Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes évidemment déçus des conclusions auxquelles donne lieu notre proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête.
En effet, je le répète, nous pensions qu'elle pouvait, au-delà des différences politiques, recueillir l'assentiment de notre assemblée.
Permettez-moi d'apporter quelques réponses aux objections qui motivent cet avis négatif.
En ce qui concerne la recevabilité de la proposition, je réaffirme que celle-ci n'a aucunement pour objectif de traiter de dossiers dont la justice est saisie : le délit d'initié ne figure pas dans notre exposé des motifs.
M. le garde des sceaux a fait connaître à M. le président du Sénat qu'une information judiciaire était en cours, concernant des faits de délit d'initié, de recel de délit d'initié et de diffusion de fausses informations. C'est l'affaire de la justice, et nous n'avons certainement pas l'intention de substituer le Parlement à l'institution judiciaire.
L'objet de notre demande de création d'une commission d'enquête ne mentionne d'ailleurs aucunement les faits en question ; en faire une telle lecture constitue selon nous une interprétation abusive.
L'information judiciaire vise des personnes et non le groupe EADS en lui-même. Elle ne vise pas les retards de production et de livraison de l'A380.
Monsieur le rapporteur, je suis d'accord avec vous, les délais et les retards de livraison de l'A380 proviennent incontestablement de ce que les cinq premiers avions sont consacrés aux essais, qui nécessitent quelque 2 600 heures de vol. Au fond, si ces milliers d'heures d'essais n'étaient pas utiles, il n'y serait pas procédé ; autrement dit, il faut bien qu'elles produisent des améliorations.
Je signale que le premier de ces avions, le numéro 00 ne vole pas : il est « torturé » afin d'évaluer le niveau de résistance du fuselage, des ailes, de l'empennage, etc. Les avions consacrés aux essais font d'ores et déjà l'objet d'options d'achat, avec une ristourne, bien entendu.
Globalement, cela explique une année de retard, délai communément admis dans l'aéronautique. L'année supplémentaire de retard, en revanche, va se traduire par plus de 6, 3 milliards d'euros de pénalités et de manque de trésorerie pour l'entreprise.
Cette somme est tout simplement imputable à un premier fait technique : le logiciel Circé n'a pas été adopté par les Allemands, qui ont travaillé « à la paluche », en doublant ou en triplant les effectifs, pour réaliser les harnais et le câblage électrique des tronçons dont ils étaient responsables. Lorsque ces tronçons arrivent à Toulouse, ils sont en effet prééquipés.
Cette année de retard est donc due à la non-adoption du logiciel Circé, mais surtout à l'incapacité de l'entreprise à réaliser les mêmes tâches dans les mêmes temps, dans les différents sites de production d'Airbus. Il s'agit en l'occurrence du site de Hambourg, non de ceux de Séville, Saint-Nazaire ou Bristol.
Le problème se situait bien là, et tout le monde apparemment le savait, sauf peut-être l'opinion publique, les médias et les parlementaires. Acceptons cette réalité !
Je vous ai écouté attentivement, monsieur le rapporteur. Je sais qu'il faut être prudent, qu'il faut faire attention aux effets psychologiques, etc.
Le but de la création de la commission pourrait se résumer en cette formule : « Plus jamais ça ! ».
Trop de conséquences financières, économiques et sociales se font sentir sur cette industrie dont nous sommes fiers et qui, pendant longtemps, à travers la France et l'Europe, a donné l'impression que nous avions enfin pris le dessus sur les Américains. Peut-être a-t-on trop vite crié victoire...
Quoi qu'il en soit, il est aujourd'hui évident que nous sommes en présence de graves difficultés.
J'ajouterai que nous pourrions discourir à ce sujet des heures durant sans atteindre le niveau du réquisitoire sans concession qu'a présenté M. Christian Streiff. Ce réquisitoire a d'ailleurs sans doute abrégé sa carrière dans l'aéronautique, puisqu'il n'y est resté que trois mois ! La teneur de ces propos est connue, non seulement par Boeing mais par toute la presse spécialisée : nous la reprenons avec modération.
Christian Streiff a eu le mérite de mettre les choses à plat. Il a en fait extorqué des informations qui étaient restées jusque-là parfaitement cachées, ce qui lui a permis de dire : « Aujourd'hui, cette industrie éprouve des difficultés pour telle et telle raison, et cela est à la source de retards très importants, de pertes considérables, etc. »
L'A380 est un excellent avion, personne ne remet ce fait en cause, et il présente un avantage énorme : il est le seul à occuper son créneau, ce qui n'est pas le cas de l'A350.