Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la conférence des présidents ait décidé d'inscrire cette question orale avec débat relative à la transition énergétique et au plan climat à l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, et je voudrais l'en remercier.
Mon intervention portera essentiellement sur le rapport que Claude Saunier et moi-même avons rédigé pour le compte de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il est paru au mois de juin dernier, à la suite d'un colloque organisé au Sénat qui a eu un immense succès et auquel de nombreuses personnalités des secteurs industriel et scientifique, ainsi que du monde régional, étaient présentes.
Ce rapport, qui est intitulé : « Les apports de la science et de la technologie au développement durable - Changement climatique et transition énergique : dépasser la crise », comporte un sous-titre : « alerte rouge ». Pourquoi ? Tout simplement parce que nous considérons que notre planète se trouve dans une situation extraordinairement dangereuse et va à la catastrophe.
Certes, ce propos n'apparaît pas original aujourd'hui. Ni au sein du Parlement puisque d'autres rapports ont vu le jour entre-temps, notamment celui de nos collègues de l'Assemblée nationale, ainsi que l'excellent rapport qui vient de nous être présenté par MM. Belot et Juilhard, sur le problème particulier des collectivités locales. Ni dans l'opinion publique car la presse ou même les films en parlent désormais, et c'est heureux. Mais sans proposer d'actions précises.
Dans notre rapport, nous évoquons les collectivités locales, acteurs privilégiés dans ce domaine, car la mobilisation générale de toutes les compétences et toutes les volontés est nécessaire pour permettre à notre pays de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, comme le souligne le rapport qui vient d'être publié sous l'égide de votre ministère, et du ministère de l'économie et des finances et de l'industrie, intitulé : « Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France à l'horizon 2050 ». Le plan Climat français est exemplaire. Il faut que les décisions d'application suivent.
Ce rapport explicite le fait que l'on peut diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Telle est également notre conclusion : cet objectif est possible. Il devrait à notre avis être atteint avant 2050 pour servir d'exemple et entraîner par là même l'Europe puis la planète.
Nous avons parcouru le monde, auditionné pendant plus de mille heures des centaines de personnes, visité une centaine d'organismes spécialisés, les meilleurs centres de recherche mondiaux, en Chine, au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis. Tous nous disent : il est urgent de réagir. Il faut une volonté politique.
Pour l'essentiel, nous savons déjà ce qu'il faudrait faire. Il est bien entendu nécessaire de renforcer encore les compétences scientifiques pour savoir de façon plus précise dans quelles conditions ce changement de climat va se présenter.
Le problème ayant une dimension planétaire, il faut, notamment pour étudier l'évolution climatique et ses conséquences hydrologiques qui correspondent à des points particuliers, des moyens de calcul cent fois plus puissants qu'actuellement. C'est techniquement possible. C'est une question de volonté politique.
Aux États-Unis, cette volonté politique se développe fortement non pas à l'échelon fédéral, mais dans un certain nombre d'États et dans soixante grandes villes, telles New York et Los Angeles. À nos yeux, ce changement politique est largement dû au fait que la population a suivi l'avis de scientifiques et d'industriels, plutôt que celui du gouvernement fédéral.
Nous estimons que la même chose doit se produire en Europe. J'ai piloté une opération franco-allemande en matière de politique énergétique. À cette occasion, j'ai appris que, pour la première fois, un ministre allemand en exercice avait osé évoquer la remise en question du contrat passé entre le gouvernement allemand et les industriels, visant à sortir du nucléaire, alors que 26 % de la production allemande d'électricité est aujourd'hui d'origine nucléaire et que les Verts allemands voudraient éliminer complètement le nucléaire.
Cette politique anti-nucléaire est une véritable hérésie : L'Allemagne, signataire du protocole de Kyoto, est désormais obligé de multiplier les centrales au charbon, voire au lignite, qui ont des effets considérables sur l'évolution du climat. Elles ont également contribué au récentblack-out.
Pourquoi ce black-out ? Il a été dû en partie au fait que certains développements énergétiques locaux, notamment les éoliennes, ont conduit à des problèmes complexes en matière de gestion des transports d'électricité.
Quantité d'éléments scientifiques peuvent nous guider pour piloter de façon énergique la totalité des actions nécessaires.
Notre rapport, que vous connaissez, madame la ministre, développe le contenu de ces actions et tire vingt-sept conclusions, un peu plus précises que celles figurant dans le rapport qui vient de nous être présenté.
En effet, notre analyse de la situation nous a conduits à évoquer des points qui n'apparaissent malheureusement pas dans le rapport sur le plan Climat, en particulier celui qui concerne le coût des dégâts liés au climat.
Ce coût est encore mal connu. Selon notre rapport, il sera de l'ordre de 6 % du produit intérieur brut mondial d'ici à une quinzaine d'années. Depuis nos travaux, le rapport Stern, dont la presse s'est fait largement l'écho, a cité des chiffres comparables, fondés sur des analyses qui ne sont ni plus précises ni meilleures ni moins discutables que les nôtres.
Il s'agit là d'un ordre de grandeur, mais il est inquiétant : 6 % du PIB, cela signifie que l'Europe et les États-Unis vont entrer dans une récession. Il en va de même pour des pays comme la Chine et l'Inde. Et pourtant, je pense que des travaux énormes devront être engagés, en particulier à titre de prévention contre des événements prévisibles dont la répétition sera d'autant plus dangereuse que les mesures seraient plus tardives.
Je prends l'exemple de l'eau : grâce à vous, madame la ministre, nous avons introduit, dans le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, la notion de changement de climat. Les organismes de gestion de l'eau, notamment les agences de l'eau, devront tenir compte des périodes de sécheresse de plus en plus longues, alternant avec des pluies diluviennes, donc la survenue des crues.
On sait qu'il est possible d'augmenter les ressources en eau en développant des barrages collinaires là où c'est possible, prévoir des bassins d'étalement des crues et, surtout, conduire une politique d'aménagement du territoire qui soit cohérente avec le phénomène des crues.
Il m'apparaît en effet inadmissible de reconstruire les villes sur le même emplacement si elles sont inondées chaque année, notamment dans les régions méditerranéennes, les Gardons ou telle partie du Var. Les plans locaux d'urbanisme, les PLU, doivent en tenir compte.
Par ailleurs, il est essentiel que ces plans locaux d'urbanisme tiennent compte également du changement de climat, ainsi que de la transition énergétique, c'est-à-dire de la nécessité de remplacer bon nombre de déplacements en voitures par des transports en commun.
À l'évidence, ce sont encore les collectivités locales qui seront au premier plan, puisqu'elles devront veiller à substituer au mitage du territoire la densification d'un certain nombre de lieux afin d'assurer la rentabilité des transports en commun.
L'industrie doit également se préparer à des changements, tout comme l'agriculture qui doit utiliser des produits moins dépendants de la pluie et de l'irrigation - ce qui est parfaitement possible -, ou encore les transports.
Nous devons tous nous préparer à ces changements draconiens, sous peine d'aller dans le mur.
Les moyens que je viens de décrire, comme ceux qui ont été évoqués tout à l'heure par M. Belot, nous permettront de nous y préparer, mais ils peuvent être étendus.
Je pense aux énergies solaires thermiques et photovoltaïques, à nombre d'énergies susceptibles de remplacer les combustibles fossiles qui vont de toute façon disparaître dans deux ou trois générations.
Avons-nous le droit de consommer tout le pétrole, tout le gaz que la terre a mis des millions d'années à faire, qui sont des matières premières et non pas des combustibles ? Brûler du gaz ou du pétrole, c'est une hérésie ! Ces matières premières représentent beaucoup plus que leur valeur énergétique.
En revanche, le soleil, le vent, la mer, les vagues en offrent des quantités ! Il y a aussi ce que l'on appelle les « négawatts », c'est-à-dire des économies d'énergie qui sont considérables, lesquelles représentent plus de 20 %.
D'où la nécessité d'une planification, et ce sera le dernier point que j'évoquerai.
Il faut un grand programme sur une quinzaine d'années, s'inscrivant dans l'esprit du plan Climat, pour que la France soit porteuse d'un projet pour l'humanité.
Comme nous l'étions dans les années grandioses du siècle des Lumières, soyons exemplaires pour l'Europe, pour son avenir, afin de lui donner la possibilité de se libérer de la menace du chantage énergétique exercé par certains pays que nous connaissons bien, mais aussi de créer des richesses et de nombreux emplois.
Cela passe par un effort de formation systématique à tous les niveaux, dans tous les domaines, qu'il s'agisse du bâtiment, de la gestion, de l'aménagement du territoire, ou encore du télétravail permettant de réduire les trajets quotidiens.
Nous pouvons devenir les meilleurs ; ne nous privons pas de cette possibilité de développement de potentialités exceptionnelles !