Il s’agit là non point d’un fâcheux oubli, mais d’un simple constat : c’est l’Élysée qui commande, c’est l’Élysée qui propose et, souvent – infirmières bulgares, OTAN, Afghanistan –, c’est l’Élysée qui conçoit et, même, exécute la politique en choisissant lui-même les acteurs. Le domaine réservé se porte bien – trop bien à mon goût !
La personnalisation présidentielle de la politique extérieure atteint des sommets avec le nouveau locataire de l’Élysée. Et l’on voit ainsi s’envoler une promesse du candidat Sarkozy concernant la fin du « domaine réservé ».
Il est même envisagé, à l’occasion d’une prochaine réforme constitutionnelle – mais les résistances parlementaires seront fortes – d’accroître des pouvoirs du Président de la République en matière de défense et de politique étrangère.
Deuxième point : quelle est la « colonne vertébrale » de notre politique extérieure ? Quelle est la vision stratégique qui soutient l’action extérieure ? Il est difficile d’en saisir la consistance. Une politique étrangère doit non pas s’élaborer au gré de risques supposés, mais prendre en compte une vision d’ensemble du système international. On a du mal à en discerner les contours.
M. Sarkozy déclarait à la revue Politique internationale, dans l’édition du printemps 2007 : « ...je crois le temps venu de doter la diplomatie française d’une “doctrine”. Une doctrine, c’est une vision claire du monde, des objectifs de long terme et des intérêts que nous défendons. C’est un ensemble de valeurs qui guident notre action. C’est ce qui donne, dans la durée, un sens et une cohérence. C’est la condition de notre indépendance. »
On ne peut pas dire que, de Kadhafi à Ben Ali, les « valeurs » aient guidé l’action de l’Élysée.
Alors qu’il a déclaré, au printemps 2007 : « Ce n’est pas parce que la Chine et la Russie sont de très grandes puissances que l’on doit s’interdire de dénoncer les violations des droits de l’homme qui y sont commises. De ce point de vue, je dois dire que l’évolution de la Russie, ces derniers temps, me paraît préoccupante », on ne peut pas dire que le Président Sarkozy ait été très actif en la matière depuis son élection. Le responsable de la politique extérieure de la France est-il toujours inquiet de « l’évolution de la Russie » ?
De même, la « doctrine » ne sort pas renforcée d’une série de voyages d’affaires ayant amené le Président à signer des dizaines de protocoles commerciaux et de contrats millionnaires, dont on attend encore le bilan, chiffré en taux de réalisation.
Si l’on considère que le grand objectif de notre politique étrangère est de promouvoir nos intérêts économiques et commerciaux pour rendre la France plus forte dans la mondialisation, il faut le dire haut et fort, et non pas se cacher derrière des déclarations inefficaces et peu crédibles sur les valeurs et les droits de l’homme.
En revanche, on a bien enregistré le rapprochement atlantiste, les discours controversés sur les Africains, les hésitations douloureuses sur les jeux Olympiques en Chine, l’envoi de troupes en Afghanistan pour soutenir une guerre embourbée... Reconnaissez que tout cela ne dégage pas « une vision claire du monde, des objectifs de long terme et des intérêts que nous défendons ».
De surcroît, après des déclarations prônant la rupture avec une certaine politique en Afrique, des gages sont donnés aujourd’hui à des potentats africains, en tournant encore le dos à leurs peuples, toujours sacrifiés sur l’autel de la
Le troisième point concerne la Macédoine.
Nombre d’entre vous pourront s’étonner de m’entendre évoquer ce petit pays des Balkans.
Je le fais, d’abord, parce que j’en reviens. En fait, j’y ai déjà effectué trois séjours : le premier en tant que représentant de l’assemblée parlementaire de l’OSCE ; le deuxième, en 2005, comme membre de la délégation du Sénat pour l’Union européenne, séjour à la suite duquel j’ai été amené à rédiger un rapport sur la situation de ce pays de deux millions d’habitants ; et le troisième, voilà une semaine, en ma qualité de membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Cette mission donnera d’ailleurs lieu à un rapport qui est en cours d’élaboration.
Ensuite, si j’évoque ce pays, c’est parce qu’il constitue un excellent révélateur de notre politique étrangère, qui vient fort à propos corroborer, par l’exemple, les propos que je viens de tenir.
Monsieur le ministre, je n’en doute pas, vous connaissez bien la situation de ce pays puisque vous avez été pendant de longs mois le représentant reconnu et apprécié de l’Organisation des Nations-unies dans le Kosovo voisin. Vous n’ignorez rien de la fragilité démocratique de la Macédoine, malgré la signature des accords d’Ohrid et la mise en œuvre de la Constitution dite « Badinter », du nom de notre éminent collègue.
Avec une composition ethnique à l’image de ce que l’on rencontre souvent dans les Balkans, soit 60 % de Macédoniens, 30 % d’Albanophones et 10 % de minorités diverses, la Macédoine est coincée entre l’Albanie, la Grèce, le Kosovo – tout nouvellement indépendant et à majorité albanophone – et la Bulgarie, sans aucun accès à la mer. Deux de ses voisins sont déjà membres de l’OTAN et de l’Union européenne. Les autres aspirent à y entrer. C’est, bien sûr, aussi le cas de la Macédoine. Elle a d’ailleurs déjà avancé dans ces deux directions.
En effet, après avoir signé, en 2005, un accord de stabilisation et d’association, ASA, avec l’Union européenne, elle attend impatiemment qu’une date soit fixée pour engager les négociations en vue de son adhésion.
En ce qui concerne l’OTAN, ayant bénéficié du Plan d’action pour l’adhésion, ou MAP – –, la Macédoine espérait rejoindre l’Organisation, en même temps que l’Albanie et la Géorgie, lors du sommet de Bucarest, en avril dernier.
Et voilà que, patatras, lors de ce sommet, obnubilée par une douteuse affaire de dénomination portant sur la propriété du terme « Macédoine », la Grèce a opposé son veto à l’entrée de ce pays dans l’OTAN, faisant d’ailleurs peser sur lui la même menace pour la prochaine discussion sur son entrée dans l’Union européenne.
Lors du tour de table à Bucarest, personne ne s’est exprimé pour venir en aide à la petite Macédoine. Pis, la France, par la voix du Président de la République, a apporté son soutien à la Grèce dans sa démarche d’entrave à la Macédoine.
Était-il nécessaire d’en rajouter sur un tel sujet et de ternir ainsi des relations anciennes de franche amitié entre nos deux pays ? Faut-il rappeler que des dizaines de milliers de soldats français du conflit de 1914-1918 sont morts et enterrés sur cette terre de Macédoine ?
De surcroît, monsieur le ministre, les raisons évoquées ne peuvent manquer de nous laisser perplexes. Permettez-moi de vous citer l’interview donnée par le Président de la République à la presse grecque le 14 mars 2008, à Bruxelles : « J’ai indiqué que nous soutenions la position grecque. Les Grecs sont des amis. Et puis, vous savez, depuis qu’on a écrit un livre en Grèce sur “Sarkozy de Thessalonique”, je me sens obligé d’être solidaire. »
Dès lors, je m’interroge : les Macédoniens ne seraient-ils pas aussi nos amis ? Et, comme certains me l’ont malicieusement dit à Skopje, devraient-ils, eux aussi, écrire quelques livres ?
Mais la raison d’une telle attitude est plus simple : il faut « sauver le soldat Caramanlis »