Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 14 mai 2008 à 16h00
Politique étrangère de la france — Suite d'un débat organisé à l'initiative d'une commission

Bernard Kouchner, ministre :

L’affaire n’est pas encore terminée, car il faudra constituer un gouvernement, mais les démocrates ont fait preuve d’une belle ténacité !

Nous avons amélioré les conditions de délivrance de nos visas. Vous savez que ce processus doit intervenir dans le cadre des accords de Schengen, mais dix-huit pays sur vingt-quatre l’ont fait à l’appel de la France, ce qui n’est pas mal.

M. Boulaud est parti, mais j’ai été très intéressé par ce qu’il a dit sur la Macédoine et je souhaiterais qu’on lui rapporte ma réponse.

Je veux bien que l’on s’intéresse à la cause de la Macédoine – personnellement, je connais très bien ce pays, j’y ai travaillé tout le temps pendant les deux ans où j’étais au Kosovo – mais elle est l’État entrant ! Nous avons un devoir de solidarité avec les États qui sont déjà membres de l’Union européenne, comme la Grèce. J’espère que, dans les deux mois qui viennent, le problème posé par le nom de cet État sera réglé et je serai le premier à souhaiter non seulement la bienvenue, mais un bon travail à la Macédoine.

Pour cela, la Macédoine doit consentir un petit effort et la Grèce un plus grand, j’en conviens. Je ne suis vraiment pas responsable des querelles historiques remontant à Alexandre le Grand et à la Macédoine antique. Nous n’avons pas négligé, bien au contraire, l’adhésion de la Macédoine puisque nous avons accueilli sa demande. C’était alors la Slovénie, premier pays à avoir quitté la fédération yougoslave, qui présidait l’Union européenne – tout un symbole ! –, elle ne voulait pas refuser la candidature de la Macédoine et nous ne voulions pas non plus refuser celle de la Serbie. Le processus prendra un peu plus de temps mais, croyez-moi, je suis sûr qu’il aboutira ! Je me rends compte que j’aurais dû parler de l’Ancienne république yougoslave de Macédoine ou ARYM, car on n’a pas le droit de prononcer le nom de Macédoine, mais ce n’est pas grave !

Bien sûr, les Macédoniens sont nos amis et les Grecs aussi. Que faire dans un tel cas ? Le refus d’un seul membre suffit à empêcher tout accord. De toute façon, les Grecs auraient opposé leur veto.

M. del Picchia a évoqué la nécessité d’éviter un conflit entre l’Islam et l’Occident. Nous nous y employons : la conférence d’Annapolis n’a pas encore échoué et je m’accroche à cet espoir. Les Palestiniens viennent en France et ne partagent pas votre sentiment, ils ne pensent pas que nous sommes les valets des États-Unis. Nous avons reçu trois ou quatre fois Abou Alla, l’interlocuteur de Mme Tzipi Livni – comme Abou Mazen est l’interlocuteur de M. Ehud Olmert. Il nous a dit qu’il n’excluait pas que les discussions se poursuivent au-delà de la fin de l’année. En effet, ce terme a été fixé par les Américains afin de permettre un dernier succès que pourrait revendiquer l’administration Bush – il n’y en a pas tellement ! Cela ne signifie pas que les pourparlers doivent s’arrêter. J’étais heureux d’entendre celui qui sera peut-être le président de l’Autorité palestinienne après Abou Mazen – s’il s’en va – dire que la discussion allait peut-être continuer.

Maintenant, l’Autorité palestinienne doit mener une autre discussion avec Gaza et le Hamas. Même si tout le monde a le droit de prendre des contacts, ce n’est pas à nous de décider que les Palestiniens doivent se parler entre eux. Nous les poussons à le faire, mais l’initiative leur appartient. Vous l’avez d’ailleurs dit, il est dans l’intérêt d’Israël qu’ils se parlent car la sécurité d’Israël suppose l’existence d’un État palestinien. C’est aussi simple que cela… mais très difficile à réaliser !

Vous avez souhaité l’émergence d’une Europe plus forte qui réponde aux défis de la mondialisation : oui, trois fois oui ! Il nous faut pour cela une défense européenne. C’est la seule façon de faire pièce à ce qu’on croit être la machine de guerre américaine, d’autant que, je le reconnais, le Pacte de Varsovie a disparu. À quoi sert l’OTAN aujourd’hui ? À mettre en application deux résolutions des Nations unies, la première concernant le Kosovo et la seconde l’Afghanistan. Telles sont les deux missions actuelles que l’Alliance assure au nom de la communauté internationale.

Quand on dit que la France réintègre l’OTAN, il faut bien voir que nous n’y gagnons rien, sauf de permettre à nos officiers de réintégrer la chaîne de commandement dont ils sont absents. Sinon, en ce moment, l’une des deux missions de l’OTAN que j’ai évoquées est commandée par un général français. Nous sommes bien dans l’OTAN !

D’ailleurs, qui nous y a fait revenir ? C’est François Mitterrand, qui a fait participer le premier nos avions aux opérations en Bosnie. Ensuite, qui a voulu que nous regagnions l’ensemble du dispositif, y compris le commandement Sud ? C’est Jacques Chirac, qui n’a d’ailleurs pas obtenu gain de cause pour le commandement Sud.

Maintenant, nous ne prétendons plus à rien, nous voulons simplement prendre notre place. Il n’est pas question de renoncer à l’autonomie de nos armes atomiques, nous conservons une indépendance absolue dans ce domaine, mais nous sommes dans l’OTAN. Qu’y gagnerons-nous ? Tout simplement que nos officiers soient au courant des plans stratégiques.

Monsieur Carrère, je vous ai déjà largement répondu. S’agissant de l’Irak, je vais y retourner. Nous avons ouvert un consulat à Erbil, qui fonctionne très bien. À partir de ce consulat, nous allons essayer, avec les Irakiens, de développer une chaîne de dispensaires pour que la population soit prise en charge.

Nous n’avons pas le temps d’analyser ce qui se passe maintenant, mais nous assistons, là aussi, à une lutte des chiites contre les sunnites.

Le gouvernement a déclaré la guerre à l’armée du Mahdi. J’ai volontiers reconnu l’importance de s’intéresser au monde chiite, mais il existe aussi des problèmes propres au pays. Après la visite de M. Ahmadinejad à Bagdad, on peut parler d’une nouvelle donne : nous verrons bien quelles en seront les conséquences.

M. Carrère a en outre évoqué les propos du président de la commission de la défense du Sénat afghan, qui est un homme du Sud. Le président Karzaï va être confronté à de solides adversaires : il faut s’en réjouir, car c’est cela, la démocratie ! Il est d’ailleurs bien normal que certains désapprouvent complètement sa politique !

En tout état de cause, pour répondre à la critique formulée, il est vrai que si les Français sont venus en Afghanistan simplement pour renforcer l’effort militaire, cela n’a guère d’intérêt. Il faut que nous changions la donne et que nous fassions preuve, aux côtés des Afghans, d’une imagination qui leur permette de prendre ensuite le relais. Je partage entièrement le sentiment de M. Carrère sur ce point. Nous verrons bien ce qui se passera lors de la conférence des donateurs du 12 juin prochain.

Monsieur Gouteyron, je vous remercie de vos réflexions sur la notion d’influence. Nous verrons s’il est possible d’accroître la nôtre ; cela dépendra du succès des réformes en cours, qui doivent nous permettre de faire face dans de meilleures conditions à la mondialisation.

S’agissant du Livre blanc, nous allons procéder à une nécessaire « redistribution » de notre réseau diplomatique. Nous ne savons pas jusqu’où cela nous conduira, mais le processus est pour le moment bien entamé. En particulier, l’expérimentation menée à Berlin et au Sénégal, où le personnel est très nombreux, s’avère être un succès.

Monsieur Jacques Blanc, je vous remercie de m’avoir adressé tant de louanges au sujet du bilan d’une année de diplomatie. Comme j’ai plutôt l’habitude d’essuyer des critiques, que l’on me permette d’être sensible à de tels propos, même s’ils ont été excessivement élogieux !

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