Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 14 mai 2008 à 16h00
Politique étrangère de la france — Suite d'un débat organisé à l'initiative d'une commission

Bernard Kouchner, ministre :

À Bucarest, en tout cas, nous l’avons très largement souligné.

L’alignement sur les États-Unis, c’est un fantasme. Je peux le prouver en dressant la liste de tous les points sur lesquels nous divergeons avec ce pays. Je ne suis pas pro-américain par système, au contraire.

Sur le Kosovo, nous n’étions pas en accord. Sur le changement de climat, nous divergeons. Sur l’Afghanistan, nous n’avons pas la même politique. §Non, vous allez voir, on va changer. Si on ne change pas, nous aurons perdu. Or il ne faut pas que nous perdions.

Sur le Liban, nous avons mené une politique entièrement différente. Cela n’a pas marché pour le moment. Malheureusement, rien n’a fonctionné jusqu’à présent et il faudra bien que cela marche mais, franchement, nous n’en sommes pas responsables.

C’est toujours pareil : en politique extérieure comme en politique intérieure, si vous restez dans votre coin, personne ne vous accuse, mais si vous prenez des risques… Or le Moyen-Orient, plus particulièrement le Liban, est l’un des sujets les plus difficiles qui soient. Nous avons essayé et, en effet, nous étions à un cheveu de la réussite. Mais à un cheveu de la réussite, c’est l’échec.

Sur les trois points que l’initiative française avait amenés, qui étaient partagés par les chiites et les sunnites, par M. Hariri et par M. Berri, nous avons cru, durant une journée, que nous avions réussi. Ensuite, d’autres éléments, extérieurs pour la plupart, s’en sont mêlés. La Ligue arabe revient sur ces trois points après une série d’échecs.

On verra bien. Aujourd’hui, nous appuyons l’initiative de la Ligue arabe. Apparemment, une sorte de cessez-le-feu serait prévu, les barrages autour de l’aéroport seraient levés et une table ronde serait organisée au Qatar.

Celle que nous avions tenue en France, à la Celle-Saint-Cloud, avec le Hezbollah - Dieu sait si on me l’a reproché, à ce moment-là ! – avait été une réussite. Tout le monde se parlait, rappelait l’histoire, voulait travailler ensemble, puis, cela s’est dilué. Peut-être avions-nous mis trop d’espoir dans ces conférences.

J’ai évoqué la conférence de Paris pour la Palestine. Je me rendrai à Bethléem dans quelques jours pour une conférence importante des secteurs industriels privés palestinien et israélien. On verra si cela facilite la mise en œuvre de projets. Nous sommes présents en permanence dans la région. Il ne se passe pas de semaine sans qu’un membre du Gouvernement se rende en Israël et en Palestine. En ce moment, le président Bush est sur place ; j’espère qu’il réussira mais j’en doute, car les choses semblent bloquées.

En nous attelant à un certain nombre de projets, nous voulions que la vie quotidienne des Palestiniens change, qu’ils adoptent des projets qui étaient proposés et financés par la conférence de Paris.

De ce point de vue, nous sommes déçus, car les blocages israéliens demeurent, dans une trop large mesure. Même s’il a été décidé, à plusieurs reprises, de mettre un terme aux colonies de peuplement, et même si les Palestiniens sont convaincus aujourd'hui qu’il n’y en aura plus de nouvelle, celles qui existent continuent de se développer, ce qui n’est pas acceptable. Nous le disons très clairement, comme le Président Nicolas Sarkozy l’a affirmé à plusieurs reprises, et je suis sûr qu’il le dira encore lors de sa prochaine visite en Israël et en Cisjordanie prévue à la fin du mois de juin.

MM. Hue, de Montesquiou et Pozzo di Borgo ont évoqué la présence de l’Union européenne dans cette région.

L’Union européenne est présente dans le Quartet, particulièrement à travers son envoyé spécial, M. Tony Blair, que l’on entend beaucoup. Malheureusement, lui-même n’a fait lever que quatre barrages sur cinq cent quarante. Ce n’est pas assez.

La France a poussé pour que la station d’épuration de Beit Lahia dans la bande de Gaza, qui fut notre premier projet, reçoive 50 à 60 tonnes de ciment par jour. Le projet se poursuit. C’est un premier succès, certes insuffisant.

De nombreux orateurs ont évoqué, à juste titre, l’aide au développement.

D’abord, nous voulons, en ce domaine, changer de méthode, mais nous devons aussi multiplier les financements. Il faut notamment trouver des financements innovants. L’aide au développement, qui est la portion congrue, ne peut se satisfaire des sommes qui sont actuellement mises à sa disposition. J’espère donc que, les comptes de la nation se redressant, un effort supplémentaire pourra, dès l’année prochaine, être consenti.

Cela étant, nous ne respectons pas, tant s’en faut – nous ne sommes pas les seuls, mais ce n’est pas une raison -, les objectifs du Millénaire et nous ne sommes pas à 0, 7 %. Nous sommes très loin du compte, aux alentours de 0, 4 %. C’est déjà cela, mais je ne peux, bien entendu, m’en satisfaire. D’ailleurs, personne ne s’en satisfait, surtout pas les volontaires du développement, qui accomplissent un travail considérable.

La semaine dernière, s’est tenue une conférence sur l’assurance maladie dans les pays en développement, à travers des microcrédits privés et publics, et avec un financement public au départ. Nous travaillons sur ce sujet, qui est porteur de beaucoup d’espoirs. C’est une façon, me semble-t-il, efficace, de participer à l’aide au développement dans le secteur de la santé, de la part d’un pays qui a multiplié les initiatives dans le domaine de la santé.

Plusieurs orateurs ont critiqué un certain nombre des dépenses faites dans le cadre multilatéral plutôt que dans le cadre bilatéral.

La contribution de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria s’élève à 300 millions d’euros. Retirer de l’argent à ce fonds, c’est priver les malades de traitement ! On ne peut pas faire cela. Il faut bien sûr trouver de l’argent pour le développement, mais nous ne pouvons pas renoncer à notre aide dans d’autres domaines.

Nous soutenons l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, GAVI - General agreement on vaccination and immunization -, et, là aussi, nous investissons beaucoup d’argent, qui n’est pas visible. Je souhaiterais que l’argent de la France soit plus visible, mais ce n’est pas toujours possible quand on a investi dans ce domaine.

S’agissant de la Tunisie, je regrette de ne pouvoir davantage nuancer mes propos. Des progrès considérables ont été accomplis, notamment en ce qui concerne le droit des femmes, le respect des minorités religieuses et sur le plan économique et social, en matière d’emploi, de croissance et de logement, mais ce n’est pas suffisant. De nombreuses atteintes à la liberté de la presse ont été observées ; le nombre de prisonniers politiques - dont on nous dit qu’ils sont islamistes mais le sont-ils tous ? – suscite également de sévères critiques. Il faut en tout cas nuancer tout cela.

L’Union pour la Méditerranée progresse. Le rendez-vous du 13 juillet à Paris réunira tous les pays de la Méditerranée, de la rive sud, de la rive nord, et les pays de l’Union européenne. C’est la troisième visite que nous effectuons en Algérie, et j’ai été très heureusement surpris par l’accueil du président Bouteflika.

Je partage avec M. de Montesquiou l’opinion que les relations avec les organisations régionales, en particulier en Afghanistan, devraient être développées.

M’étant rendu en Afghanistan pendant dix ans en tant que médecin, je pense bien connaître ce pays. Certes, il faut aussi agir à la périphérie de l’Afghanistan ; certains sont opposés à l’aide mais d’autres veulent bien y participer, il faut donc travailler autour de cela.

Monsieur Carrère, je partage votre sentiment sur la nécessité de trouver une autre stratégie. D’ailleurs, c’est le sens du concept d’ « afghanisation ».

Le Président de la République a accepté - nous étions en effet le pays charnière - d’envoyer un bataillon supplémentaire, les 700 hommes de troupe dont vous avez parlé. Les Américains eux vont venir renforcer les Canadiens autour de la gigantesque base de Kandahar. Il l’a fait – et je crois qu’il a eu raison – à condition que la méthode change, que nous soyons plus proches des populations, que l’afghanisation corresponde aux projets des Afghans. Cela n’est pas facile, nous pouvons échouer, mais au moins faut-il le tenter.

Se contenter de survoler avec nos avions des populations qui sont parmi les plus pauvres du monde, cela risque très rapidement de nous faire passer pour des troupes d’occupation ; ensuite, ces populations nous préféreront les agents locaux que sont les talibans. Les paysans qui, le jour, travaillent très péniblement une terre aride se feront talibans la nuit.

Donc, dans chaque projet de la communauté internationale, il faut absolument renforcer la coordination entre les agents, les bataillons, les nations. Nous travaillons avec M. Kai Eide, le nouveau représentant du secrétaire général des Nations unies, à l’organisation de la conférence du 12 juin 2008. C’est Paris qui accueille ce forum de réflexion sur l’Afghanistan. Cette conférence de donateurs, sur le modèle de la Palestine, sera précédée quinze jours auparavant d’une conférence sur la société civile, où des programmes proposés par les ONG et les agences des Nations unies seront confrontés les uns aux autres.

Dans la première matinée de cette conférence du 12 juin, à laquelle le secrétaire général des Nations unies et un certain nombre de chefs d’État ou, à défaut, de ministres des affaires étrangères devraient être présents, il sera procédé à l’examen des progrès réalisés.

Sur ce dernier point, permettez-moi de vous dire que vous avez été assez injustes : six millions d’enfants afghans sont scolarisés, dont deux millions de femmes – je sais que l’on répète toujours les mêmes chiffres, mais c’est important pour ces enfants…

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