Rassurez-vous, il ne s’agit nullement d’une annonce de démission. Je cherche seulement à paraître moins prétentieux !
Monsieur de Rohan, je vous remercie d’avoir souhaité ce débat. J’ai tenté, vous le savez, de multiplier les échanges avec les deux assemblées, et je continuerai à le faire.
Vous avez eu raison de souligner que la mondialisation est parvenue à un moment très délicat. En effet, et je me saisis de la phrase que vous avez prononcée, il y a eu la grande sortie des pays émergents, ceux que l’on cite toujours. Permettez-moi, d’ailleurs, de vous dire que vous vous trompez : la Russie n’est pas un pays émergent. Cela fait un moment qu’elle émerge. Je dirais même qu’elle émerge moins qu’avant. Il s’agissait donc d’un pays avec lequel il nous fallait de toute façon compter et avec lequel nous devions dialoguer, mais j’y reviendrai.
Certains pensent que la remise en cause de l’universalité des valeurs, à la faveur de cette mondialisation ou conjointement à elle, fait que les valeurs du monde occidental paraissent un peu périmées. Je ne suis pas d’accord. Je pense plutôt que chacun se sent un peu perdu parce que, ayons le courage de le dire, les pays riches vont être perdants par rapport aux pays pauvres pendant un certain temps. C’est ainsi, et bien malin qui prétendra le contraire ! Si la richesse et les valeurs doivent se partager, s’interpénétrer, cela ne se fera pas, au début, aux dépens des plus pauvres, et ce n’est que justice.
Quoi qu’il en soit, l’inquiétude est grande devant les délocalisations et les modes de travail de pays où l’armature sociale n’est pas aussi développée que dans nos pays.
En tout état de cause, si quelque chose devait fonder une réflexion générale, comme tout le monde aime à le faire et comme il était facile de le faire au moment des deux blocs – de ce point de vue, nous n’avions pas à nous creuser la tête ! –, si quelque chose devait non pas fédérer, mais donner un parfum très particulier et parfois inquiétant à cette réflexion sur la politique internationale, ce serait cette mondialisation qui nous met en concurrence avec l’ensemble des pays du monde, ce qui n’était pas le cas avant !
Nous sommes amenés à conduire une réflexion sur nos propres certitudes. Cette mondialisation s’opérera durant un nombre d’années – que j’espère le moins grand possible – aux dépens de nous-mêmes, de nos certitudes, voire de notre confort, alors même que ce dernier est très mal partagé à l’intérieur de notre pays, ce qu’il faut signaler. Nous n’en parlons pas assez.
Monsieur de Rohan, comme vous l’avez souligné, nous avons demandé la préparation de deux livres blancs auxquels vous participez. Leurs conclusions seront non pas notre seule boussole, mais des éléments avec lesquels il nous faudra tout de même compter.
Le premier de ces livres concerne la politique extérieure et le second la sécurité et la défense. Les deux sujets étant bien sûr liés, nous auront intérêt à les lire ensemble.
Vous avez souligné un certain nombre d’objectifs. Les membres de la commission du Livre blanc, dirigée par MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer, qui ont très bien travaillé, les reprennent également. Nous parlerons de l’Afghanistan, du Liban, du Kosovo, du Tchad, etc. Nous parlerons, bien sûr, aussi de la construction européenne.
Je veux nous féliciter de la relance de l’Europe. Où serions-nous, nous Français qui avons voté « non » – pour ma part, j’ai voté « oui » –, si l’Espagne la première, pays qui avait approuvé la Constitution européenne par référendum, n’avait pas accepté d’aller de l’avant sur une idée du Président de la République – à l’époque, d’ailleurs, je ne la partageais pas complètement – qui a été acceptée par la présidence allemande et mise en œuvre par la présidence portugaise ? L’attitude des Espagnols a été une bonne surprise. Ils nous ont dit : faisons ça ensemble !
Les choses ont bougé, en particulier, je vous l’assure, grâce à la diplomatie française dont je ne saluerai jamais assez l’efficacité, bien entendu conditionnée à la politique de notre pays, l’érudition et la manière dont elle travaille dans le monde, au plus près des populations, beaucoup plus près d’ailleurs que d’autres diplomaties.
Il nous faut bien respecter le fait que notre réseau diplomatique soit le deuxième sur le plan mondial. J’ai bien entendu votre remarque, madame Garriaud-Maylam : avec un réseau moins étendu que le nôtre, l’Allemagne aboutit à de bien meilleurs résultats que nous dans le domaine industriel. C’est un point sur lequel il nous faudra réfléchir, même si je n’aurai peut-être pas le temps de le faire dans le cadre de ce débat car je m’intéresse surtout à vos questions.
Des projets concrets accompagnent cette relance de l’Europe. Je pense au projet d’Union pour la méditerranée, quelles que soient les petites péripéties qui l’émaillent.
Que valent d’ailleurs les péripéties franco-allemandes au regard de celles qui ont eu lieu entre les trois grands couples précédents ? Tous au début ont échangé sur un ton beaucoup plus violent que les échanges entre M. le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et Mme la Chancelière, Angela Merkel. Consultez les journaux au sujet des échanges entre Mitterrand et Kohl, entre Giscard d’Estaing et Schmidt, entre Chirac et Schröder.