Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord dire ma très vive satisfaction de participer à ce débat et d'avoir entendu les orateurs qui m'ont précédé aborder avec beaucoup de sérieux la question de l'énergie au travers de la problématique locale et, d'une façon générale, la problématique de l'environnement.
Je voudrais aussi, une fois n'est pas coutume, remercier très chaleureusement et très confraternellement, moi qui suis sénateur socialiste, un parlementaire de la majorité, Pierre Laffitte, qui a eu l'heureuse initiative de provoquer ce débat par sa question orale. Cela entre dans une sorte de stratégie commune que nous avons mise au point ensemble, voilà maintenant quelques mois - car nous sommes complices. Nous avons en effet considéré que l'environnement est aujourd'hui l'une des clefs centrales pour ce qui est de l'avenir de l'humanité.
Nous avons constaté que l'opinion publique, en particulier la « classe politique », comme on l'appelle, ignorait l'ampleur des risques et des enjeux. Nous avons donc voulu, au travers d'un rapport commun sur le développement durable, poser un certain nombre de constats avec force, avec détermination, et oser quelques propositions que Pierre Laffitte a bien voulu évoquer.
Notre intuition me semble en effet plus que jamais justifiée, et deux études d'opinion l'ont confirmé ces deux derniers jours : l'environnement, cela a été indiqué, apparaît nettement comme étant placé au deuxième rang des préoccupations de nos concitoyens, après la première, légitime, qui est celle de l'emploi.
En retour, et cela doit nous pousser à nous interroger, nos concitoyens créditent les « grands partis de gouvernement », comme on les appelle, d'un zéro pointé, ainsi que l'a souligné un grand quotidien du soir, dans leur capacité à répondre à cette préoccupation. C'est là une question qui ne peut laisser aucun de nous indifférent.
Certes, les lignes commencent à bouger. Le débat que la conférence des présidents a bien voulu organiser est bienvenu. Mais il est encore très insuffisant, car il ne répond ni aux attentes de nos concitoyens ni aux enjeux planétaires. Avec Pierre Laffitte, j'ai écouté beaucoup de scientifiques, recueilli de nombreux témoignages : le mot qui me vient spontanément à l'esprit, alors que je n'avais pas cette sensibilité, cette préoccupation particulière quant à l'avenir de la planète, est le mot « terrifiant ».
Les faits sont têtus, et les chiffres sont véritablement terribles. Vous me pardonnerez, madame la ministre, mes chers collègues, d'évoquer des choses que tout le monde a maintenant en tête, mais nous sommes là dans une réunion officielle, et il faut qu'elles soient actées.
Le réchauffement de la planète d'ici à la fin de ce siècle est estimé, pour les quelques décennies qui viennent, à au moins trois degrés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, qui va rendre dans quelques semaines ses nouvelles conclusions, définitives cette fois, et qui va probablement réviser à la hausse ses prévisions antérieures.
Vous me direz que trois degrés, ce n'est pas grand-chose. Ayant enseigné l'histoire et la géographie pendant quelques années, j'ai appris à mes jeunes élèves que la température moyenne de la Terre, entre la dernière glaciation et aujourd'hui, s'était élevée de cinq degrés. Concrètement, trois degrés de plus, cela signifie qu'une autre planète est en train de naître sous nos yeux.
Nous sommes par ailleurs en train de travailler actuellement sur la question de la biodiversité : selon les spécialistes, elle s'effondre à un rythme qui est de 100 à 1 000 fois supérieur au rythme normal des extinctions d'espèces. On assiste aujourd'hui à une véritable rupture de la chaîne de la vie, comparable aux grandes ruptures biogéologiques, mais plus rapide, et donc plus brutale.
Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas là d'annonces spectaculaires de journalistes en mal de titres, en mal de copie : il s'agit du témoignage croisé, convergent de tout ce que notre planète compte d'autorités scientifiques. La communauté scientifique internationale, en effet, s'accorde sur ce diagnostic, et je reprends le mot, terrifiant.
De même, les origines de cette atteinte à l'intégrité de notre planète sont maintenant clairement établies : c'est l'humanité elle-même qui est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. Ce qui est en cause, c'est notre mode de production, c'est l'aveuglement qui nous conduit à bâtir notre opulence d'aujourd'hui sur l'épuisement des ressources de la planète, c'est l'utilisation inconsidérée, en deux ou trois siècles, des réserves d'énergies fossiles qui ont mis des centaines de millions d'années à se constituer. Tout cela est connu et, si je le rappelle, ce n'est que pour jalonner la progression de notre réflexion.
Il ne peut y avoir, à l'égard de l'opinion publique, à l'égard de nos concitoyens, aucune ambiguïté sur ce qui nous attend : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Oui, nous avons été prévenus ; oui, nous avons été alertés ; oui, cela va plus vite, beaucoup plus vite que ce que l'on nous annonçait voilà seulement une dizaine d'années, qu'il s'agisse du réchauffement du climat, de l'épuisement des énergies fossiles, de l'effondrement des ressources de la mer... Chaque semaine apporte des études qui vont dans le même sens.
Comme l'a souligné à juste titre Pierre Laffitte, cela a un coût.
La première vertu de l'approche monétariste est la pédagogie. Pierre Laffitte et moi-même, nous sommes donc demandé comment nous allions faire passer ce message du coût de la dégradation des grands équilibres planétaires.
Nous avions fait une première estimation qui s'appuyait sur l'étude de compagnies d'assurance allemandes, aboutissant en effet au chiffre d'environ 5 000 milliards d'euros qui a été avancé, consolidé avec éclat par le rapport Stern, soit 5 500 milliards de dollars par an.
Ce montant ne veut pas dire grand-chose, cela représente entre 5 % et 20 % du PIB mondial, mais le rapport Stern est plus précis et plus pédagogique : il évoque l'équivalent du coût pour l'économie mondiale du krach boursier de 1929, ou du coût des Première et Seconde Guerres mondiale.
Ce sont véritablement des chocs terribles qui attendent l'humanité, et il va falloir payer rapidement, beaucoup plus rapidement qu'on ne l'imaginait voilà encore peu de temps.
Déjà, on nous annonce - il y a convergence des experts sur ce point - le début de la réduction de l'exploitation des hydrocarbures, le peak oil - que l'on envisageait assez loin encore -, aux alentours de 2035, 2040, 2045 ; c'est très proche car 2040, 2050, techniquement et économiquement, c'est demain.
La revue Nature vient de publier un rapport selon lequel la fin de l'exploitation des ressources halieutiques est envisagée pour 2050. Je rappelle qu'elles fournissent l'essentiel de leurs protéines alimentaires à des milliards d'hommes et de femmes.
En un mot, le temps s'accélère, joue contre nous et nous avons donc très peu de temps pour réagir.
Face à cette réalité, que faisons-nous ?
Bien sûr, les bonnes intentions s'enchaînent, s'accumulent : les conférences, les déclarations. Nous avons tous entendu - je le dis sans aucune arrière-pensée maligne - la superbe déclaration du Président Chirac à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. ».
Il est important qu'un homme politique comme le président de la République affiche cette préoccupation sur une scène internationale, et cela nous vaut un regard positif et reconnaissant de la part de la communauté internationale.
Des mesures symboliques ont été prises, mais, je le dis avec regret, madame la ministre, s'il y a les grandes intentions, les grandes déclarations, les actes symboliques et sympathiques, comme la taxe sur le kérosène qui va dans le bon sens, il y a aussi un certain nombre de faiblesses dans l'action gouvernementale, vous ne pouvez l'ignorer. Je pense, et la presse en a parlé, à la condamnation pour le retard pris dans la production des dossiers Natura 2000.