Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre commission a en effet pris l’initiative de proposer à la conférence des présidents l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’une séance consacrée à un débat sur la politique étrangère de la France dans toutes ses dimensions. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir réservé un bon accueil !
La tenue de ce type de débat entre la représentation parlementaire et le Gouvernement me paraît indispensable pour avoir une vue d’ensemble de notre politique étrangère dans le monde, mais n’exclut nullement, bien entendu, l’organisation de débats thématiques et vient compléter les auditions au sein de la commission.
Ce premier débat s’inscrit à la confluence d’un certain nombre de démarches entamées par le Gouvernement qui devront déboucher sur des orientations fondamentales et des décisions importantes.
Le fait que notre commission traite à la fois des affaires étrangères et de la défense est un atout qui nous permet d’aborder ces questions de manière globale tant il est vrai que la manifestation de la force, en particulier au service de la paix et la stabilité mondiale, est un outil fondamental de la politique extérieure.
Les démarches entamées en matière de révision générale des politiques publiques, la RGPP, d’élaboration de livres blancs sur la politique étrangère et européenne et sur la défense et la sécurité nationale, le débat sur la place de la France dans l’OTAN, l’affirmation, avec le dispositif institutionnel issu du traité de Lisbonne, d’une politique étrangère et de défense européenne, la réforme des institutions internationales, singulièrement de l’ONU et de son Conseil de sécurité, sont autant de thèmes qui vont déterminer les fondamentaux de notre politique étrangère, permettre de définir nos objectifs et d’adapter nos moyens ainsi que nos ambitions, pour peu que celles-ci soient clairement définies et résultent d’un large consensus démocratique.
Je souhaite que ce débat puisse être organisé deux fois par an de manière à permettre à l’ensemble des sensibilités politiques représentées au Sénat de s’exprimer et de faire part, au-delà du travail spécifique de notre commission, de ses analyses et de ses convictions.
La mondialisation à laquelle nous sommes confrontés a profondément modifié les relations internationales au sein d’un monde désormais éclaté, instable et dangereux.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les blocs qui structuraient le monde et l’équilibre qui résultait de la dissuasion nucléaire mutuelle ont été remplacés par un monde multipolaire, au sein duquel un certain nombre de grandes puissances émergentes comme le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde, le Mexique ou l’Afrique du Sud deviennent des pôles économiques et politiques de développement, alors même que le poids relatif de l’Europe diminue. L’équilibre économique et politique du monde se déplace irréversiblement vers l’Asie.
De multiples forces s’exercent dans un monde instable, en devenir, dont on ne sait pas encore vers quel type d’équilibre il va évoluer. Le monde est plus instable comme en témoigne l’émergence de communautarismes en Afrique, dans les Balkans ou au Proche-Orient, qui suscitent un ensemble de conflits asymétriques et durables.
La dangerosité du monde s’est également accrue avec, pour ne citer que ces éléments, l’apparition de fondamentalismes, la montée en puissance des mafias, conséquence de l’affaiblissement des États, le terrorisme international et les menaces résultant d’une prolifération nucléaire incontrôlée. Mais il est aussi évident pour tous que, au nombre des nouvelles menaces, les dérèglements de l’environnement figurent en bonne place.
Enfin, le monde s’est considérablement dérégulé. Le système monétaire international issu des institutions de Bretton Woods a disparu. La régulation par le commerce dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, est aujourd’hui bloquée et battue en brèche par la multiplication des accords commerciaux bilatéraux. L’ONU est contestée, faute de trouver les moyens de la réforme de son élargissement, et la mise en œuvre des politiques qu’elle préconise, en particulier en matière de développement, rencontre d’importantes difficultés. L’Europe, enfin, a été secouée par des mouvements centripètes avec le « non » des référendums français et néerlandais et les conflits d’intérêts qui résultent de son élargissement même.
Dans ce monde d’insécurité, les dividendes de la paix sont de plus en plus difficiles à engranger et nous assistons plutôt à une multiplication des conflits. Il nous faut également constater l’échec relatif de l’universalisme occidental, dont le modèle n’a pas rencontré l’adhésion. L’unilatéralisme, qu’a choisi jusqu’à une date récente la puissance américaine, et le développement des relations bilatérales, notamment à l’échelon économique, en sont les conséquences. L’un des principaux défis auquel nous sommes confrontés sera de développer des mécanismes d’interdépendance, de solidarité et d’homogénéité afin de forger l’amalgame permettant de passer d’un monde multipolaire à un multilatéralisme réel.
Dans ce contexte, que peut faire la France ?
À l’instar des auteurs du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, Alain Juppé et Louis Schweitzer, nous pouvons assigner cinq objectifs à nos relations internationales : assurer la sécurité de la France et des Français et défendre nos intérêts dans le monde ; construire avec nos partenaires une Europe forte, démocratique et efficace ; agir dans le monde en faveur de la paix, de la promotion des droits de l’homme et du développement durable ; contribuer à l’organisation d’une mondialisation équilibrée et sûre ; assurer le rayonnement culturel de la France et du français.
Si notre politique étrangère et notre politique de défense s’inscrivent bien évidemment dans des alliances, elles demeurent des politiques nationales au service de l’intérêt de la France et de la sécurité des Français.
S’agissant de la politique de sécurité et de défense, le Livre blanc actuellement en cours de finalisation identifie clairement les nouvelles menaces auxquelles nous sommes confrontés. Nous aurons prochainement à en débattre et à prévoir les moyens mis à la disposition de la sécurité de notre pays dans le cadre de la future loi de programmation militaire.
Il est aujourd’hui évident que la sécurité de notre pays se joue non seulement à l’intérieur de nos frontières, mais aussi sur les théâtres d’opérations extérieures, et que cette politique nécessite donc des alliances fortes. Le renforcement des liens avec l’OTAN, le développement concomitant de la politique européenne de sécurité et de défense, qui est l’un des objectifs de la présidence française de l’Union européenne, ainsi que la consolidation d’une industrie européenne de l’armement sont les trois axes déterminants en la matière.
Notre commission a décidé d’envoyer des missions sur les principaux théâtres d’opérations où nos forces sont déployées et où notre diplomatie joue un rôle actif.
Ainsi, nous sommes récemment allés en Côte d’Ivoire, en Afghanistan, au Liban, en Bosnie-Herzégovine, et nous devons prochainement nous rendre au Kosovo et au Tchad.
Sur ces différents théâtres, la sécurité de la France et de l’Europe est engagée, tant il est vrai que la stabilité ou l’instabilité de ces régions ont des effets directs sur nos pays, que ce soit en matière de terrorisme, de sécurité des approvisionnements ou de lutte contre la drogue.
Il ressort de ces missions que la solution des conflits n’est en aucun cas militaire. Si la sécurité est naturellement indispensable au développement économique, politique et démocratique, nous avons pu constater, notamment en Afghanistan, que, dans ces conflits asymétriques, l’action militaire à elle seule ne peut aboutir.
Le succès des opérations qui sont menées dans ces différents pays dépendra essentiellement de notre capacité à assurer leur développement économique, à consolider leurs institutions et à les responsabiliser en les amenant à assumer eux-mêmes le maintien de l’ordre et le rétablissement de la paix.
Le deuxième objectif fondamental que doit poursuivre notre politique étrangère est la construction européenne.
De ce point de vue, nous approuvons pleinement les priorités définies dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, car elles correspondent aux défis actuels. Sans qu’il soit besoin de les reprendre, je redis que notre politique étrangère devra tendre tous ses efforts pour qu’elles aboutissent.
Face à ces défis, nous devons réagir avec humilité et solidarité envers nos partenaires, en recherchant en particulier l’accord franco-allemand, qui a toujours été l’élément indispensable et incontournable de la construction européenne. Il n’y a pas de vrai substitut au moteur franco-allemand, et cette assertion s’est particulièrement vérifiée dans les discussions qui ont abouti à la réforme des institutions telles qu’elles ont été définies dans le traité de Lisbonne, un succès que nous pouvons légitimement partager avec nos amis allemands.
La relance de la coopération avec le sud de l’Europe dans le cadre de l’initiative française pour l’Union pour la Méditerranée est une action heureuse. L’accord qui a été obtenu et la participation de l’ensemble des pays européens qui souhaitent s’y associer permettront sans doute un rééquilibrage de l’action de l’Europe vers le Sud, au travers de projets concrets destinés à développer les relations économiques et politiques entre les deux rives de la Méditerranée.
En outre, notre diplomatie doit contribuer à l’élaboration d’un système de gestion des crises internationales plus efficace, au sein duquel une politique des droits de l’homme, du développement durable et de l’environnement puisse se construire.
Certes, les droits de l’homme ne constituent pas en eux-mêmes le fondement d’une politique étrangère, mais leur défense est un élément essentiel, qui n’est ni incompatible ni contradictoire avec la défense de l’emploi ou de nos intérêts commerciaux.
Par ailleurs, nous devons poursuivre avec dynamisme la politique de défense de l’environnement. Les risques de conflits liés aux dérèglements de l’environnement comme, par exemple, les guerres pour l’eau, l’accroissement des mouvements migratoires dus à la pauvreté et à la faim ou la conquête de nouvelles ressources énergétiques font clairement partie des nouvelles menaces auxquelles nous sommes d’ores et déjà confrontés.
De ce point de vue, notre pays a fait preuve d’engagements forts qu’il convient de poursuivre.
Nous devons également contribuer à l’élaboration d’un ordre international stabilisé. Cela passe naturellement par la réforme des institutions internationales permettant l’inclusion des puissances émergentes à leur juste place, en particulier au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi par une meilleure régulation de l’action économique au niveau mondial.
Sans ces réformes, il serait illusoire de croire possible la création d’un ordre international stable, garant de la sécurité du monde. Si nous ne réussissons pas, ce sont les forces de division, de repli et de fermeture, entraînées par l’exaltation des nationalismes et des égoïsmes, qui l’emporteront.
Enfin – et c’est l’une des constantes de notre politique étrangère –, nous nous devons de poursuivre l’action en faveur du rayonnement culturel de la France et de la langue française.
Cela passe naturellement par la défense de l’enseignement du français à l’étranger, par la multiplication des échanges culturels, par le développement de nos moyens audiovisuels et par la défense de la francophonie. La politique étrangère de la France consiste à faire entendre la voix de notre pays et à répondre à l’image qu’on attend de nous, en particulier en ayant un rôle de médiateur entre les blocs, de facilitateur et de conciliateur, rôle que nous permet d’endosser notre histoire, comme notre indépendance reconnue.
Pour atteindre ces objectifs, il me paraît évident qu’il faut arrêter la dégradation des moyens mis à la disposition de notre diplomatie.