Intervention de Jean-Marc Juilhard

Réunion du 13 décembre 2006 à 15h00
Énergies renouvelables — Discussion des conclusions d'un rapport d'information et d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Marc JuilhardJean-Marc Juilhard :

Compte tenu de la place de l'électricité et de l'importance du nucléaire dans sa production, les collectivités territoriales doivent prioritairement agir dans le domaine de la chaleur.

La chaleur représente le premier besoin énergétique en France, loin devant l'électricité spécifique, c'est-à-dire celle qui ne peut être remplacée par aucune autre énergie. Or la chaleur est aujourd'hui couverte à 80 % par des énergies fossiles qui affaiblissent notre pays sur les plans économique et géopolitique et qui contribuent puissamment au dérèglement climatique. Il faut donc se garder de tout « électrocentrisme ».

Les collectivités peuvent s'appuyer sur des ressources territoriales considérables, formant un bouquet énergétique riche et varié.

Deux exemples m'ont particulièrement frappé.

En premier lieu, la biomasse représente en France un gisement considérable de chaleur d'origine renouvelable. La forêt française regorge de potentialités. Avec 15 millions d'hectares, elle occupe actuellement 27 % du territoire national. Sa superficie a doublé depuis deux siècles. Loin d'être menacée de disparition comme on l'entend parfois, la forêt française est même en croissance continue : la surface de la forêt augmente dans notre pays de 30 000 à 82 000 hectares par an. Selon les estimations actuelles, le tiers de l'accroissement annuel de la biomasse forestière n'est pas valorisé.

Le potentiel énergétique de l'agriculture est, lui aussi, considérable : les déchets d'élevage et les sous-produits agricoles - pailles de céréales, tiges de maïs, sarments de vigne, etc. - sont abondants, et des cultures énergétiques dédiées sont en train de faire leur apparition, à Jonzac et ailleurs.

Ainsi, les agriculteurs et forestiers d'aujourd'hui pourraient devenir demain de véritables producteurs d'énergie.

En second lieu, la géothermie, « trésor énergétique sous nos pieds », est l'énergie produite par la chaleur interne de la terre. Les potentialités de cette source d'énergie sont considérables, notamment en Île-de-France, en Aquitaine, et même en Auvergne, en Limagne notamment. Or la technologie est aujourd'hui parfaitement maîtrisée, le risque géologique connu et la rentabilité économique garantie.

Cet état des lieux que nous avons établi nous a conduits à formuler de nombreuses recommandations. J'en citerai trois qui me paraissent particulièrement importantes.

La première recommandation concerne la fiscalité énergétique.

Pour favoriser le recours aux énergies renouvelables thermiques, et en particulier la chaleur collective, il convient de mettre en place dès à présent un cadre fiscal incitatif.

Il faut en effet rappeler que l'« éco-électricité », la chaleur renouvelable individuelle, les biocarburants et les économies d'énergie disposent déjà, quant à eux, d'outils financiers avantageux.

En revanche, la chaleur collective n'a longtemps bénéficié d'aucun régime incitatif. C'est pourquoi, avec mon collègue Claude Belot, nous avons soutenu, lors des débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, un amendement tendant à introduire une TVA à taux réduit, que M. Belot vient d'évoquer avec le brio qui le caractérise.

De même, il faut se réjouir de l'adoption au Sénat, le 27 novembre dernier, lors de l'examen du budget, de l'amendement visant à ce que le Gouvernement présente au Parlement, avant le 1er septembre 2007, un rapport sur la création d'un fonds de développement de la chaleur renouvelable.

Il me paraît souhaitable, madame le ministre, que ce fonds soit alimenté par un prélèvement sur les recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, par une contribution aux charges de service public du gaz ainsi que par les ressources provenant de la taxe charbon que le Premier ministre a annoncé vouloir mettre en place.

Deuxième grande recommandation : donner à l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, un rôle de coordination et de fédération.

Les pouvoirs publics ont eu tendance, ces dernières années, à multiplier les structures administratives compétentes à des degrés divers dans le domaine des énergies renouvelables. Je ne les citerai pas, mais il en existe une dizaine.

Ne pensez-vous pas, madame le ministre, que notre administration aurait besoin, au contraire, d'une structure fédératrice, forte et transversale ? Il conviendrait, dans une perspective de simplification, de rationalisation et d'efficacité, de conférer à l'ADEME un rôle de coordination et de fédération de toutes ces structures.

Pour notre part, nous suggérons de renforcer les moyens humains et financiers des délégations régionales de l'ADEME, qui relaient si efficacement l'action nationale et qui n'ont pas d'équivalent en Europe.

La troisième recommandation importante est de former les professionnels.

Les diverses auditions ont permis de constater que le secteur des énergies renouvelables et des économies d'énergie manquait actuellement de professionnels qualifiés. Certaines entreprises spécialisées dans les réseaux de chaleur ont même déclaré qu'elles connaissaient de réelles difficultés de recrutement. Aussi, la formation initiale et continue de toute la chaîne des professionnels qualifiés - architectes, bureaux d'étude, installateurs-réparateurs, gestionnaires de service énergétique - constitue aujourd'hui un véritable enjeu pour notre pays.

Certes, Claude Belot et moi-même nous félicitons de la nouvelle obligation d'établir un diagnostic énergétique des logements lors de leur vente ou de leur mise en location. L'un des grands avantages de ce mécanisme est d'inciter les sociétés de service énergétique à développer une forte compétence en matière de sobriété énergétique et d'énergies renouvelables.

Toutefois, ces premières avancées doivent être encouragées et amplifiées, et nous estimons indispensable d'améliorer la formation initiale des futurs professionnels de l'énergie.

Le premier effort de l'État devrait porter sur les écoles d'architecture. Curieusement, mes chers collègues, celles-ci sont sous la tutelle, non plus du ministère du logement, mais du ministère de la culture. Elles se sont orientées vers une formation patrimoniale, et non énergétique. Or les deux dimensions doivent être mariées, comme l'a justement rappelé au cours de son audition M. Alain Liébard, président de l'Observatoire des énergies renouvelables, et par ailleurs professeur d'architecture à l'école de Paris-La-Villette. Nous souhaitons que les écoles d'architectes soient désormais placées sous la double tutelle des ministères du logement et de la culture, et que l'enseignement soit fortement orienté vers l'« éco-habitat ». De même, les architectes des bâtiments de France doivent suivre une formation tant énergétique que patrimoniale.

Enfin, et j'en terminerai par là, la formation initiale doit être relayée par des actions fortes de formation continue. Nombreux sont les organismes qui oeuvrent dans le domaine des énergies nouvelles et qui sont en mesure d'assurer de telles formations. Citons les agences locales de l'énergie - telles que l'ADUHME, l'Association pour un développement urbain harmonieux par la maîtrise de l'énergie, sur le bois-énergie en Auvergne, que connaît bien Mme la présidente -, les délégations régionales de l'ADEME, les associations - parmi lesquelles le Comité de liaison des énergies renouvelables -, voire des structures ad hoc comme Biomasse Normandie.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques-unes des pistes évoquées par notre rapport pour tendre vers un objectif ambitieux mais réaliste : couvrir 80 % de nos besoins thermiques à partir d'énergies renouvelables d'ici une génération, et 100 % d'ici deux générations. Tout cela est possible, et nous comptons sur les engagements et sur un investissement fort des collectivités locales.

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