Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 14 mai 2008 à 16h00
Politique étrangère de la france — Suite d'un débat organisé à l'initiative d'une commission

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chacun ici le sait, la politique étrangère de la France repose sur une tradition diplomatique, économique et culturelle s’appuyant sur un certain nombre de principes forts qui ont été énoncés dès la deuxième moitié du xxe siècle. Je veux bien sûr parler du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, du respect de l’État de droit ainsi que de la coopération entre les nations pour le maintien durable de la paix et la préservation de notre sécurité internationale.

Même si ces principes restent intangibles, le contexte international, caractérisé par des lignes de fracture de plus en plus profondes, une fragmentation de l’espace politique, des affrontements interethniques sur fond de cataclysmes naturels ou de crise alimentaire et une inquiétude croissante de nos concitoyens, nous oblige à réfléchir à une redéfinition des grands axes de notre politique étrangère. À cet égard, je vous suis reconnaissante, monsieur le ministre, d’avoir accepté le principe de ce grand débat aujourd’hui.

Notre politique étrangère doit bien évidemment être dynamique, courageuse et ambitieuse, tout en s’inscrivant dans le cadre des institutions européennes et internationales ainsi que dans un cadre national marqué par la nécessité de restrictions budgétaires et l’inquiétude de nos concitoyens. L’un de nos illustres prédécesseurs devenu Président du Conseil, Georges Clemenceau, ne martelait-il pas avec clairvoyance qu’« une politique étrangère et une politique intérieure, c’est un tout » ?

Notre pays, en termes démographiques, géographiques et budgétaires, n’est qu’un tout petit pays à l’échelle du monde. Mais il a de grandes ambitions ! Pour les mener à bien, il nous faut nous recentrer sur quelques objectifs essentiels. Car, vous le savez, nous serons jugés sur notre capacité à préserver et à développer une véritable « communauté d’influence » à travers le monde pour défendre des orientations communes.

Cette stratégie d’influence doit avoir deux pôles essentiels : d’une part, une rationalisation – ou plutôt une mise en synergie – de notre présence économique, culturelle, éducative et linguistique à l’étranger ; d’autre part, une action entièrement tendue vers un objectif d’appui à la démocratie et au progrès dans un monde de plus en plus globalisé.

Alors que, sur le terrain, le travail quotidien de nos chancelleries à travers le monde n’est plus à démontrer, force est bien de constater que notre capacité à déployer une stratégie d’influence s’affaiblit année après année.

Pourtant, partout dans le monde, il y a une attente, un besoin de France et de tout ce que notre pays peut représenter en termes de défense de valeurs communes de démocratie, de tolérance et de liberté. C’est cette image qui fait notre force et c’est cette image qu’il nous faut préserver.

Mais force est de constater que, souvent, nous ne savons pas répondre à cette attente, faute parfois d’un souci élémentaire de cohérence. Je ne citerai qu’un cas, celui d’un certain paradoxe en Afghanistan, pays où nous envoyons beaucoup de nos jeunes, mais où nous ne pouvons assurer une formation linguistique en français à ces soldats afghans qui nous la réclament, alors même que ce serait relativement peu coûteux.

Pour mieux prôner et incarner ces valeurs qui sont les nôtres, nous avons aussi besoin de les diffuser. Je ne peux donc qu’applaudir à la création de France 24 et aux efforts faits en matière d’audiovisuel extérieur sous l’égide de France Monde. Toutefois, nous ne pouvons agir seuls. C’est pourquoi nous devons absolument le faire dans le cadre de la francophonie et de TV5.

Je souhaiterais aussi vous dire, monsieur le ministre, combien il est important, si nous voulons gagner cette bataille de la francophonie, de ne pas nous tromper de cible. Celle des enfants, des jeunes, à qui il nous faut apprendre notre langue, est prioritaire.

Certes, nous avons un merveilleux réseau d’établissements scolaires aux quatre coins du monde, qui font notre fierté et qui nous permettent de former, outre nos petits nationaux, l’élite de nombreux pays. Cependant, nous ne pouvons plus aujourd’hui raisonner en termes d’élites. Il faut désormais que nous diffusions des programmes éducatifs en français destinés aux plus jeunes tranches d’âge, soit par le biais de la création d’une banque de programmes, soit par un grand nombre d’heures d’antenne réservées sur des chaînes comme TV5 ou France 24, soit par une télévision spécifique, sur Internet par exemple.

Aussi, je vous exhorte à vous rendre au Qatar pour y visiter la chaîne créée spécialement pour les enfants, Al Jazeera Children’s Channel. Voilà une chaîne dans laquelle la France a joué un rôle considérable en matière de conception des programmes, de conseils et de suivi. Nous pourrions peut-être nous en servir comme élément de référence pour une éducation à la francophonie ou tout du moins mettre en place avec elle un partenariat pour des programmes en français.

Partout, nous avons besoin de cohérence et de rationalisation. Cela passe bien sûr par la mutualisation et la valorisation des ressources.

Sans doute devrions-nous aussi nous interroger sur la pertinence d’une présence diplomatique, culturelle et économique qui se renouvelle environ tous les trois ans.

Dans de nombreuses zones du monde, les réussites économiques sont la conséquence de vieux réseaux relationnels, d’un travail de fourmi mis en place au fil des ans. Or il est affligeant de constater un si grand décalage entre les résultats de notre commerce extérieur et ceux de l’Allemagne, qui a pourtant une présence administrative et diplomatique moins importante ou tout du moins plus concentrée que la nôtre. Ne pourrions-nous accepter le principe d’une prolongation des durées de présence dans le pays de diplomates ou de responsables occupant des postes clés, quand ceux-ci le souhaitent eux-mêmes, qu’ils y ont fait leur preuve, et que c’est dans l’intérêt de notre pays ?

À ce propos, je voudrais vous dire combien je trouve dommageable qu’un bon nombre de diplomates, recrutés par la voie du concours de secrétaire des affaires étrangères sur le fondement de leurs connaissances de langues peu usitées, ne soient quasiment jamais affectés dans leur zone ou pays de compétence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion