de faire évoluer les mentalités, elles restent prisonnières de la logique de marché : tant que l'on n'intègre pas le coût social et environnemental dans le coût des activités économiques, on va à l'inverse d'une démarche de développement durable.

Ceux qui produisent de la richesse ne veulent pas assumer les dommages qu'ils occasionnent : il suffit de se rappeler les difficultés rencontrées par les communes pour obtenir réparation des dégâts causés par les pétroliers sur leurs côtes !

Rappelons aussi les drames du plomb : l'usine Metaleurop s'en est allée, laissant là des centaines de familles sans travail, mais aussi victimes du saturnisme. Le plomb n'empoisonne pas seulement les salariés : il se dépose en poussière sur les champs, sur les jardins, il s'écoule dans la rivière, contamine les sédiments et l'eau... Hélas, nous pourrions multiplier les exemples de ce genre !

Aujourd'hui, les industries ne sont pas toutes prêtes à accepter de prendre en compte des coûts induits par leur activité. Il faut se battre, et vous le savez bien, pour obtenir des réparations. Seules des politiques cohérentes et responsables sont à même de réduire notre important et multiforme gaspillage énergétique.

Prenons l'exemple de la politique des transports : plus d'un quart des émissions de gaz à effet de serre en France est dû aux transports ! Le secteur routier est responsable à lui seul de 84 % de ces émissions. Le rail est un mode de transport plus économe en énergie et moins polluant. Pourtant, force est de constater le sous-investissement chronique de l'État, lequel aboutira à la suppression de 60 % des lignes d'ici à 2025. Quant au fret ferroviaire français, il n'a pas été soutenu comme il aurait été nécessaire qu'il le fût.

Le Premier ministre évoque une taxe « carbone » européenne à l'importation, alors même que les instances européennes jugent insuffisants les quotas de réduction imposés aux industriels. Ainsi, le Commissaire européen à l'environnement se réjouissait que la France propose un nouveau plan de quotas de CO2 pour améliorer le plan initial. Croyez-vous que cela suffira pour aller dans le sens d'une promotion efficace du développement durable ?

Celui-ci avait été défini par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement, dans le fameux rapport Brundtland, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Mais on omet souvent de citer la fin de la définition de 1987, qui précise : « Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept du ?besoin?, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »

À l'échelle mondiale, ce sont bien sûr les pays les moins développés et les écosystèmes les plus vulnérables qui seront les premières victimes du changement climatique. Lors de la conférence de Nairobi, l'Inde a d'ailleurs renvoyé les pays du Nord à leur « responsabilité historique en matière de pollution ».

Pour répondre aux enjeux écologiques, il faut transformer la société, et ce selon deux axes : la solidarité et la prise en compte des coûts humains et environnementaux dans le coût général des activités.

C'est pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen en appellent à des politiques publiques volontaristes et ambitieuses en rupture avec la stricte logique de rentabilité.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Saunier

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord dire ma très vive satisfaction de participer à ce débat et d'avoir entendu les orateurs qui m'ont précédé aborder avec beaucoup de sérieux la question de l'énergie au travers de la problématique locale et, d'une façon générale, la problématique de l'environnement.

Je voudrais aussi, une fois n'est pas coutume, remercier très chaleureusement et très confraternellement, moi qui suis sénateur socialiste, un parlementaire de la majorité, Pierre Laffitte, qui a eu l'heureuse initiative de provoquer ce débat par sa question orale. Cela entre dans une sorte de stratégie commune que nous avons mise au point ensemble, voilà maintenant quelques mois - car nous sommes complices. Nous avons en effet considéré que l'environnement est aujourd'hui l'une des clefs centrales pour ce qui est de l'avenir de l'humanité.

Nous avons constaté que l'opinion publique, en particulier la « classe politique », comme on l'appelle, ignorait l'ampleur des risques et des enjeux. Nous avons donc voulu, au travers d'un rapport commun sur le développement durable, poser un certain nombre de constats avec force, avec détermination, et oser quelques propositions que Pierre Laffitte a bien voulu évoquer.

Notre intuition me semble en effet plus que jamais justifiée, et deux études d'opinion l'ont confirmé ces deux derniers jours : l'environnement, cela a été indiqué, apparaît nettement comme étant placé au deuxième rang des préoccupations de nos concitoyens, après la première, légitime, qui est celle de l'emploi.

En retour, et cela doit nous pousser à nous interroger, nos concitoyens créditent les « grands partis de gouvernement », comme on les appelle, d'un zéro pointé, ainsi que l'a souligné un grand quotidien du soir, dans leur capacité à répondre à cette préoccupation. C'est là une question qui ne peut laisser aucun de nous indifférent.

Certes, les lignes commencent à bouger. Le débat que la conférence des présidents a bien voulu organiser est bienvenu. Mais il est encore très insuffisant, car il ne répond ni aux attentes de nos concitoyens ni aux enjeux planétaires. Avec Pierre Laffitte, j'ai écouté beaucoup de scientifiques, recueilli de nombreux témoignages : le mot qui me vient spontanément à l'esprit, alors que je n'avais pas cette sensibilité, cette préoccupation particulière quant à l'avenir de la planète, est le mot « terrifiant ».

Les faits sont têtus, et les chiffres sont véritablement terribles. Vous me pardonnerez, madame la ministre, mes chers collègues, d'évoquer des choses que tout le monde a maintenant en tête, mais nous sommes là dans une réunion officielle, et il faut qu'elles soient actées.

Le réchauffement de la planète d'ici à la fin de ce siècle est estimé, pour les quelques décennies qui viennent, à au moins trois degrés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, qui va rendre dans quelques semaines ses nouvelles conclusions, définitives cette fois, et qui va probablement réviser à la hausse ses prévisions antérieures.

Vous me direz que trois degrés, ce n'est pas grand-chose. Ayant enseigné l'histoire et la géographie pendant quelques années, j'ai appris à mes jeunes élèves que la température moyenne de la Terre, entre la dernière glaciation et aujourd'hui, s'était élevée de cinq degrés. Concrètement, trois degrés de plus, cela signifie qu'une autre planète est en train de naître sous nos yeux.

Nous sommes par ailleurs en train de travailler actuellement sur la question de la biodiversité : selon les spécialistes, elle s'effondre à un rythme qui est de 100 à 1 000 fois supérieur au rythme normal des extinctions d'espèces. On assiste aujourd'hui à une véritable rupture de la chaîne de la vie, comparable aux grandes ruptures biogéologiques, mais plus rapide, et donc plus brutale.

Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas là d'annonces spectaculaires de journalistes en mal de titres, en mal de copie : il s'agit du témoignage croisé, convergent de tout ce que notre planète compte d'autorités scientifiques. La communauté scientifique internationale, en effet, s'accorde sur ce diagnostic, et je reprends le mot, terrifiant.

De même, les origines de cette atteinte à l'intégrité de notre planète sont maintenant clairement établies : c'est l'humanité elle-même qui est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. Ce qui est en cause, c'est notre mode de production, c'est l'aveuglement qui nous conduit à bâtir notre opulence d'aujourd'hui sur l'épuisement des ressources de la planète, c'est l'utilisation inconsidérée, en deux ou trois siècles, des réserves d'énergies fossiles qui ont mis des centaines de millions d'années à se constituer. Tout cela est connu et, si je le rappelle, ce n'est que pour jalonner la progression de notre réflexion.

Il ne peut y avoir, à l'égard de l'opinion publique, à l'égard de nos concitoyens, aucune ambiguïté sur ce qui nous attend : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Oui, nous avons été prévenus ; oui, nous avons été alertés ; oui, cela va plus vite, beaucoup plus vite que ce que l'on nous annonçait voilà seulement une dizaine d'années, qu'il s'agisse du réchauffement du climat, de l'épuisement des énergies fossiles, de l'effondrement des ressources de la mer... Chaque semaine apporte des études qui vont dans le même sens.

Comme l'a souligné à juste titre Pierre Laffitte, cela a un coût.

La première vertu de l'approche monétariste est la pédagogie. Pierre Laffitte et moi-même, nous sommes donc demandé comment nous allions faire passer ce message du coût de la dégradation des grands équilibres planétaires.

Nous avions fait une première estimation qui s'appuyait sur l'étude de compagnies d'assurance allemandes, aboutissant en effet au chiffre d'environ 5 000 milliards d'euros qui a été avancé, consolidé avec éclat par le rapport Stern, soit 5 500 milliards de dollars par an.

Ce montant ne veut pas dire grand-chose, cela représente entre 5 % et 20 % du PIB mondial, mais le rapport Stern est plus précis et plus pédagogique : il évoque l'équivalent du coût pour l'économie mondiale du krach boursier de 1929, ou du coût des Première et Seconde Guerres mondiale.

Ce sont véritablement des chocs terribles qui attendent l'humanité, et il va falloir payer rapidement, beaucoup plus rapidement qu'on ne l'imaginait voilà encore peu de temps.

Déjà, on nous annonce - il y a convergence des experts sur ce point - le début de la réduction de l'exploitation des hydrocarbures, le peak oil - que l'on envisageait assez loin encore -, aux alentours de 2035, 2040, 2045 ; c'est très proche car 2040, 2050, techniquement et économiquement, c'est demain.

La revue Nature vient de publier un rapport selon lequel la fin de l'exploitation des ressources halieutiques est envisagée pour 2050. Je rappelle qu'elles fournissent l'essentiel de leurs protéines alimentaires à des milliards d'hommes et de femmes.

En un mot, le temps s'accélère, joue contre nous et nous avons donc très peu de temps pour réagir.

Face à cette réalité, que faisons-nous ?

Bien sûr, les bonnes intentions s'enchaînent, s'accumulent : les conférences, les déclarations. Nous avons tous entendu - je le dis sans aucune arrière-pensée maligne - la superbe déclaration du Président Chirac à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. ».

Il est important qu'un homme politique comme le président de la République affiche cette préoccupation sur une scène internationale, et cela nous vaut un regard positif et reconnaissant de la part de la communauté internationale.

Des mesures symboliques ont été prises, mais, je le dis avec regret, madame la ministre, s'il y a les grandes intentions, les grandes déclarations, les actes symboliques et sympathiques, comme la taxe sur le kérosène qui va dans le bon sens, il y a aussi un certain nombre de faiblesses dans l'action gouvernementale, vous ne pouvez l'ignorer. Je pense, et la presse en a parlé, à la condamnation pour le retard pris dans la production des dossiers Natura 2000.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Saunier

Le débat est ouvert, madame, et si mes informations sont erronées, je suis prêt à le reconnaître.

Je pense également à la condamnation pour le retard pris dans la mise en oeuvre du dispositif de publication des cultures d'OGM, avec une amende de 34 millions d'euros, plus des astreintes journalières qui vont coûter cher. Et puis, il y a les difficultés pour appliquer les quotas de CO2 au regard du protocole de Kyoto.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Saunier

Bref, il y a dans l'action gouvernementale un certain nombre d'incertitudes. Mais je voudrais éviter de polluer notre débat par des considérations qui, si elles méritent d'être posées, me semblent subalternes par rapport aux enjeux.

Globalement, au niveau de la planète, à l'évidence, l'action de l'ensemble des gouvernements fait que le compte n'y est pas. L'humanité continue à polluer, à épuiser, à altérer. Notre planète est irrémédiablement dégradée, cette planète que nous avons la responsabilité de laisser à nos enfants et à nos petits-enfants.

Il est indispensable de passer aux actes, qu'il s'agisse de l'action locale, concrète, où les collectivités territoriales jouent un rôle irremplaçable, qu'il s'agisse d'une vision beaucoup plus générale, et je rejoins les propos de notre collègue Évelyne Didier, dans cette préoccupation d'avoir une stratégie beaucoup plus globale.

Permettez-moi d'évoquer deux ou trois pistes de réflexion qui peuvent servir de guide à notre action.

Nous avons la responsabilité de poser le problème là où il se situe, c'est-à-dire au niveau mondial, car la réponse ne peut qu'être mondiale. Il appartient à la France et il nous appartient aux uns et aux autres - je rejoins sur ce point Pierre Laffitte qui souhaite que la voix de la France s'exprime avec force sur la scène internationale - de poser la question de l'intégration, dans les règles du commerce international, de la dimension environnementale.

Il n'est plus possible d'accepter de consommer des produits délibérément bon marché qui provoquent du chômage chez nous et de la pollution ailleurs. Il s'agit d'une contradiction majeure, et je pense d'ailleurs qu'il y a là des éléments de convergence qui doivent nous rassembler.

Il faudra également revoir radicalement les modalités d'application du protocole de Kyoto. C'était une première étape, une première démarche qui allait dans le bon sens, la prise de conscience de la nécessité de mobiliser la planète sur cette question était indispensable.

Toutefois, je ne suis pas convaincu que le marché seul soit de nature à répondre à la problématique des grands équilibres planétaires - je suis même convaincu du contraire - et j'observe que dans la communauté internationale on parle de plus en plus de fiscalité mondiale et d'une taxe « carbone » au niveau mondial. C'est une réflexion qu'il faudra engager et il s'agit, à mon avis, d'une piste féconde.

Poser le problème à l'échelon mondial, cela veut dire, bien sûr, s'appuyer sur les outils qui nous permettent d'être réellement entendus au niveau mondial et l'outil majeur, c'est évidemment l'Europe, qui, sur notre initiative, doit jouer un rôle déterminant dans la construction de ce nouvel ordre environnemental planétaire.

Le chantier de l'énergie serait d'ailleurs excellent pour permettre à l'Europe de sortir de la crise et de l'enlisement dans lequel elle se trouve aujourd'hui. Ici même au Sénat, voilà une quinzaine de jours, Jacques Delors réunissant un certain nombre de responsables européens, a proposé de lancer au niveau européen le chantier de l'environnement et de l'énergie.

Mais cela ne doit pas nous dispenser d'un engagement national déterminé.

Pierre Laffitte a évoqué la nécessaire planification. J'évoquerai, pour ma part, la volonté forte d'une politique énergétique globale, fondée sur la diversification des apports, sans faire l'impasse sur le nucléaire car il est nécessaire d'avoir une attitude responsable sur l'approvisionnement énergétique, quand on voit l'impasse dans laquelle se trouve l'Allemagne sur cette question.

Il sera également nécessaire de hiérarchiser nos efforts. Oui, à la diversification, mais oui, en priorité, à l'exploitation de cet immense gisement énergétique que constituent les économies d'énergie. Et là, il y a un effort tout à fait considérable à fournir et des perspectives très concrètes s'offrent à nous.

Par ailleurs, nous devrons réfléchir à l'adaptation des dispositifs administratifs et politiques français à ce qui devra constituer une priorité, un axe majeur du Gouvernement.

On parle beaucoup de vice-Premier ministre. Au-delà de l'anecdote, retenons qu'il s'agit, de la part d'un certain nombre de personnalités qui se préoccupent de ces questions environnementales, de marquer symboliquement la place que doit avoir l'environnement dans le dispositif politique national.

J'évoquerai aussi la nécessité de renforcer considérablement les missions, les pouvoirs et les moyens de l'ADEME et peut-être, s'agissant de l'environnement, de donner à notre pays la grande agence de sécurité environnementale dont nous avons besoin.

Mais les idées ne manquent pas. Madame la ministre, notre capacité à juger de la sincérité de l'engagement des uns et des autres dans cette période préélectorale se fera sur les moyens financiers qui seront donnés pour mener ces actions. Cela implique une vraie réflexion, qui commence à émerger, sur l'utilisation de la fiscalité comme instrument d'une politique énergétique.

En fait, il faudra envisager de revoir radicalement le dispositif fiscal en fonction de cette préoccupation environnementale et énergétique, pour réorienter à la fois notre consommation d'énergie et nos comportements collectifs et individuels. Il est nécessaire de mettre en oeuvre une fiscalité incitative à la baisse, mais il faudra aussi que nous ayons le courage politique de dire qu'il y a des pratiques, des achats, des comportements, des procédures qui doivent être pénalisés fiscalement. Jouer à la fois sur une fiscalité négative et sur une fiscalité positive et dissuasive me semble indispensable.

Je conclurai par quelques mots et un souhait.

Premièrement, à l'évidence, l'avenir de la planète est aujourd'hui clairement posé.

Deuxièmement, il y a dans notre assemblée une véritable expertise, un goût, un intérêt pour ces questions d'énergie et d'environnement. La période électorale qui s'ouvre nous offre une belle opportunité. C'est la raison pour laquelle je vous propose, madame la ministre, et je le propose également au bureau du Sénat, d'envisager l'organisation d'un grand débat parlementaire intégrant l'ensemble de ces approches - locales, générales, voire internationales -, qui pourrait se tenir au cours du premier trimestre de l'année prochaine, dans une période particulièrement sensible. Ce grand débat, qui permettrait à nos concitoyens de mieux appréhender un dossier majeur, serait apprécié et notre assemblée s'honorerait de prendre une telle initiative.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Marcel Deneux applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Gaudin

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'an dernier, à ce moment même, j'étais sur le lieu du forage EPICA, à la base scientifique Concordia, sur le dôme C, au coeur du continent des extrêmes : l'Antarctique.

Pour la première fois, une équipe de chercheurs européens a réussi, à cet endroit, l'extraction d'une carotte de glace d'une profondeur de 3 230 mètres, permettant ainsi la lecture de 850 000 ans d'histoire de l'évolution du climat.

Dans le cadre du rapport que je vais présenter dans quelques semaines devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'auditionne, depuis huit mois, s'agissant de la recherche en milieu polaire, les plus éminents spécialistes, qu'ils soient américains, russes ou européens.

J'ai rencontré au Congrès, à Washington, et à la Douma, à Moscou, des parlementaires qui sont aujourd'hui convaincus de la réalité de ces préoccupations.

J'ai été reçu à la National science foundation, la NSF, à la National aeronautics and space administration, la NASA, à l'Académie des sciences de Russie et dans les organismes de recherche des pays européens. J'ai toujours voulu privilégier, dans le cadre international des enjeux de la recherche en milieu polaire, la rencontre avec les scientifiques, les organismes et les instituts de recherche, mais aussi avec les responsables politiques, membres de gouvernements ou parlementaires.

Si les deux pôles sont les sentinelles de notre planète, ils sont également la mémoire et les marqueurs des évolutions climatiques.

Le système climatique est un système de très haute complexité. Chaque composante possède des temps caractéristiques différents : quelques jours pour l'atmosphère, quelques mois pour les eaux superficielles de l'océan, plus d'un millénaire pour l'océan profond, plusieurs dizaines de millénaires pour les calottes glaciaires.

Toutefois, des perturbations brutales, avec des constantes de temps très inférieurs à leur temps caractéristique provoquant des ruptures d'équilibre au sein du système climatique, sont responsables de modifications de l'environnement sensibles à l'échelle d'une vie humaine.

La connaissance des paléoclimats, rendue possible grâce aux échantillons d'atmosphère piégée dans les glaces, est sans doute l'élément le plus déterminant et immédiat dans la compréhension de l'équilibre fragile du système climatique.

Car dans sa modélisation, cette connaissance permet de faire la part de ce qui appartient au phénomène naturel de ce qui relève de la responsabilité directe de nos comportements.

C'est pourquoi les recherches sont nécessaires. En effet, seule l'expertise scientifique du passé, ancien ou plus récent, et la modélisation de l'incidence des gaz à effets de serre donneront une juste appréciation des risques encourus par notre planète.

Si, en adoptant un plan Climat, la France a témoigné d'une réelle volonté politique, ce plan s'est très vite révélé insuffisant. C'est pourquoi le Gouvernement a annoncé, lors d'un récent comité interministériel sur le développement durable, une modification du plan Climat, avec des mesures comme le renforcement de la fiscalité écologique.

Ce nouveau plan intègre également des projets comme la création d'une taxe spécifique sur le charbon, qui est particulièrement polluant, le relèvement de 10 % des taxes sur les pollutions industrielles et les déchets.

Enfin, il est proposé le principe d'une taxe carbone à l'échelon européen sur les importations de produits industriels en provenance des pays qui refuseraient de s'engager en faveur du protocole de Kyoto après 2012.

De nombreux pays ne contestent plus la réalité du réchauffement climatique et les études alarmistes se multiplient.

Ainsi, le rapport Stern est-il particulièrement intéressant, car son auteur, qui est non pas un scientifique, mais un économiste, mesure l'incidence du réchauffement sur l'économie mondiale.

C'est donc dès à présent qu'il faut modifier nos comportements et nous engager vers trois grands axes d'actions : taxer les émissions de CO2, généraliser les technologies à faibles émissions de carbone et améliorer les rendements énergétiques.

Malgré le coût qui en résultera pour les pays industrialisés, ce sont les industries de ces pays qui pourront y trouver de nouvelles opportunités en développant des filières novatrices, pour de nouveaux marchés.

L'effort doit être collectif, tant à l'échelon national qu'à l'échelon européen.

Si la nécessité de lutter contre les changements climatiques fait l'objet d'un consensus entre les États membres de l'Union, avec l'objectif de réduire les émissions d'au moins 15 % d'ici à 2020 et de 50 % d'ici à 2050, nous devons mieux nous entendre pour l'application de cette réduction. Une réelle mobilisation est nécessaire pour atteindre une meilleure efficacité en matière d'énergie et de transports routiers et aériens, domaines dans lesquels il reste beaucoup à faire.

Nous devons lier les stratégies de Kyoto et de Lisbonne, assurer notre sécurité énergétique, réduire le réchauffement tout en relançant la croissance, qui est particulièrement en panne dans l'Hexagone.

En effet, la compétitivité ne doit pas être oubliée, sous peine de récession grave. Les pays industriels sont au premier plan pour réduire les gaz à effet de serre, mais ils doivent convaincre les pays émergeants comme l'Inde et la Chine de limiter les énergies polluantes. Ainsi, la Chine, qui a d'énormes réserves de charbon, doit intégrer sans retard les techniques de captation et de stockage de CO2 à la source.

Nous savons que cet effort collectif doit être entrepris par tous les pays, et il le sera d'autant plus aisément que les populations seront informées sur les conséquences du réchauffement, grâce à une meilleure diffusion de toutes les données scientifiques.

C'est pourquoi les connaissances scientifiques doivent être au coeur de la société. Cela est vrai pour le climat, mais aussi pour tous les sujets qui ont suscité récemment des débats passionnés au sein même de notre hémicycle.

Vous l'aurez compris, madame la ministre, la recherche scientifique qui est conduite dans les pôles est importante pour l'expertise de l'évolution de notre planète.

Les moyens financiers nécessaires sont lourds, car la logistique qui permet à l'homme d'évoluer dans des milieux aussi hostiles est coûteuse. Cette recherche est cependant nécessaire et urgente.

La communauté des scientifiques européens des disciplines concernées commence à s'organiser et elle interpelle aujourd'hui les politiques. C'est à eux de prendre conscience de tous les enjeux et de mettre en application les mesures nécessaires, de façon coordonnée. Car demain s'il existe une organisation réunissant les nations autour de l'environnement, comme cela est souhaité, l'Europe devra y prendre toute sa place.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laffitte

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de revenir sur certaines propositions concrètes qui figurent dans notre rapport.

Les mesures que nous avons proposées nous paraissent bien évidemment fondamentales.

Premièrement, il faut intégrer le changement climatique dans les mécanismes de la mondialisation, en créant la taxe carbone mondiale pour établir une concurrence égale entre les pays et en réinsérant l'impératif climatique dans les règles de l'OMC.

Cet objectif me paraît possible. Tous les gouvernements doivent s'efforcer de l'atteindre. Il n'y a pas de raison que nous soyons les seuls à faire des efforts ; même les pays qui n'ont pas signé le protocole de Kyoto doivent en faire.

Deuxièmement, il faut créer une fiscalité spécifique pour financer la transition énergétique, notamment en rétablissant la vignette sous la forme d'une taxe carbone concernant tous les véhicules à moteur, y compris les deux roues, en instituant une taxe spécifique pour l'usage des autoroutes par les poids lourds - cette mesure devrait être plus populaire que le rétablissement de la vignette -, enfin, en augmentant de 1 % pendant dix ans la taxe intérieure sur les produits pétroliers, à l'exclusion du fioul domestique.

Troisièmement, nous devons bien entendu avoir la certitude que ces mesures permettront de conduire les opérations indispensables. Ces nouvelles ressources devront donc alimenter un fonds spécial, géré par des méthodes transversales qui sont d'ailleurs rendues possibles par la LOLF. En effet, la LOLF permet de discuter en même temps des dépenses relevant de ministères différents. Cela vaut en particulier pour la transition énergétique et pour la protection de l'environnement.

Quatrièmement, il faut mieux cerner les effets du changement climatique, donc mieux les connaître. Quelques scientifiques continuent de penser que la plus grande partie de l'augmentation de gaz carbonique dans l'atmosphère est liée non pas à des effets anthropiques, mais au rayonnement solaire. C'est notamment le cas d'un ancien ministre de la recherche, que nous connaissons tous. Il est certain que l'évolution climatique dépend aussi de l'activité du soleil. Toutefois, ce chercheur admet que cette évolution dépend également de l'augmentation de gaz carbonique, laquelle peut être liée à l'élévation de la température. En effet, selon la loi de Henry, plus la température s'élève, moins les océans consomment de gaz carbonique.

Ce n'est toutefois pas une raison pour rejeter davantage de gaz carbonique dans l'atmosphère. Les rejets de la Chine, qui, d'ores et déjà, pollue plus que l'Europe, vont probablement être multipliés par dix. Il s'agit d'un élément incontournable. Si nous n'agissons pas immédiatement, nous allons droit dans le mur.

On aurait pu nous reprocher d'adresser ces préconisations à la France qui déjà pollue moins que d'autres pays. Pour prévenir ce reproche, nous avons fait traduire les conclusions du résumé de notre rapport bien évidemment en anglais et en allemand puisque nous visons l'Europe, mais aussi en arabe, en japonais et en chinois. Il pourra être diffusé dans ces pays, soit par l'internet, ce qui a déjà commencé, soit sur un support papier.

Ces pays sont conscients de la situation. Mais lorsqu'ils verront que nous avons un programme, que nos propositions s'intègrent dans un plan Climat français, nous pourrons sans doute aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite. Nous devrions également pouvoir exporter massivement les technologies et les systèmes de formations adaptés aux changements climatiques, notamment pour les artisans. En effet, l'artisanat est important dans le secteur du bâtiment, lequel représente plus du quart de la consommation énergétique de la planète.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laffitte

Si nous faisons de même dans le domaine des transports, nous arriverons ainsi à une bonne moitié.

Reste la question de la production d'électricité et de la construction de centrales nucléaires. Il est inconcevable que le monde entier puisse atteindre très rapidement le niveau de la France en termes de production d'électricité d'origine nucléaire. Toutefois, il faudra très vite passer au stade des surgénérateurs, qui permettront de multiplier par cent les réserves d'uranium. Les surgénérateurs sont prévus pour 2040, sans doute faudrait-il qu'ils soient prêts plus tôt.

Il faudra dans le même temps généraliser les efforts en matière de captation de carbone, et en ce domaine nous avons aussi de grandes possibilités d'exportation, donc de création d'emplois

Grâce au solaire photovoltaïque et thermique, les Allemands ont créé 150 000emplois. À l'heure actuelle, ils consomment plus de deux fois moins de kilowattheures par mètre carré et par an que la France : 100, contre 250. Quant aux Suisses, ils n'en consomment que 40. Il nous reste donc beaucoup de travail à faire. C'est pourquoi nous avons besoin d'un grand programme.

Nous avons réussi, dans le passé, à lancer de grands programmes, qu'il s'agisse de la reconstruction, de l'aéronautique, du nucléaire ou du ferroviaire. Le temps est venu de réaliser un grand programme industriel couvrant l'ensemble des aspects de ce secteur.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le développement des activités humaines et leur très forte intensification contribue à des modifications ou à des atteintes à l'environnement que nous connaissons et que nous constatons depuis maintenant de trop nombreuses années.

C'est dans une gestion adaptée aux exigences d'une économie globalisée, dans le respect de la nature et des patrimoines, que la solution doit être recherchée.

Un nouvel équilibre écologique est certainement à recréer aujourd'hui. Il trouvera une voie dans la vie quotidienne, dans des comportements nouveaux, dans l'idée d'un travail sur une série de niches plutôt que dans l'invention d'une solution déclinable partout et pour tous.

Dans cette optique, je ne peux que féliciter et remercier MM. Belot et Juilhard, auteurs du rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'aménagement du territoire sur les énergies locales, et MM. Laffitte et Saunier, auteurs du rapport intitulé : « Développement durable, changement climatique, transition énergétique : dépasser la crise ». Ces deux rapports sont en effet très riches en informations.

Je vous propose d'aborder un seul maillon de ce formidable ensemble, une petite niche de cette fabuleuse chaîne, à savoir le traitement des déchets ménagers, la biomasse et les réseaux de chaleur.

Certes, proportionnellement, ce ne sont pas les déchets ménagers qui produisent le plus de gaz à effet de serre, bien qu'ils contribuent, bien entendu, à ces émissions. Des millions de mètres cubes de méthane et de gaz carbonique sont tout de même produits ! Et ce n'est pas la tentative de récupération partielle de ces gaz, qui sont ensuite brûlés en torchère, dans les centres d'enfouissement techniques, qui peut nous satisfaire, loin de là : en effet, 60 % d'entre eux s'évaporent dans l'atmosphère.

Dans ce secteur, seule la valorisation énergétique permettra d'en finir avec les émissions de gaz à effet de serre. Les déchets doivent être traités plutôt qu'enfouis. Ils doivent être considérés, si nous voulons évoluer dans ce secteur, comme une matière première. Outre l'incinération et les centres d'enfouissement techniques, une troisième famille de traitement des déchets existe en France depuis près de dix ans. Il s'agit de la biomasse, de la méthanisation par les bioréacteurs, qui permet au biogaz de servir de combustible dans le cadre de réseaux de chaleur ou de production d'électricité.

La biomasse et les bioréacteurs, qui permettent de réaliser les objectifs évoqués par les uns et les autres, correspondent à la mise en oeuvre d'une technique nouvelle en France, même si elle existe depuis maintenant près de dix ans. Cette technique existe depuis beaucoup plus longtemps dans d'autres pays et dans certaines villes. Je pense en particulier à Chicago. Intervenant après les opérations de tri et de « valorisation matière », elle implique une production de gaz en vase clos, en silos, avec réinjection des lixiviats et aspiration par le bas du méthane. Foncièrement différente de la technique de l'incinération, elle ne s'apparente pas du tout, compte tenu des aménagements considérables qu'elle suppose, à un simple stockage de déchets ménagers. Elle valorise 100 % du biogaz, soit en réseau de chaleur soit par cogénération, avec production d'électricité.

Ce système présente l'avantage de cumuler deux caractéristiques très importantes : la maîtrise complète de la production de gaz à effet de serre issus des déchets ménagers et la production d'énergie renouvelable, à partir du biogaz ainsi produit.

Il s'agit donc de promouvoir une gestion et une exploitation bien meilleures que celles qui existent actuellement. Cette évolution est fondamentale, selon nous, car la France accuse tout de même un certain retard dans ce domaine !

J'en reviens au rapport de nos collègues Belot et Juilhard, qui n'hésitent pas à rappeler que ces dispositifs méritent des soutiens fiscaux, des accompagnements, des mesures incitatives et, éventuellement, une hausse du prix de l'énergie produite par ces méthodes, afin de les rendre encore plus attractives.

Madame la ministre, nous vous demandons d'enclencher un travail de réflexion dans ce sens, qui permette de trouver une solution.

Aux freins économiques s'ajoutent des contraintes réglementaires inadaptées à cette nouvelle technique, pourtant vieille de dix ans !

Premièrement, les unités de biomasse et de méthanisation comme les bioréacteurs, dont les silos sont rouverts au terme de la fermentation, c'est-à-dire huit ans à dix ans plus tard, pour récupérer le compost et la part de déchets inertes, ne doivent pas être considérées, comme c'est le cas actuellement, comme des centres d'enfouissement techniques, lesquels restent en place pour l'éternité.

Deuxièmement, le statut juridique des collectivités territoriales doit être adapté, de manière à établir plus facilement des partenariats public-privé, pour mieux rentabiliser un certain nombre d'équipements. C'est une autre piste de réflexion que je vous propose, madame la ministre.

Troisièmement, pour éliminer les déchets ménagers, il existe aujourd'hui trois grands procédés. Soit on souhaite procéder à cette élimination en deux ou trois jours, et on a recours à l'incinération ; soit on souhaite effectuer cette tâche en trente ou quarante ans, et on a recours aux centres d'enfouissement techniques ; soit on recherche un schéma médian, afin de régler la question en huit ou dix ans, et on a recours à la biomasse et à la méthanisation.

Paradoxalement, le code des douanes, car, il faut le reconnaître, sa réforme commence à dater, ne reconnaît aujourd'hui que deux techniques : l'incinération et l'enfouissement. Il serait certainement opportun, madame la ministre, d'y apporter les adaptations nécessaires !

En effet, deux techniques permettent de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, en favorisant la production d'énergies renouvelables : il s'agit de l'incinération et de la méthanisation de la biomasse.

Depuis vingt-trois ans, grâce à ce dernier procédé, Chicago alimente en électricité le cinquième de la ville, ce qui est tout de même remarquable.

Je partage l'opinion exprimée par mon collègue Claude Belot, qui précisait qu'il n'existe pas d'obstacle majeur concernant les énergies renouvelables. L'essentiel étant encadré, nous traitons désormais de points de détail, qui nécessitent bien évidemment des améliorations. C'est tout le sens de mon intervention.

Aujourd'hui, seuls les incinérateurs produisant de l'énergie renouvelable bénéficient d'une mesure fiscale incitative, à savoir une exonération de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, pour les déchets entrants.

Outre l'incinération et l'enfouissement, il serait opportun de prévoir une nouvelle catégorie dans le code des douanes, à savoir la biomasse et la méthanisation avec le principe du bioréacteur. En effet, après le tri et la valorisation matière, le bioréacteur permet de récupérer, par aspiration en vase clos, la totalité du biogaz produit. Ce dernier est totalement valorisé par un réseau de chaleur ou par cogénération.

Madame la ministre, je vous demande de reconnaître cette modernité. Ainsi, ces techniques, qui sont de notre temps, seraient attractives, au même titre que l'incinération pour produire de l'énergie.

Sur ce sujet, la commission des affaires économiques, par l'intermédiaire de M. Jean Bizet, rapporteur pour avis sur la mission « Écologie et développement durable », a déposé, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, un amendement qu'elle avait adopté à l'unanimité. La commission des finances a soutenu cet amendement, et le Gouvernement, par la voix de M. Copé, a demandé quelques jours de réflexion pour mieux appréhender cette proposition, suggérant de l'examiner lundi prochain, dans le cadre de la discussion du collectif budgétaire.

Madame la ministre, le calendrier parlementaire, qui nous permet d'évoquer aujourd'hui ce sujet, est bien fait ! Je vous demande, au nom de tous mes collègues, de rapprocher vos services de ceux de M. Copé, afin de lui faire entendre l'urgence à reconnaître, au même titre que l'incinération, la technique de la biomasse et de la méthanisation à partir des déchets ménagers, qui produit de l'énergie renouvelable, permettant ainsi de lutter contre l'effet de serre.

Une telle exonération de la TGAP à partir du 1er janvier 2007 concerne, en France, cinq unités. Son coût serait inférieur à deux millions d'euros. Cette mesure représente donc peu de choses pour le budget de la nation.

Cependant, si la masse financière n'est pas des plus importantes, une telle mesure permettrait, madame le ministre, de franchir un pas supplémentaire en faveur des énergies renouvelables. Vous-même pourriez ainsi conclure avec bonheur la mission qui vous a été confiée à la tête du ministère dont vous avez la charge, par une mesure concrète, en plaçant la France dans la modernité et la durée. Nous vous en remercions par avance.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Jacques Blanc applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel Deneux

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous connaissez mon engagement de longue date en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et du développement des énergies renouvelables. Voilà quatre ans, j'avais publié un rapport intitulé L'ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact possible sur la géographie de la France à l'horizon 2005, 2050 et 2010. Je m'étais alors rendu au sommet de Johannesburg. J'avoue que j'y avais remporté un succès d'estime, qui n'avait cependant rien de commun avec ce qui se passe actuellement dans l'opinion publique française.

La question du changement climatique est désormais une question d'actualité récurrente. Parmi les derniers événements en date, je citerai la Journée internationale d'actions contre le changement climatique du 4 novembre, qui est passée presque totalement inaperçue, et la récente conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s'est tenu à Nairobi, sans oublier la multiplication de films documentaires, de fictions, d'articles de presse et de rapports de toutes natures. Tous s'alarment des conséquences désastreuses de l'effet de serre sur notre planète : sécheresses de plus en plus terribles, cyclones chaque fois plus violents, inondations de plus en plus fréquentes, hausse des températures, etc. Cet ensemble de catastrophes, de plus, s'abat sur des populations déjà extrêmement vulnérables.

À l'heure où le très pertinent rapport Stern révèle que le coût économique du réchauffement de la planète pourrait s'élever à plus de 5 500 milliards d'euros si les gouvernements ne prennent aucune mesure significative pour contrôler les émissions de gaz, il est plus que jamais nécessaire, madame la ministre, de mettre rapidement en oeuvre une politique ambitieuse. C'est d'autant plus important que l'investissement financier dans la lutte contre le réchauffement climatique ne pénaliserait pas l'essor économique des pays industriels. Au contraire, cette démarche politique et volontariste serait créatrice de richesses. Ce rapport insiste ainsi sur l'importance d'investir dans la recherche et le développement, ainsi que dans les nouvelles technologies moins polluantes. Il souligne enfin la nécessité d'apporter une réponse politique et volontariste au changement climatique.

Tels sont donc les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Où en sommes-nous exactement pour le moment ?

Tout d'abord, la France et l'Europe ont récemment mis en place plusieurs instruments pour lutter contre le réchauffement climatique. Je pense notamment au plan climat et au plan national d'allocation des quotas d'émission de CO2.

Madame la ministre, vous avez renforcé le plan Climat, qui est également prolongé jusqu'en 2012. Il est désormais prévu une réduction de 10 % des émissions françaises de CO2 à l'horizon 2010. Les deux principaux secteurs visés sont le bâtiment et les transports. Car il y a urgence à agir ! Ainsi, dès 2007, les réhabilitations importantes dans les bâtiments de plus de 1 000 mètres carrés devront respecter une performance énergétique minimale.

S'agissant des transports, le Gouvernement accélère le développement des biocarburants. Permettez-moi de vous rappeler, madame la ministre, que l'UDF bataille depuis plusieurs années pour développer cette énergie. Si nous voulons être au rendez-vous des biocarburants, ce que nous souhaitons apparemment tous, nous devons faire preuve d'une grande détermination. À la suite du rapport demandé par le ministre de l'économie à Alain Prost, des avancées ont été réalisées, avec, notamment, un plan de mise en place de pompes distribuant du carburant E85. Mais il faudra également que les constructeurs automobiles s'engagent résolument dans cette voie.

Ce défi lancé à notre industrie devra être relevé collectivement. C'est pourquoi je me félicite de l'adoption, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, d'un régime fiscal très favorable pour ce nouveau carburant. Toutefois, si nous pouvons nous féliciter de l'ensemble des mesures fiscales que nous avons pu adopter en faveur des biocarburants au cours des dernières années, les objectifs fixés sont encore loin d'être atteints. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas aux taux d'incorporation que nous avions fixés au niveau communautaire ou dans le cadre de la fameuse TGAP. Ce taux est de 1 % à peine pour le bioéthanol, alors qu'il était prévu d'atteindre, dès cette année, un taux de 1, 5 % et, en 2007, de 3, 5 %. Mais nous sommes dans la bonne direction : continuons !

En ce qui concerne le plan national d'allocation des quotas d'émission de CO2, je souhaiterais connaître, madame la ministre, la position du Gouvernement après le retrait précipité du plan prévu pour la période 2008-2012 auprès de la Commission. Quelles sont les nouvelles orientations choisies par le Gouvernement ?

Le PNAQ ne concerne que les sites industriels d'une puissance supérieure à 20 mégawatts thermiques, soit 1 127 sites seulement. C'est pourquoi la mission Climat de la Caisse des dépôts et consignations a proposé d'élargir les incitations économiques à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment grâce à la mise en place d'un dispositif de projets domestiques CO2 sur la période 2008 - 2012.

Les projets domestiques sont des outils qui permettraient de valoriser financièrement les réductions d'émission de gaz à effet de serre dans les secteurs qui, aujourd'hui, ne sont pas couverts par le système européen des quotas, tels que les transports, l'agriculture et les bâtiments. Un tel système mérite d'être étudié, car, à l'heure actuelle, le PNAQ ne couvre finalement que 30 % de nos émissions totales de CO2.

Le deuxième point primordial est la recherche. Il est indispensable de soutenir et de mettre en place une recherche ambitieuse.

J'insisterai sur la nécessité de constituer des programmes de recherche sur les océans. Couvrant 71 % de la surface du globe terrestre, les océans exercent, à ce titre, une influence essentielle sur le climat par la masse qu'ils représentent, mais également au travers des courants sous-marins qui jouent le rôle de répartiteurs de chaleur, avec toutes les conséquences, que nous connaissons mal, sur la faune et la flore marines.

Parallèlement, nous devons intensifier les moyens consacrés à la recherche sur la séquestration du CO2 et, à terme, créer une industrie française du CO2. C'est un secteur où la France a une avance qu'il faut garder.

D'une manière générale, il faut renforcer la recherche relative aux impacts, à la vulnérabilité et à l'adaptation. Pour faire court, le programme GICC, gestion et impacts du changement climatique, devra être poursuivi et renforcé. Il faut améliorer la connaissance et le suivi des impacts du changement climatique. En aval du programme GICC, il est nécessaire de développer en France des approches de type « expertise », abordant les problèmes de manière très concrète et en interaction avec les gestionnaires. Ce type d'approche reste encore peu pratiqué en France, alors qu'il s'agit d'une approche très courante dans les pays anglo-saxons.

Le troisième point concerne les énergies renouvelables.

Comme le secteur énergétique représente une part très importante de nos émissions de gaz à effet de serre, toute réduction d'émissions d'envergure passe par une reconfiguration complète de nos modes de production et de consommation d'énergie. En particulier, il faudra mettre en oeuvre un mix d'énergies renouvelables, d'énergie nucléaire et de projets de séquestration de carbone à grande échelle pour faire face à une demande énergétique croissante, qu'il faut pourtant maîtriser.

La directive 2001/77/CE relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergies renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité a été adoptée le 27 septembre 2001. Elle fixe des objectifs indicatifs par pays et vise, pour la France, à faire passer la part d'électricité d'origine renouvelable de 15 % en 1997 à 21 % en 2010.

Nous disposons de nombreux atouts en matière d'énergies renouvelables : des ressources hydroélectriques importantes, l'une des premières forêts d'Europe, un très bon gisement éolien, de vastes zones, notamment dans les départements d'outre-mer, où certaines énergies renouvelables sont moins chères à produire que l'électricité, et une technique reconnue en matière d'énergie solaire photovoltaïque ou thermique.

De fait, la France est le premier producteur européen d'énergies renouvelables - on ne le dit pas assez - devant la Suède et l'Allemagne, avec plus de 15 % du total de la production européenne à vingt-cinq. Mais nous sommes encore loin du compte. Cela est d'autant plus vrai que notre production d'électricité d'origine renouvelable, elle-même dépendante de la pluviométrie, est en baisse. En conséquence la part de l'électricité d'origine renouvelable dans la consommation intérieure brute d'électricité, pour la métropole uniquement, s'élève seulement à 11, 0 % en 2005 contre 12, 6 % en 2004.

L'hydraulique représente toujours 92 % de la production électrique d'origine renouvelable, les déchets urbains renouvelables 2, 9 %, le bois-énergie 2, 4 %, l'éolien 1, 7 %, le biogaz et le solaire photovoltaïque assurant la part résiduelle.

Il est donc indispensable de développer les autres énergies renouvelables. L'excellent rapport de nos collègues Claude Belot et Jean-Marc Juilhard, Énergies renouvelables et développement local : l'intelligence territoriale en action, montre que les solutions existent et qu'elles fonctionnent sur le terrain. Ils insistent également sur le rôle moteur des collectivités locales dans le développement des énergies alternatives.

Toutefois, je souhaite insister sur l'énergie éolienne qui, curieusement, est la grande oubliée de ce rapport. Lors de l'examen de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, nous avons pu mettre en place un certain nombre d'outils qui sont aujourd'hui opérationnels et qui offrent un contexte favorable de développement à la filière : zone de développement de l'éolien, révision des tarifs d'achat de l'électricité de source éolienne, programmation pluriannuelle des investissements. Tout cela va se mettre en oeuvre. Ainsi, la filière éolienne prendra enfin son envol en France.

À la fin de l'année 2006, le parc éolien français atteint 1 500 mégawatts, soit un millier d'éoliennes. Au premier semestre 2007, compte tenu des projets en cours, le parc devrait dépasser 2 000 mégawatts. Cependant, notre pays reste encore en queue de peloton par rapport à ses voisins européens, comme l'Allemagne ou l'Espagne. Ce retard est corroboré par le fait que, actuellement, plus aucune grande entreprise française ne fabrique les équipements éoliens pour la métropole.

Toutefois, le décollage tant attendu du développement de l'éolien et le volume des projets recensés à ce jour prouvent que l'objectif de 10 000 mégawatts en 2010, sur lequel nous avons pris des engagements, est atteignable.

Cela est d'autant plus important qu'il est précisé, dans le Rapport sur la Programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, transmis au Parlement et portant sur la période de 2005 à 2015, « qu'il n'y avait pas d'ici à 2015, en France, d'autre choix que l'éolien pour un développement significatif des énergies renouvelables dans la production électrique ».

Il faut avant tout faire comprendre aux collectivités locales que les fermes éoliennes peuvent être une source d'enrichissement pour les collectivités locales, via la taxe professionnelle, bien sûr - on y pense ! -, suivant les modalités de répartition intercommunales fixées par la loi et à partir des zones de développement éolien, ZDE. Les fermes éoliennes peuvent également être une source d'enrichissement par la mise en valeur du territoire agricole à travers une valorisation de l'espace rural dont les activités économiques ont de la peine à se maintenir au niveau antérieur.

Pour l'éolien offshore, il est nécessaire de clarifier les critères d'affectation de la taxe professionnelle entre les communes du littoral. En effet, par définition, les éoliennes offshore sont situées en dehors des limites cadastrales des communes : dans ces conditions la taxe professionnelle doit-elle être affectée à la commune de raccordement au réseau de la ferme éolienne ou alors aux communes auxquelles elle fait face ? Ce point mérite d'être clarifié rapidement, car l'imprécision gêne le développement.

Enfin, je voudrais rappeler aux détracteurs des éoliennes que, ces dernières années, des progrès technologiques considérables ont été réalisés par la filière. De bonnes réponses ont été trouvées pour tous les inconvénients qu'on trouvait à ces dernières. De plus, les zones de développement de l'éolien sont un nouvel instrument au service des communes pour une meilleure prise en compte des attentes des populations et même d'une démocratie participative.

Pour terminer, permettez-moi de dire un mot de la stratégie nationale d'adaptation au changement climatique.

Après adoption par le conseil d'orientation de l'ONERC, où je siège, ce document a été validé par le comité interministériel pour le développement durable du 13 novembre dernier. Il reste maintenant à mettre cette stratégie en oeuvre.

Tout cela décliné en objectifs stratégiques puis en programmes d'actions - à condition qu'ils soient appliqués ! -, constitue une réelle politique, compatible avec le format de la stratégie européenne de développement durable.

Je compte donc sur vous, madame la ministre, ainsi que sur vos collègues du Gouvernement concernés, pour que la volonté politique soit présente en permanence sur ces sujets et pour que ce plan s'applique.

Le constat de l'état de la planète est terrifiant, on l'a dit plusieurs fois au cours de ce débat. L'urgence est réelle ; il faut agir vite. Je compte sur vous, madame la ministre. L'humanité tout entière a besoin d'une France active en matière d'environnement.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Jean-Marc Pastor applaudit également.

Debut de section - Permalien
Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, oui, le changement climatique est un défi majeur pour l'humanité et je suis heureuse de voir que cette prise de conscience prend corps dans la société. En tout cas, la France est constamment en pointe sur cette question depuis 2002. Il était temps que nous cessions d'opposer écologie et économie ! C'est en effet le discours qui a trop longtemps été entendu et qui a probablement creusé ce fossé que nous devons combler aujourd'hui.

La France est responsable de seulement 1, 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre alors qu'elle représente 5 % du produit intérieur brut mondial. Elle est l'un des pays industrialisés les moins émetteurs de gaz à effet de serre, en termes d'émissions de CO2 tant par habitant que par unité de produit intérieur brut.

Debut de section - Permalien
Nelly Olin, ministre

Je commencerai par le plan national d'affectation des quotas d'émission de CO2, sur lequel vous m'avez interrogé.

La France a voulu se montrer particulièrement exemplaire. Je tiens à dire solennellement ici que, sans aucune pression ni menace, nous avons pris la décision de retirer notre plan - ayant fait moi-même la démarche à Bruxelles, je sais exactement de quoi je parle ! - et de nous remettre au travail pour le réduire. Il sera donc de 132, 8 millions de tonnes, soit une réduction de 23 millions de tonnes. Cet effort particulièrement significatif ne sera probablement pas sans poser quelques difficultés aux industriels. Quoi qu'il en soit, là aussi, la France n'a pas à rougir de la politique qu'elle mène !

Sur les cinq dernières années, notre pays a maintenu en moyenne ses émissions à un niveau inférieur de 2 % à celui de ses émissions de 1990, alors que la croissance économique a été positive - en monnaie constante, 25 % entre 1990 et 2004.

Continuer à respecter les engagements du protocole de Kyoto constitue en tout cas pour la France un objectif essentiel.

D'abord, pour qu'elle prenne sa part des efforts mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein de la communauté internationale, nous avons pris l'engagement de rester dans les « clous », si vous me permettez l'expression.

Contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, la conférence de Nairobi n'a pas été un échec.

Debut de section - Permalien
Nelly Olin, ministre

Pardonnez-moi, mais j'y étais aussi ! Nous étions partis peu convaincus sur la nature des décisions qui seraient prises, car nous avions l'impression qu'il s'agissait d'une convention intermédiaire. Autour de la table, nous avons néanmoins réussi à obtenir et à acter que le protocole de Kyoto serait complètement révisé en 2008, et à discuter de l'après-2012. Tout cela était loin d'être gagné !

Je rappelle que le président de la République, que vous avez d'ailleurs cité, monsieur Saunier, et je vous en remercie, milite depuis plusieurs années en faveur d'une organisation des Nations unies pour l'environnement. Nous avons en effet besoin - nous le constatons aujourd'hui - d'une organisation suffisamment puissante, compte tenu des défis à relever pour faire face aux problèmes du climat, de la perte de biodiversité. Or, aujourd'hui, ces sujets relatifs au climat, à l'énergie, qui sont essentiels pour l'avenir de tous, ne sont pas suffisamment abordés aux Nations unies.

Voilà quelques années, lorsque le président de la République a émis cette idée, nous étions seulement deux à en parler : l'Allemagne et nous ! Aujourd'hui, non seulement les pays de l'Union européenne, mais aussi ceux de la francophonie ont rejoint cette idée et j'ai même constaté, au cours d'un déplacement en Tunisie, qu'il en est de même pour ce pays, qui est prêt à diffuser le message dans le bassin méditerranéen.

C'est donc une idée qui prend corps ! Mais nous devons continuer à cheminer, car le but n'est pas atteint. Des pays, les États-Unis par exemple, ne veulent toujours pas signer le protocole de Kyoto. Mais, sur le terrain, les mentalités changent. Je recevais récemment une délégation d'une quinzaine de maires de grandes villes américaines : tous sont engagés sur le terrain, y compris des gouverneurs. C'est vrai qu'aujourd'hui, en revanche, l'un de nos partenaires nous a fait défaut : le Canada, qui a fait un retour en arrière radical, seul le Québec continuant à respecter le protocole de Kyoto.

Cette grande idée de l'Organisation des Nations unies, c'est tous ensemble que nous devons la promouvoir, parce que c'est certainement là que nous trouverons les forces, la reconnaissance et les moyens nécessaires.

La France fait aujourd'hui quelques sacrifices par rapport à son plan d'allocation de CO2. Elle a décidé que, pour l'après-2012, les importations en provenance des pays qui n'auront pas adhéré au protocole de Kyoto devront acquitter une « taxe carbone », qui permettra de préserver la compétitivité des entreprises françaises en leur évitant d'être concurrencées par des importations de pays où les prix sont peu élevés mais où on continue malheureusement à polluer.

Le Gouvernement a lancé en juillet 2004 le « plan Climat 2004-2012 », qui définit des actions nationales de prévention du changement climatique.

Ce plan décline des mesures dans tous les secteurs de l'économie et de la vie quotidienne des Français. Il s'agit d'économiser de l'ordre de 10 % des émissions françaises à l'horizon 2010 - à peu près 6 millions à 8 millions de tonnes de CO2, ce qui est loin d'être négligeable - afin de maintenir la tendance actuelle à la stagnation des émissions de CO2, voire de faire mieux dans la perspective de la division par quatre des émissions à l'horizon 2050.

De nouveaux outils et instruments ont été mis en place. Il s'agit, d'abord, de mesures d'information, avec la généralisation en 2006 de l'étiquette énergie et CO2 pour les logements et pour les voitures ; et je peux vous dire que cela marche, cela marche même très bien parce que les gens regardent maintenant ce qu'ils achètent ! On voit qu'il y a une prise de conscience.

Il s'agit, ensuite, d'incitations fiscales : le crédit d'impôt de développement durable pour les particuliers et la fiscalité des biocarburants.

L'engagement budgétaire de l'État dans le cadre de la politique de lutte contre le changement climatique est très important : on peut évaluer à plus de 2 milliards d'euros la contribution annuelle des politiques gouvernementales à la lutte contre le changement climatique - et 2 milliards d'euros, ce n'est pas une petite somme.

Le recours aux énergies renouvelables constitue un levier essentiel de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

La loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique a prévu un objectif ambitieux : augmenter de 50 % d'ici à 2010 la part de la chaleur renouvelable dans la consommation.

À cet égard, la France dispose de nombreux atouts en matière d'énergies renouvelables : d'abord, des ressources hydroélectriques importantes et fortement développées.

Ensuite, la troisième forêt tempérée d'Europe, derrière la Suède et la Finlande, dont 25 % ne sont pas exploités et auxquels il faut ajouter 8 millions d'hectares de forêts tropicales dans les quatre départements d'outre-mer.

En outre, un très bon gisement éolien, le deuxième en Europe, dont la sécurité de production en métropole peut être favorisée par un équipement réparti sur le territoire. La filière éolienne prend enfin son envol : la production éolienne - 1, 7 % de la production d'électricité renouvelable - a fortement augmenté et la puissance installée est passée de 363 mégawatts à la fin de l'année 2004 à 705 mégawatts à la fin de 2005. Le parc éolien atteint, à la fin de 2006, près de 1 500 mégawatts.

Enfin, une capacité technique reconnue en matière d'énergie solaire photovoltaïque ou thermique.

L'objectif affiché par le Gouvernement depuis 2002 est d'améliorer le stock de bâtiments existants et de construire des bâtiments neufs de qualité en utilisant une panoplie d'instruments qui ont prouvé leur efficacité.

Premier instrument, la réglementation thermique 2005 pour les constructions neuves, qui est de 15 % plus exigeante que la précédente RT 2000. Elle favorise le recours aux énergies renouvelables. Les grosses rénovations devront également respecter des objectifs de performance énergétique.

Deuxième instrument, les diagnostics de performance énergétique, qui sont, depuis le 1er novembre 2006, obligatoires pour la vente de tout logement ; ils seront étendus aux locations à partir du 1er juillet 2007.

Troisième instrument, le crédit d'impôt pour le développement durable, dont bénéficient depuis 2005 les équipements performants ou les équipements d'énergies renouvelables, qui a vu son taux fortement augmenter en 2006 pour passer à 50 %. Cette incitation fiscale a remporté un grand succès avec une dépense fiscale prévue de près de 1 milliard d'euros en 2007.

Quatrième instrument, les prêts de la Caisse des dépôts et consignations en faveur des logements sociaux, pour lesquels je me suis beaucoup battue. Je pense qu'il eût été irresponsable de construire ou de reconstruire aujourd'hui sans y mettre de la haute performance énergétique. Ces prêts permettent en tout cas de relancer un plan de construction de logements sociaux dans les normes de haute performance énergétique.

Nous devons - et c'est une responsabilité de chacun que ce soit au niveau ministériel ou au niveau des collectivités régionales et territoriales - faire en sorte qu'aujourd'hui, tout projet soit soumis à une étude d'impact environnemental. Nous ne pouvons plus concevoir de faire des projets, quels qu'ils soient et à quelque échelle qu'ils soient, sans avoir, au préalable, vu les conséquences que cela pouvait générer sur l'environnement. Donc, nous devons être exigeants sur ces études d'impact environnemental.

J'ai noté la formation nécessaire pour ces nouvelles technologies, puisque beaucoup d'artisans se plaignent de ne pas trouver de main-d'oeuvre suffisamment qualifiée.

Debut de section - Permalien
Nelly Olin, ministre

Autre instrument, en matière de recherche et de développement, le bâtiment à énergie positive, qui est un projet essentiel. Inscrit dans le cadre du PREBAT, le programme public de recherches sur le thème de l'énergie dans la construction, il instaure une véritable rupture technologique.

Grâce aux mesures du Gouvernement, les énergies renouvelables connaissent en tout cas une avancée spectaculaire chez les particuliers.

Les équipements tels que chauffe-eau solaire, chaudières à condensation, pompes à chaleur ou chaudières bois connaissent des progressions spectaculaires, avec, ce qui est une avancée significative, des taux de croissance annuelle en 2005 de deux chiffres, voire trois : 40 % pour les pompes à chaleur - 25 000 ont été installées en 2005, contre 17 300 en 2004 - ; 72 % pour les installations de chauffe-eau solaires individuels ; 127 % pour les chaudières bois et un doublement pour les chaudières à condensation, qui représentent dorénavant près de 10 % du marché de la chaudière individuelle.

Au total, ce sont près de 450 000 foyers qui se sont dotés en 2005 d'équipements utilisant des énergies renouvelables pour leurs besoins de chauffage ou d'eau chaude sanitaire.

Le nombre de mètres carrés de panneaux solaires thermiques installés par an en métropole est passé de moins de 60 000 mètres carrés en 2004 à plus de 100 000 mètres carrés en 2005, celui des chauffe-eau solaires de 8 000 à 14 000 unités, et celui des systèmes solaires combinés - eau chaude et chauffage - a triplé, passant de 600 à 1 800.

S'agissant des appareils de chauffage au bois, les ventes ont augmenté de 25 % en 2005. Quant au marché des poêles à bois, il a connu un développement spectaculaire de 50 % en une seule année.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre de dispositions et d'incitations fiscales ont été mises en place pour relever ce défi que nous avons devant nous et auquel nous devons tous être associés. En effet, au-delà des politiques, des élus, c'est tous ensemble et avec tous les citoyens que nous devrons participer à cet effort collectif.

Madame la présidente, je n'aurai pas le temps - et je vous prie de bien vouloir m'en excuser - de répondre individuellement aux orateurs parce que je dois regagner l'Assemblée nationale pour achever la deuxième lecture du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques

J'indique simplement à M. Saunier que, s'agissant de Natura 2000, nous avons été au rendez-vous, fixé au 30 avril. Deux points mineurs font l'objet de critiques de la part des services juridiques de l'environnement

M. Claude Saunier s'exclame

Debut de section - Permalien
Nelly Olin, ministre

Certes, il y avait beaucoup de retard. Mais nous avons envoyé tous les dossiers en temps et en heure : nous y avions intérêt, pour ne pas tomber sous le coup d'une condamnation. Cet argent, il vaut mieux le garder dans notre budget !

Debut de section - Permalien
Nelly Olin, ministre

Sur les OGM, il y avait deux problèmes : d'abord, les OGM confinés, mais nous avons publié deux décrets qui ont mis un terme définitif au contentieux ; ensuite, les OGM en dissémination. Je rappelle que le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés a été examiné par Sénat. Nous attendons un créneau pour l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Là non plus, on ne peut pas dire que les choses n'ont pas été faites !

Le ministère dont j'ai la charge peut être heureux et fier du travail accompli en un an et demi. Quatre mois après ma prise de fonctions, nous étions à jour de toutes les transpositions des directives européennes. Aujourd'hui, ce ministère n'a aucun retard dans les transpositions. Cela permet aussi de retrouver de la crédibilité auprès de la Commission européenne. Quand on a pris des engagements, il faut les respecter ! Je m'efforce de faire avancer les choses de cette manière.

Enfin, je félicite les rapporteurs pour leur remarquable travail et le Sénat tout entier pour cette magnifique initiative. Nous n'avons effectivement pas intérêt à laisser retomber la pression parce que le changement climatique est en cours. Quelles que soient les politiques que nous pourrons engager, un consensus se dégage : retroussons nos manches pour travailler tous ensemble.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures cinquante, sous la présidence de M. Roland du Luart.