Intervention de Jean-Louis Carrère

Réunion du 14 mai 2008 à 16h00
Politique étrangère de la france — Suite d'un débat organisé à l'initiative d'une commission

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère :

J’ai bien compris votre silence…

Nous sommes donc à l’heure d’un premier bilan d’étape, certes provisoire. Il est encore temps de rectifier le tir, mais je doute qu’on le fasse, et je vais vous dire pourquoi.

Sous la conduite du Président de la République, la France fait preuve, me semble-t-il, d’immobilisme et surtout d’impuissance. Dans le conflit entre Israël et la Palestine, la voix de la France semble se tarir.

Monsieur le ministre, nous avons remarqué vos nombreuses visites au Liban. Mais, sans vous incriminer, pour quels résultats ?

Face au très complexe et potentiellement dangereux dossier iranien, qui vient d’être longuement évoqué, la France semble calquer ses positions sur le modèle américain : y a-t-il encore des propositions françaises originales ? Quel est le bilan de la politique des sanctions ? Pensons-nous par nous-mêmes, monsieur le ministre ? (

Par ailleurs, et malgré les changements intempestifs des ministres, il y a un divorce flagrant entre notre pays et le continent africain : le journal Le Monde s’est fait l’écho récemment, le 26 avril 2008, de la remarque des ambassadeurs français en poste en Afrique qui soulignaient « la dégradation de l’image de la France sur le continent ».

Ainsi, se dessine petit à petit, depuis douze mois, l’effacement diplomatique de la France dans des régions qui nous sont très chères.

La poussive relance d’une « Union méditerranéenne » mal acceptée par nos partenaires européens ne suffira pas dans l’immédiat, me semble-t-il, à changer cette impression. Quand quelque chose bouge, je crains que ce ne soit dans la mauvaise direction.

En mettant ses pas dans les pas de George Bush, un président finissant, M. Sarkozy a fait un mauvais calcul. Il aurait été plus avisé de réfléchir à l’« après-Bush » et de poser les jalons d’une politique autonome de la France au lieu de s’embarquer dans un suivisme, au sein de l’OTAN, en Afghanistan, au Proche et au Moyen-Orient, qui ne peut pas servir à préparer l’avenir. Ce suivisme nous fait rentrer dans le rang ; en s’alignant au sein d’un fantasmagorique « bloc occidental », la France n’a plus le crédit international que lui conférait un positionnement original, autonome.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, convenez-en, la seule rupture vérifiée concerne l’alignement progressif de la France !

J’étais de la mission envoyée récemment en Afghanistan sur l’initiative du président de Rohan, et vous comprendrez que je réserve la primeur et le détail de mes impressions aux membres de la commission. Je vous confesserai toutefois que, lorsque Nicolas Sarkozy confirme, lors de sa prestation télévisée du 24 avril, l’envoi de 700 soldats français en renfort, portant l’effectif total à plus de 3 200 hommes, je m’interroge !

Trois jours plus tard, l’argumentaire du ministre de la défense vole en éclats, quand le président afghan, Hamid Karzaï, échappe à un attentat dans le stade de Kaboul, pourtant sous protection des forces spéciales américaines et des forces de l’OTAN. Depuis des mois, les responsables de l’Alliance assuraient que l’armée afghane allait pouvoir prendre le relais et contrôler le centre du pays ! Ils sont cruellement démentis !

Dans les jours qui suivent, diverses attaques menacent à nouveau Kaboul, malgré la présence de 50 000 soldats occidentaux dans le pays. Et Washington parle aujourd’hui d’envoyer plusieurs dizaines de milliers d’hommes supplémentaires, transférés d’Irak.

Le processus politique est en panne, la corruption gangrène l’armée comme l’administration. Le président Sarkozy a préféré parler des horreurs talibanes. Mais, depuis bientôt sept ans en Afghanistan, les États-Unis, relayés par l’OTAN, n’ont apporté aucune solution politique ni formé une armée afghane, pas plus qu’ils n’ont libéré la population de la misère, du terrorisme et des milices.

À quoi sert l’engagement français ? L’Alliance atlantique dit détenir une réponse que la réalité de tous les jours vient démentir. On peut continuer à accumuler indéfiniment des moyens militaires pour tenter de sécuriser l’Afghanistan. Toutefois, il faut aussi avoir une vision régionale, notamment vis-à-vis du Pakistan voisin.

La frontière entre ces deux pays est longue de 2 500 kilomètres et traverse des zones très accidentées, difficiles à contrôler. Il est de notoriété publique que des bases des insurgés afghans existent dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan limitrophes de l’Afghanistan. Ces bases arrière leur permettent de poursuivre les hostilités contre les troupes ISAF, International Security Assistance Force, et contre les forces du gouvernement afghan.

Quelles sont les mesures susceptibles d’améliorer la situation sur cette frontière ? Quel est l’état d’esprit des nouvelles autorités pakistanaises ? Sont-elles disposées à coopérer ?

Par ailleurs, certaines évolutions régionales nous interpellent. Le nouveau gouvernement pakistanais se montre plus ouvert au dialogue avec les insurgés d’Al-Qaïda, et les États-Unis seraient, semble-t-il, disposés à encourager les négociations menées par Islamabad avec certains éléments extrémistes.

La décision d’envoyer de nouvelles troupes françaises en Afghanistan prend-elle en compte ces différents éléments ? De quelle manière notre diplomatie est-elle associée à ces évolutions ? Je n’aime pas trop les anecdotes, monsieur le ministre, mais il en est une qui me paraît significative : lorsque nous avons rencontré le président de la commission de la défense du Sénat afghan, que nous a-t-il dit ? Que si nous n’avions pas une position originale et de l’influence sur nos alliés, il valait mieux que nous nous retirions !

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