Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les raisons qui ont conduit la commission des affaires étrangères à prendre l’initiative de ce débat sur la politique étrangère de la France ne manquent pas, non plus que les sujets qui pourront être abordés à cette occasion. Occupant une position particulière en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je me prête volontiers à cet exercice. À cet égard, monsieur le ministre, j’aurai à vous entretenir, dans la deuxième partie de mon intervention, de quelques points qui concernent nos compatriotes résidant à l’étranger.
Auparavant, j’aborderai le thème de la mondialisation et évoquerai les défis que nous devons relever, à savoir les rapports entre l’Islam et l’Occident, les crises au Moyen-Orient, l’Afghanistan, le Liban, l’Europe, la défense européenne et l’Union de la Méditerranée.
Monsieur le ministre, je veux tout d’abord vous dire que je souscris pleinement aux propos qu’a tenus le président de la commission des affaires étrangères. Josselin de Rohan a parfaitement exprimé notre vision quant à l’avenir de la politique étrangère de la France et je partage ses inquiétudes sur le financement et les moyens de votre politique.
Pour le succès de la France dans la mondialisation, il est nécessaire de moderniser notre politique. Tel est d’ailleurs le sens de la réflexion engagée dans le Livre blanc. Encore faut-il que votre ministère dispose des moyens nécessaires à la conduite de sa mission et voie reconnu son rôle interministériel au cœur de notre stratégie mondiale.
La France doit se faire une place dans cette mondialisation, place qu’il lui appartient de défendre. À cet égard, les défis à relever sont nombreux.
Encore plus nombreux sont les conflits ou risques de conflits, qui ne manquent pas de susciter une forte inquiétude. Monsieur le ministre, crise après crise, en quelque point du globe, vous vous acquittez de votre mission au jour le jour. Chacun reconnaît votre engagement, duquel on ne peut que vous féliciter.
Les défis à relever sont ardus, et le président Sarkozy en a défini trois. Le premier d’entre eux, sans doute l’un des plus importants, est le suivant : comment prévenir une confrontation entre l’Islam et l’Occident ? Deuxième défi : comment intégrer dans le nouvel ordre global les géants émergents que sont la Chine, l’Inde et le Brésil ? Troisième défi : comment faire face aux risques majeurs que sont les difficultés de l’approvisionnement énergétique et le réchauffement climatique.
Je suppose que la présence de nos troupes en Afghanistan se justifie par notre volonté de faire face au premier de ces défis : éviter un conflit entre l’Islam et l’Occident. Si notre engagement est un devoir vis-à-vis de la communauté internationale, il n’en demeure pas moins, monsieur le ministre, comme nous avons pu le constater très récemment sur place, que la situation y est fort compliquée. Dans certaines régions, la sécurité est loin d’être assurée, comme l’attestent l’attentat commis récemment à Kaboul contre le président Karzaï et les combats qui se sont ensuivis.
Je tiens à rendre ici un hommage particulier aux militaires français détachés en Afghanistan. Faisant un excellent travail dans des conditions très difficiles et dangereuses, ils méritent tout notre respect et nos félicitations. Les officiers chargés de la formation de l’armée afghane sont très appréciés, de même que les militaires en mission de sécurité, qui savent, mieux que leurs homologues d’autres nationalités, se faire « accepter » par la population, tâche peu aisée.
Monsieur le ministre, nous sommes cependant plus enclins au pessimisme tant le scénario paraît devoir durer dans la mesure où l’armée afghane, dont la première mission consiste à livrer combat contre les talibans et à le gagner, n’est pas suffisamment opérationnelle.
Tant que la sécurité n’y sera pas assurée, l’Afghanistan ne bénéficiera pas d’investissements, pourtant déterminants pour son développement. Ce pays ne connaîtra pas non plus de succès durable si son peuple ne recueille pas les fruits tangibles d’un retour à la sécurité et à la paix. Enfin, faute de voir ces conditions réunies, la lutte contre la drogue restera infructueuse.
Monsieur le ministre, quelle politique la France entend-elle mener en Afghanistan ? Et quid du Pakistan, base arrière présumée des talibans ?
Prévenir une confrontation entre l’Islam et l’Occident consiste aussi à traiter les crises du Moyen-Orient. Celles-ci sont aujourd’hui multiples : l’Irak, le Liban, Gaza, Israël et la Palestine. Certes, elles sont différentes, mais elles sont aussi chaque jour de plus en plus interdépendantes.
Tout a été dit à propos du conflit israélo-palestinien, qui a fait l’objet de nombreuses tentatives de règlement. La paix dans la région, nous disait-on, se négociera d’abord entre Israéliens et Palestiniens avant la fin de l’année. Or le Premier ministre israélien parlait hier d’avancées, tout en relativisant les chances d’aboutir avant la fin de l’année à la formation d’un État palestinien. À défaut, nous en reviendrions à la situation qui prévalait avant le processus d’Annapolis.
Monsieur le ministre – et c’est ma deuxième question –, ne faut-il pas y voir l’annonce d’un nouvel échec avant la fin de l’année ?
Le Liban traverse lui aussi une crise brûlante. Le Hezbollah semble désormais imposer sa loi dans une large partie de Beyrouth. Cette victoire chiite sur le terrain humilie les sunnites et menace de nouveau le gouvernement de Fouad Siniora.
Monsieur le ministre, vous connaissez bien les hommes politiques de ce pays. Qu’est-il envisageable de faire ? Comment ne pas baisser les bras face à cette situation ? La stratégie du Hezbollah ne consiste-t-elle pas à se faire reconnaître un rôle qu’il considère être le sien, en violation des accords de Taëf ?
La diplomatie semble plutôt inefficace à ce jour, car elle ne peut plus agir pour la recherche de nouveaux équilibres incluant l’Iran et la Syrie.
J’en arrive au deuxième défi : comment intégrer dans le nouvel ordre global les géants émergents que sont la Chine, l’Inde et le Brésil ?
Le rôle de la France consiste, semble-t-il, à s’adapter à chacune de ces grandes puissances en formation. Pour autant, l’Afrique doit, elle aussi, réussir dans la mondialisation. La France veut en accélérer le développement, car l’Afrique reste encore à l’écart de la prospérité mondiale.
Pour construire cet ordre mondial plus juste, plus efficace que réclament nos peuples, pour une intégration en douceur dans la mondialisation de ces géants et de l’Afrique, la meilleure solution, y compris pour la France, ne résiderait-elle pas dans l’émergence d’une Europe plus forte, qui serait un acteur majeur sur la scène internationale et qui ferait de la coopération un aspect central de sa politique ?
Les priorités la présidence française de l’Union européenne pour faire progresser l’Europe sont connues : l’énergie, l’immigration, l’environnement. L’Europe de la défense fait aussi partie de ces priorités. Mes chers collègues, les progrès accomplis ces dernières années sont loin d’être négligeables puisque l’Union a conduit une quinzaine d’opérations sur notre continent, en Afrique, au Proche-Orient et en Asie. Il ne peut y avoir de développement ni de prospérité sans sécurité.
Ces interventions démontrent que la défense européenne peut être une réalité. Tout le monde s’accorde à dire que l’Union européenne et l’OTAN ne sont pas en compétition, mais sont complémentaires. Chaque membre de l’Union doit prendre sa part à la sécurité commune. Pour l’instant, seuls quatre pays, dont la France, financent la sécurité des Vingt-Sept. Cette situation est anormale et il faudra trouver une solution. Celle-ci consiste peut-être à sortir des critères de calcul du déficit budgétaire les dépenses en faveur de la défense. Dans la mesure où ces dépenses servent aussi à assurer la sécurité des autres pays, il ne serait pas anormal qu’elles ne soient pas prises en compte pour l’application de la fameuse règle des 3 %.
Mais, au-delà des instruments, nous avons aussi besoin d’une vision commune. Quelles sont les menaces qui pèsent sur l’Europe et avec quels moyens devons-nous y répondre ? Il faudra élaborer une stratégie européenne de sécurité, laquelle fait actuellement l’objet d’une réflexion. Mais, monsieur le ministre, peut-on faire preuve d’optimisme et envisager que les progrès dans ce domaine seront suffisants pour permettre l’approbation d’un nouveau texte pendant la présidence française de l’Union européenne ?
Enfin, avant d’évoquer la question des Français de l’étranger, permettez-moi d’aborder un thème cher au Président de la République, à savoir l’Union pour la Méditerranée.
Nicolas Sarkozy la voit fondée sur quatre piliers : l’environnement, le dialogue des cultures, la croissance économique et la sécurité. Si, au départ, le processus a connu quelques blocages, depuis lors, il a progressé, en particulier grâce à l’accord passé avec Angela Merkel. Il ne s’agit plus d’ignorer ce qui a déjà été accompli, à savoir le processus de Barcelone et le dialogue « 5 + 5 ». Bien sûr, l’Union européenne, à travers ses institutions, en particulier la Commission et le Parlement européen, doivent être acteurs de plein droit de l’Union pour la Méditerranée. Signalons que celle-ci doit être formalisée lors d’un sommet qui aura lieu à Paris le 13 juillet prochain.
Que proposera-t-on à ces pays du nord et du sud de la Méditerranée et aux autres partenaires de la France dans l’Union européenne ?
Monsieur le ministre, les Français qui résident à l’étranger sont sur le terrain. En tant que ministre des affaires étrangères, vous présidez l’Assemblée des Français de l’étranger. Aussi, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’il est rarement demandé aux élus de l’AFE leur point de vue sur tel ou tel sujet. Pourtant, ils connaissent bien leur pays d’accueil et la politique qui y est menée. C’est pourquoi ils pourraient utilement enrichir et compléter les rapports de nos diplomates grâce à leurs analyses et grâce aux informations dont ils disposent.
Voilà quelques années, l’AFE avait organisé des débats réunissant les délégués de différents pays et de hauts responsables du ministère des affaires étrangères, directeurs ou sous-directeurs de régions géographiques. Ces débats s’étaient avérés très enrichissants pour tous.